La coopération antiterroriste entre Alger et Paris paraît être au beau fixe. La preuve, les services de renseignements algériens ont fourni à leurs homologues français la liste complète des détenus islamistes libérés, depuis mars 2006, dans le cadre de l'application de la charte pour la paix et la réconciliation. La Direction de la surveillance du territoire (DST, contre-espionnage), la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et les services de renseignements de la police (RG) ont reçu une copie du document, fin novembre 2006, quelques jours après la visite en Algérie du ministre français de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, a rapporté le journal français Le Figaro, dans son édition d'hier, en citant des sources officielles. La France dispose, ainsi, d'un nouvel atout dans sa lutte contre le terrorisme islamiste, d'autant plus qu'il ne s'agit pas seulement d'une simple énumération de noms, mais plutôt d'un fichier contenant des éléments directement utilisables par les spécialistes français. La remise de cette « liste noire » constitue, outre un geste amical à l'égard de la France, une réponse à l'assouplissement du régime des visas français ordinaires. Lors de sa visite, les 13 et 14 novembre 2006 à Alger, le ministre de l'Intérieur, M. Sarkozy, avait annoncé la suppression de l'autorisation préalable des pays européens de l'espace Schengen pour la délivrance de visas aux ressortissants algériens. Le geste de Paris a dû, finalement, avoir un prix, dès lors que le mouvement des citoyens algériens vers l'Hexagone est, désormais, bien cadré, en faveur de cette liste. Des spécialistes affirment que les Etats-Unis auraient négocié la même démarche avec l'Algérie qui aurait opposé son niet. Le document fourni par les autorités algériennes permet aux services de renseignements français d'identifier des poseurs de bombes potentiels pouvant agir en France. DST, DGSE et RG se sont, d'ores et déjà, attelés à l'exploitation de cette liste précieuse qui contient 2629 détenus élargis entre le début mars et septembre 2006. Il faut rappeler que ces mesures de libération, bien que s'appuyant sur les dispositions de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, avaient suscité une grande colère parmi les familles des victimes du terrorisme et les familles des disparus. La liste qui est à la disposition de la France contient un groupe d'individus issus des Groupes islamiques armés (GIA) qui ont frappé la France en 1995 au cours d'une vague d'attentats sanglants. Sur ces milliers d'amnistiés, plusieurs dizaines à plusieurs centaines auraient, d'ores et déjà, rejoint les maquis du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qualifié, le 1er septembre 2006, dans une note du ministère français de l'Intérieur comme « l'une des menaces les plus lourdes qui pèse actuellement sur la France, historiquement cible privilégiée des terroristes algériens ». La même note soulignait que le chef du GSPC avait appelé les amnistiés à rejoindre son mouvement. La France redoute qu'un petit groupe de ces vrais faux repentis, parfois peu ou pas connus des services français, ne gagne l'Hexagone, surtout que des verrous mis au consulat de France à Alger ont sauté. « En 1995 déjà, note un magistrat français, tout a été organisé par deux hommes venus d'Algérie. » Au cours des huit mois écoulés entre le début des libérations et la transmission de la liste aux autorités françaises, le manque de renseignements sur les amnistiés a montré ses dangers. De source policière, on évoque ainsi l'histoire d'un membre présumé du GSPC. Libéré, il rejoint aussitôt le maquis avant de gagner la France pour y fonder un commerce et épouser une Française. Il commet alors l'erreur d'entrer en contact direct avec un responsable du GSPC en exil au Royaume-Uni, ce qui lui vaut une expulsion immédiate. Sans cette faute de débutant, l'homme aurait pu tout aussi bien mener ses projets en toute tranquillité. Le 9 janvier, le GSPC avait appelé les Algériens à s'en prendre aux Français, dans un message mis en ligne sur des sites islamistes. « Combattez les ressortissants de France et les agents des croisés qui occupent notre terre », lance le chef du GSPC, Abdelmalek Droukdal, alias Abou Moussâab Abdel Wadoud. Le même jour, la France a affirmé qu'elle prenait « au sérieux » ces menaces. « Ces menaces sont prises au sérieux, elles sont analysées par les services compétents qui traitent des questions de renseignement », a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Mattéi, ajoutant : « Nous suivons de très près le GSPC et ce qui touche aux activités de ce groupe. »