Situé à la sortie nord du domaine Bouchaoui, dans la commune de Chéraga, le lieu regroupe une population hétérogène constituée d'ouvriers journaliers du bâtiment, d'employés de Netcom, de beaucoup de chômeurs... et de quelques propriétaires de minibus de transport public. « La première baraque a été construite en 1973 par le défunt notre père qui était employé comme ouvrier agricole au domaine Amar Bouchaoui. Jusqu'en 1989, nous étions les seuls à occuper les lieux. Mais, depuis, des dizaines d'autres familles sont venues s'y installer », nous apprend Belgacem, maçon de son état qui vit ici avec sa petite famille, à côté de ses 5 frères, tous mariés, parents d'une nombreuse progéniture. « C'est entre 1994 et 1995 qu'il y a eu le plus grand nombre de nouveaux venus ; tous les espaces libres ont été squattés par des familles fuyant le terrorisme qui sévissait dans les zones rurales de Médéa, Aïn Defla, Chlef ou Bouira... » Certaines de ces familles déplacées sont très pauvres, ne vivant d'ailleurs que grâce à la mansuétude de leurs voisins, d'autres très aisées, comme l'attestent les autobus presque neufs garés devant leurs logis. Selon les jeunes du bidonville, « ces familles peuvent même se permettre des villas à Hydra, mais elles préfèrent loger ici gratuitement ». Mais pour le moment, riches et pauvres vivent dans des conditions d'insalubrité extrême : il n'y a ni réseau d'évacuation d'eaux usées ni eau courante. « Tout le monde s'approvisionne chez une famille voisine qui dispose de l'eau courante et qui a permis un piquage sur la canalisation qui l'alimente. Par contre, tous les gourbis ou presque sont raccordés au réseau électrique », nous dit un jeune plombier rencontré sur les lieux. Les maladies infectieuses font des ravages parmi les enfants, lesquels pataugent à longueur de journée dans les flaques d'eau nauséabonde dans les rares espaces inoccupés, des mouchoirs de poche délimités d'un côté par une longue barrière métallique et de l'autre par l'ancienne muraille du domaine La Trappe. Le centre de santé de Bouchaoui ne désemplit presque jamais et quand le médecin affecté à la structure est absent, ce sont les services de la polyclinique de Staouéli qui sont sollicités. Belgacem jure qu'il lui arrive de dépenser tout ce qu'il gagne dans l'achat de médicaments pour ses enfants. Des médicaments dont il ne peut prétendre au remboursement car il n'est même pas déclaré à la sécurité sociale. En 1997, la situation s'est compliquée avec l'arrivée de gros bonnets qui ont carrément pris possession des terres fertiles entourant le bidonville. Une clôture de plusieurs centaines de mètres empêche les habitants d'accéder directement au centre de Bouchaoui ; il leur faut effectuer un long détour pour y arriver. « C'est un type riche qui s'est approprié 14 ha d'un coup, sans consulter personne. Les exploitants de la parcelle de terrain n'ont pu s'opposer à ce coup de force ». Tahar se rappelle très bien de cet après-midi où « des hommes armés et bien habillés » sont arrivés à bord d'une grosse voiture grise. L'air menaçant, ils ont abordé un des membres de l'exploitation et lui ont dit : « Ou tu acceptes notre offre, ou tu vas le regretter toute ta vie. Le vieil attributaire a cédé à la peur ; il n'a plus remis les pieds sur sa parcelle de terre. » Et c'est ainsi que plusieurs exploitations ont changé de propriétaires. Aujourd'hui, des hectares de terres fertiles se sont transformés en aires de stockage ; d'autres sont délimités par des murs très hauts. « On ne sait ce qui se passe dedans... » Au Village noir, on n'aime pas trop s'étaler sur cet épisode fumeux de la décennie rouge. « Ce qui importe maintenant, c'est qu'il y ait des responsables qui prennent la peine de nous adresser la parole », nous dit un habitant. Car, selon les dires de toutes les personnes que nous avons rencontrées dans ce lieu sordide, les autorités ignorent superbement le Village noir et font comme s'il n'existait pas. En fait, ajouteront-ils, aucune décision les concernant n'a été prise ; ce qui accentue les angoisses des occupants du bidonville. En seront-ils délogés un jour ? Vont-ils bénéficier de logements décents ? Autant de questions qui attendent des réponses précises des autorités.