Le climat se dérègle, l'eau douce devient rare, le désert avance, les espèces s'éteignent, et on se demande quand le ciel nous tombera sur la tête. Les multiples et incessantes atteintes à l'environnement avec leurs conséquences désastreuses et parfois irréversibles ont démontré qu'il y a péril en la demeure humanité. Il est urgent de prendre conscience de l'impérieuse nécessité à réagir car les phénomènes environnementaux, tels que l'effet de serre, la prolifération des polluants de toutes sortes ou l'érosion de la diversité végétale et animale menacent l'équilibre planétaire. La fonte des glaciers du pôle Nord, les inondations spectaculaires en Europe et, récemment chez nous, les cyclones de plus en plus violents, la sécheresse actuelle témoignent de la réalité et de l'imminence du danger du réchauffement de la planète. En outre, l'interdépendance des composantes de l'environnement : air, terre, eau, faune et flore… n'étant plus à démontrer et les pollutions n'ayant pas de frontières, toute atteinte à un des éléments touche fatalement l'autre et revient par ricochet jusqu'à l'homme. Devant ce constat peu reluisant, pour ne pas dire catastrophique, de l'état de l'environnement, l'université ne peut rester spectatrice en considérant, comme le pensent encore beaucoup, que les questions environnementales sont réservées aux amoureux de la nature et collectionneurs de papillons et plantes sauvages. En effet, la protection de l'environnement n'est pas un phénomène de mode ni une préoccupation de riches car à côté de la pollution engendrée par l'opulence dans les pays dits riches, n'y a-t-il pas une autre plus criante et bien plus grave née de la misère, de l'ignorance et du sous-développement dans les pays dits sous-développés ? La rareté et la qualité de l'eau, la question problématique des déchets, la désertification, la déforestation, la perte de la biodiversité sont quelques-uns des défis auxquels sont confrontés les pays du sud dont l'Algérie. C'est à ce titre que l'université algérienne doit s'impliquer dans des actions à la hauteur de ces défis de l'heure (1) . Par conséquent, cette institution du savoir a le devoir de considérer les questions liées à l'environnement comme faisant partie de ses préoccupations premières. Plus, il est même nécessaire qu'elle soit à l'avant-garde de celles-ci car elles posent des problématiques multiples qui sont non seulement celle de la dégradation progressive du cadre de vie du citoyen avec toute la panoplie des conséquences sur le milieu et la santé, non seulement celle du développement car la protection de l'environnement est une condition sine qua non du développement économique mais aussi et surtout celle de la menace de la survie de toutes les espèces vivantes sur terre, y compris l'homme. Comme disait si bien un chef indien de Seattle en 1890 : « ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. » (2) Or, dans l'état actuel des choses, si on faisait un bref état des lieux de l'enseignement des matières relatives à l'environnement, à l'université, on constaterait que les programmes enseignés ça et là réservent une part infime à ce dernier (biologie, agronomie,…) avec absence totale dans beaucoup de filières (droit, certaines filières technologiques, sciences sociales… A titre d'exemple, les programmes officiels des facultés de droit qui sont logiquement concernées par « le droit de l'environnement » ne contiennent aucune matière de législation environnementale, alors que sous d'autres cieux, le droit de l'environnement commence à recevoir ses lettres de noblesse. A la Faculté de droit de Tizi ouzou, seules la bonne volonté et la prise de conscience de quelques rares enseignants quant à l'apport du droit pour la protection de l'environnement ont abouti à la soutenance de mémoires de magistère en droit de l'environnement, en plus d'une timide « incursion » qu'il faut saluer en post-graduation. A ce sujet, il est de notre devoir d'enseignant d'attirer l'attention du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique sur l'urgence d'intégrer le droit de l'environnement interne et international dans le cursus des sciences juridiques ainsi que dans toutes les filières liées à l'environnement. Par ailleurs, les programmes de la Faculté des sciences biologiques et agronomiques réservent une spécialité entière à l'écologie et à l'environnement qui inclut une matière de législation dans deux options et quelques chapitres dans d'autres. Cependant, ces programmes gagneraient à être réactualisés pour être en harmonie avec la nouvelle approche qui consiste à appréhender les phénomènes environnementaux dans leur globalité et non en secteurs distincts les uns des autres. En réalité, toutes les spécialités sont concernées. Sans prétendre établir une liste exhaustive des différentes spécialités, nous essayerons sommairement de montrer comment les différentes filières universitaires existantes sont impliquées dans les questions environnementales. 1- Dans le domaine que nous connaissons le mieux, à savoir le droit, le juriste est concerné dans tous les aspects relatifs à la réglementation environnementale aussi bien au niveau interne qu'international. En effet, les instruments juridiques de protection de l'environnement foisonnent aussi bien au niveau international où ils avoisinent le millier (convention sur la protection de la biodiversité, désertification, changements climatiques, convention sur les polluants organiques persistants…) qu'au niveau interne, (loi sur la protection de l'environnement à portée générale, code forestier, code des eaux, loi sur la chasse…) avec toute la panoplie des textes d'application. Cette multitude d'instruments juridiques exige des réflexions et des études qui pourraient contribuer à apporter des éléments de réponses aux nombreuses interrogations suivantes : pourquoi malgré la convention sur la désertification, les déserts avancent ? Malgré, le protocole de Kyoto, le réchauffement climatique est devenu une réalité palpable ? Malgré l'adoption de la convention sur la biodiversité, les espèces continuent à s'éteindre ? Malgré la loi de 2003 sur le développement durable, on continue inexorablement à surexploiter les ressources naturelles et à réduire nos espaces verts à leur portion congrue ? 2- La biologie et l'agronomie dont l'objet d'étude sont la faune et la flore ne cessent d'alerter l'opinion sur l'extinction de plusieurs espèces d'entre elles. De plus, les chercheurs de ces disciplines sont interpellés sur leur responsabilité scientifique quand ils mettent au point de nouvelles techniques susceptibles de porter atteinte à l'environnement et à la santé humaine, tels que les organismes génétiquement modifiés (OGM) (3) ou le clonage. 3- l'écologie, en étudiant les relations des espèces vivantes entre elles et avec leur milieu, met en évidence la dégradation croissante de ce dernier. Elle peut ainsi proposer des solutions pour contrer les multiples menaces qui pèsent sur les écosystèmes. Les ouvrages de François Ramade, professeur émérite en agronomie, sont des outils de référence irremplaçables et témoignent de l'apport de la recherche dans ce domaine pour orienter les actions en faveur de protection de l'environnement (4). 4- La chimie, quant à elle, qui étudie la matière et ses transformations, comporte une spécialité à part entière, à savoir la chimie de l'environnement. Cette dernière a pour objet d'étude, les substances chimiques et leurs interactions dans les écosystèmes. Les intitulés de ses ramifications très nombreuses, tels que les cycles naturels, l'effet de serre, la pollution atmosphérique, les pluies acides, le traitement des déchets…, traduisent l'implication de cette branche dans les questions environnementales. C'est sur la base des travaux et recherches effectués dans cette discipline que le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a établi un Registre international des substances chimiques potentiellement toxiques (RISCPT) qui constitue un document de référence international à ce sujet (5). 5- La géologie et la géophysique, en étudiant l'origine, la nature et l'évolution de la planète, nous renseignent sur son état de santé et mettent ainsi en évidence les facteurs qui affectent son équilibre (érosion, désertification, séismes, volcans …). Les géophysiciens et géologues sont d'ailleurs de précieux collaborateurs lors de l'élaboration des législations environnementales, tels que celles relatives aux gaz à effet de serre (GES), ou la convention sur la lutte contre la désertification. 6- L'architecture, qui est l'art de concevoir et de construire les édifices, propose des schémas d'aménagement du milieu naturel ou urbain qui doivent tenir compte d'une multitude de facteurs environnementaux (sols, espaces verts, climat...). 7- Le génie civil étudie les données concernant la conception d'ouvrages divers au bénéfice de la collectivité, habitations, irrigation d'envergure, transport, systèmes d'adduction d'eau… ces ouvrages doivent s'intégrer dans l'environnement naturel sans le défigurer ni l'endommager et avec des moyens devant faire le moins de pression possible sur les ressources environnementales (espaces, matériaux, eau…). 8- L'économie, qui analyse et recherche les « lois » des mécanismes de production, de consommation et d'échange des biens et services, intègre les politiques environnementales dans son objet d'étude. Celles-ci doivent désormais tendre à la réalisation d'un développement durable (6) basé sur l'utilisation rationnelle des ressources naturelles avec le souci de léguer une planète viable aux générations futures (7). 8- La recherche en médecine révèle de multiples maladies qui sont le résultat de dégradations environnementales (allergies, cancers, typhoïde, stress…). La santé environnementale est définie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme comprenant « les aspects de la santé humaine y compris la qualité de la vie qui sont déterminés par les facteurs physiques, biologiques, sociaux et psychosociaux de notre environnement » (8). D'autre part, des recherches récentes ont mis au point une discipline nouvelle appelée naturopathie (chemin vers la santé) qui tient en compte de la nature comme remède à de multiples maladies (9). Elle faciliterait les mécanismes naturels curatifs de l'organisme en éliminant les déchets et les toxines (10). Par ailleurs, d'autres recherches dans le domaine médical proposent des remèdes quelquefois controversés en raison de leurs effets jugés néfastes sur l'environnement et sur la santé humaine (11). C'est dire que la médecine est intimement liée aux préoccupations environnementales. 9- Même la philosophie est impliquée car elle s'interroge sur la relation entre l'homme et son environnement. Pour Hans Jonas, le célèbre philosophe allemand : « la nature qui est en nous est la même que la nature hors nous. » (12) Par conséquent, quand nous protégeons l'une, nous préservons l'autre. 10- Les sciences religieuses ne sont pas en reste car pratiquement toutes les religions du monde permettent des interprétations imposant le devoir de sauvegarder l'environnement (13). Ainsi, en matière d'environnement, comme le dit l'adage : « il faut saisir mille tiges d'ortie à la fois. » Par conséquent, la protection et la préservation de l'environnement exigent, pour être efficaces, une approche pluridisciplinaire vu l'interdépendance de ses multiples éléments (14). Un pôle de l'environnement dans chaque université qui regrouperait l'ensemble de ces spécialités viendrait donc à point nommé pour répondre à ces différentes préoccupations et coordonner les efforts fournis ça et là par les nombreuses disciplines scientifiques. Cela conduirait, dans un premier temps, à promouvoir la recherche scientifique dans ce domaine par l'encouragement des étudiants et enseignants chercheurs à travailler sur des thèmes y afférent, et par l'ouverture d'axes de recherche pluridisciplinaires qui pourraient aboutir à l'initiation d'actions à mettre en œuvre sur le terrain. Dans un deuxième temps, il s'agit pour l'université de s'impliquer davantage dans la formation des métiers et professions liées à l'environnement en diversifiant les spécialités et en fournissant les ressources humaines nécessaires à la gestion et à la préservation de ce dernier. C'est le défi que doit se lancer l'université algérienne en assumant ainsi le rôle qui est le sien, à savoir être l'initiatrice d'une dynamique de réflexion autour des nombreuses ramifications qu'impliquent les questions environnementales, et sur les meilleures voies à emprunter pour apporter une contribution efficace à la lutte contre les pollutions et la protection des milieux naturels. Ainsi, elle assumerait sa part de responsabilité en apportant son éclairage scientifique en sa qualité d'institution du savoir. Elle pourrait, de ce fait, se faire une place parmi les autres universités et être au diapason des nouvelles donnes internationales. Notes et références : (1)- Il est souhaitable, dans un premier temps, que nos chercheurs s'impliquent dans le débat actuel relatif aux changements climatiques que certains imputent aux activités humaines alors que d'autres estiment liés à des phénomènes naturels non imputables à l'homme. (2) Lavieille Jean-Marc, Le droit international de l'environnement, éditions ellipses, Paris 1978 (3) De La Perrier, Robert Ali Brac, Prat Frédéric, Risques de contamination dans les campagnes in Le Monde diplomatique, avril 2006 (4) Ramade François, eléments d'écologie : écologie appliquée, 5e édition, Editiscience International, 1995 (5) Voir site Internet du Programme des Nations unies pour l'environnement : PNUE : http://www.unep.org (6) Article 4 de la déclaration de Rio adopté en 1992 : « Pour parvenir à un développement durable, la protection de l'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément. » (7) Rapport Bruntland, Notre avenir à tous, édition du fleuve, Montréal, 1998 (8) OMS, Santé Environnement, problèmes et méthodes, 1993 (9) Benamara Salem, le jeûne et le concept de la naturopathie in le quotidien El Watan du 17 octobre 2006 (10) Magny J. C., la naturopathie apprivoisée, édition Mortagne, Canada 1996) (11) Apoteker Arnaud, De l'utopie scientifique au risque sanitaire in Le Monde diplomatique, avril 2006 (12) Hans Jonas, Le principe de responsabilité, 2e édition Le Cerf, 1993 (13) Kiss Alexandre, Emergence des principes généraux du droit de l'environnement et d'une politique de l'environnement, in Sebbes 1996. (14) Naïm-Gesbert Eric, les dimensions scientifiques du droit de l'environnement, contribution à l'étude des rapports de la science et du droit, Bruylant, VUP Press, 1999. L'auteure est enseignante-Faculté de droit Université de Tizi Ouzou