Il y a comme des météorites vivantes et fécondes de lumière qui ne cessent de poursuivre l'Algérie à se forcer de croire en elle-même, y compris et surtout quand les combats continuent en feuilletons, avec des énergies toujours plus vacillantes. Mostefa Lacheraf, militant du combat d'indépendance nationale et penseur autonome de la société algérienne libérée du joug colonial, qui vient de nous quitter à l'âge de quatre vingt dix ans, est de nos rares lumières clairsemées qui ont donné, dans la lucidité vive et le courage, du grain à moudre pour faire bouger le pays. Pour que 1962 ne soit pas définitivement détourné en butin de guerre d'une caste compradore qui, à la nausée, continue de reproduire des clones dominants pires que les féodaux autochtones asservis par les empires turcs et français. Dans son « optimisme de la volonté », qui en a vu d'autres, il y croyait tellement Lacheraf à son « Algérie, nation et société » qu'il a pu vaille que vaille, l'indépendance recouvrée, être scribe des palpitations de son peuple et conseiller exigeant du prince du moment. Farouche pourtant, le prince Boumediene du moment, et plutôt acquis doublement d'idéologie aux recettes autoritaires staliniennes et au puissant lobby d'orientalisation allergique à l'Algérie algérienne que lui Lacheraf, homme de pensée et de réflexion, a toujours rêvée pour les siens et sa terre. Citoyen du monde du milieu du siècle dernier, il a pu réfléchir sur ses tumultes d'idéologies fascisantes, dont l'oppressif système colonial. Son engagement singulier d'intellectuel, il l'a construit dans la distance et le jugement. A l'indépendance, il a mis son grain de sel d'engagement social dans son domaine : le débat d'idées. C'est au plus fort des tensions politiques et sociales de la fin décennie 70 – au moment où l'indépendance était mise à l'encan - que justement Lacheraf a donné le meilleur de ce qu'un pays peut attendre de ses intellectuels : des idées à mettre en action. Autant les idées que les actions, Mostefa Lacheraf, ministre éphémère de l'Education, les a mises au service de sa nation pour tenter d'organiser un sauvetage singulier et phénoménal, celui de l'école algérienne. Nous savons, parce que nous en observons les réalités toujours plus implacables d'expression, trois décennies après les conséquences désastreuses vécues, ce qu'il est advenu de ce sauvetage avorté : l'école, le lycée et l'université apprennent à vivre le déluge, et de préférence lui survivre sans le savoir. Des larmes de crocodiles apparatchik couleront sur Lacheraf, comme de tradition, mais il nous faudra bien poser la question de comment, bon Dieu, Moh Cherif Kharroubi a pu remplacer « normalement » Lacheraf à la tête du ministère de l'Education nationale.