Les mots sont des vêtements de lettres, souvent des uniformes. Ce sont de faux amis aussi, souvent des séducteurs, parfois de fieffés menteurs. Mais, on aurait tort de retenir à leur encontre des griefs qui ne peuvent concerner que ceux qui les utilisent. La preuve, c'est encore avec des mots que l'on peut dénoncer les traîtres mots. Ainsi, avant d'être un magnifique édifice culturel, le Musée du Quai Branly à Paris (voir ci-contre) s'est construit sur une querelle de mots. Comment désigner ses collections ? « Art primitif » ? « Art tribal » ? « Art sauvage » ? Ça vous sent trop son missié miam miam banania pas mangé. « Art des origines » ? Comment expliquer alors que la préhistoire européenne, n'en fasse pas partie quand l'homme — ou la femme, pardon Lucy — est censé être apparu en Afrique ? Il aurait fallu que les fresques de la grotte de Lascaux côtoient celles du Tassili et du Matobo (Zimbabwe), ces dernières d'ailleurs si ressemblantes ! « Mauvaise médecine pour homme blanc », comme disaient les Indiens des westerns. On a alors trouvé ce label des « arts premiers ». Premiers par rapport à quoi ? Par rapport à l'invention de l'écriture et donc au début de l'histoire ? Or les pièces concernées s'étalent au-delà de la Préhistoire. Par rapport à l'intrusion de l'Europe aux Amériques, en Afrique et en Asie ? Parasites sur les fréquences. Les doux euphémismes sont souvent de perfides poignards qui peuvent se retourner. Premier était encore trop proche de primitif. On a alors décidé de ne pas nommer le musée sinon par son emplacement, le Quai Branly, ce dernier étant, comme chacun le sait, l'inventeur du tam-tam chez les Mandingues. Ce revirement est typique des nouveaux usages du français (Tenez ces femmes de ménage bombardées « techniciennes de surface » quand le préjugé à leur égard ne venait pas des mots, mais de ceux qui les méprisaient et continuent à le faire). Mais il est surtout révélateur d'un malaise vis-à-vis de la chose coloniale et de l'outrecuidance de pays à raison vigilants sur le piratage informatique, mais peu regardants sur l'origine de leurs trésors. Le cri de l'ancienne ministre malienne de la Culture, Aminata Traoré, pour être passionné, est fondé sur une réalité. Elle a eu l'esprit de le lancer en fustigeant aussi les gouvernants des pays d'où proviennent ces pièces et pour lesquels les « arts premiers » sont le dernier des soucis.