Mostefa Lacheraf a tiré sa révérence le 13 janvier. Il est de ceux qui ne laissent guère indifférent. Décrié par les uns qui voient en lui l'idéologue attiré d'un système, il sera célébré par d'autres pour sa culture et son « don de l'ubiquité ». Homme d'appareil, Lacheraf aura réussi à se distinguer et à s'opposer par moments aux choix de ses pairs du système du parti-Etat dans lequel il a toujours évolué. Il en gardera néanmoins l'amère expérience en se rendant à l'évidence que le Pouvoir ne se réforme pas de l'intérieur. Natif de Sidi Aïssa, à M'sila, ce fils de magistrat fréquentera l'école coloniale dont il a su tirer tous les avantages. Du lycée de Ben Aknoun et Thaâlibia, il rejoindra par la suite la Sorbonne. De ce parcours atypique pour l'époque, il conservera une culture où le passé grec et celui antéislamique font bon ménage. Le goût qu'il a pour les livres le conduira plus tard à acheter la bibliothèque du peintre Dinet. L'arraisonnement par les autorités françaises du DC3 d'Air Atlas reliant Rabat à Tunis le trouvera parmi les historiques du FLN, parti auquel il a adhéré sans gêne, puisqu'il était membre du PPA depuis 1939. Emprisonné aux Baumettes, à Fresnes et à La Santé, il sera libéré en 1961 pour des raisons de santé et placé en résidence surveillée. Une fois libéré, il rejoindra Le Caire ensuite la Tunisie où il intégra le CNRA. Lacheraf a occupé plusieurs postes dans l'Algérie indépendante. Plusieurs fois ambassadeur, il sera le conseiller de Houari Boumediène aux problèmes culturels et politiques avant d'être nommé ministre de l'Education. L'homme connu pour avoir été l'un des rédacteurs du programme de Tripoli de mai 1962, mais surtout de la charte de 1976, aura aussi ses coups de gueule. Remonté contre la tournure « baâthiste et conservatrice » prise par le système, il démissionnera de son poste et poursuivra sa carrière dans la diplomatie avant de se retirer des affaires. Il est nommé en 1992 par Boudiaf au Conseil consultatif national (CCN). D'ailleurs son enterrement coïncide avec le jour commémorant le retour de Boudiaf, soit le 16 janvier 1992. Pointilleux et fécond, Lacheraf l'est assurément. Ses phrases proustiennes font dire à certains que l'homme est resté sur ces vieux réflexes. Le politique n'a pas pour autant fait oublier l'intellectuel et l'écrivain au long cours qu'il était. Son livre Algérie, nation et société est de ces livres essentiels qui jettent une lumière autre sur cette Algérie dont il voulait « décoloniser » l'histoire. Des noms et des lieux, autre ouvrage fécond qui finira par le réconcilier avec ces lieux dont il veut perpétuer les noms.