Parmi les dossiers délicats que l'ancien président du Conseil italien Silvio Berlusconi a légué volontiers à son successeur Romano Prodi, figure le projet américain de la construction d'une deuxième base militaire, à Vicenza. Cette prospère ville de Vénétie abrite déjà l'une des sept bases de l'armée des USA installées sur le territoire italien. La caserne d'Ederle accueille actuellement 2750 soldats de la 173e brigade aéroportée (qui en compte 1800 autres déployés en Allemagne et qui rallieront Vicenza). Le Trésor américain dépensera 500 millions de dollars pour faire de cette base une plateforme stratégique de l'US Army, à partir de laquelle elle peut préparer et lancer des opérations militaires en Afrique et au Moyen-Orient, surtout en Irak, comme ce fut le cas des opérations menées en Afghanistan et avant au Kosovo. D'ou l'acharnement de la Maison-Blanche pour arracher rapidement un accord à Rome. Prodi devait annoncer sa décision, hier, lors du conseil des ministres, mais mis sous pression par les Américains, qui ont fait comprendre par le biais de leur ambassadeur à Rome, Ronald Spogli, qu'ils escomptaient obtenir le feu vert dès cette semaine, Prodi a cédé. Il faut dire que l'opposition de droite l'avait également mis au pied du mur dans cette affaire, l'accusant de suivre une politique étrangère « anti-américaine et pro-arabe ». Ce qui explique que le chef du gouvernement ait surpris ses alliés et ses adversaires, en annonçant, mardi, à partir de Bucarest, où il se trouvait en visite officielle, son approbation pour le projet de construction de la base Dal Molin, au niveau de l'aéroport militaire de Vicenza, provoquant une vague de contestations. Une centaine de députés issus des parties d'extrême gauche (communistes, Verts) et même de son propre courant politique comme les démocrates de gauche ont exprimé leur opposition à cette initiative. Prodi s'est défendu en expliquant qu'il n'a fait que respecter l'engagement pris par l'ancien gouvernement. Mais cela n'a pas convaincu ses alliés qui ont annoncé leur volonté de bloquer, au Parlement, le décret portant financement de la mission du contingent italien en Afghanistan dans le cadre de la mission de l'Otan, Isaf. Même un homme politique pro-américain convaincu comme le leader des Verts Alfonso Pecoraro Scanio, a critiqué la décision de Prodi. « Je suis contre l'élargissement de la base américaine de Vicenza. Il est absurde qu'en 2007, alors que la guerre froide est finie, on autorise l'élargissement d'une base militaire dans un centre urbain habité. » Les habitants de Vicenza ne comptent pas fléchir leur mobilisation et menacent de bloquer la ville si le gouvernement ne revient pas sur sa décision. Plusieurs centaines d'entre eux, qui sont inscrits aux partis de centre gauche, au pouvoir, ont renvoyé leurs cartes d'adhésion aux partis coupables, selon eux, de « les avoir trahis ». Les plus ironiques ont scandé des mots d'ordre du genre, « Prodi est devenu fou, la gauche n'existe pas ». Les commerçants de la ville ont, eux, offert aux manifestants leur stock de tomates mûres, dont la pulpe a été immortalisée sur les murs du Palais de la municipalité de Vicenza. En Italie, l'armée américaine dispose de 15 500 soldats, répartis entre les bases de Aviano (Pordenone), la plus grande, où des bombes nucléaires seraient stockées selon les activistes pacifistes, la base de Camp Derby (Pise) qui abriterait des engins atomiques, celle de Naples, de Sigonella (Sicile), de Sassari (Sardaigne) et de Gaeta, au sud de Rome et de Vicenza.