Au dix-neuvième jour du procès qui se tient au tribunal criminel de Blida, l'audience d'hier a connu quelques perturbations, avant de reprendre et de se terminer tard dans la journée. Le premier appelé à la barre est Deboub Youcef, secrétaire général de la Cosob, entendu comme témoin dans cette affaire. Il explique que la société avait un compte d'exploitation en 1999 à la BNA. Elle a placé ses avoirs, 167 millions de dinars, à El Khalifa Bank en plusieurs étapes entre 1999 et 2003 à l'agence d'El Harrach. « En 1999, la somme déposée était de 32,50 millions de dinars. Entre 2001 et 2002, il y a eu un dépôt de 50 millions de dinars. » Les placements se sont poursuivis jusqu'à 2003 », révèle le témoin. La présidente l'interroge sur une telle initiative. Deboub Youcef déclare qu'il existe une structure, la direction de l'administration juridique, qui se charge de placer les fonds lorsqu'il y a un excédent de trésorerie. Elle explore le marché pour trouver les meilleures opportunités de placement. Pour ce qui est des avantages, le témoin jure qu'il n'y avait que le souci de bénéficier des taux d'intérêts qui étaient de 9,9%. La magistrate : « Les cartes de thalassothérapie ? ». Le témoin : « J'ai reçu une fois une carte, mais je ne l'ai jamais utilisée. Je pense que c'est Sigmi, l'adjoint du directeur de l'agence d'El Harrach, qui me l'a donnée. Il avait apporté deux enveloppes comportant les noms de deux responsables, dont le mien. Il m'a dit que c'était une carte pour l'accès au club des clients d'El Khalifa Bank et leur permettre de faire du sport et de bénéficier d'une remise en forme. Il m'a même précisé qu'il allait m'appeler pour me donner la date de l'inauguration de ce club. J'ai été et il y avait beaucoup de monde. » La présidente fait remarquer qu'il devait remettre une photo et remplir un formulaire, puisque la carte est personnelle. « Je n'en sais rien… Probablement, enfin certainement, puisqu'il y a ma photo. » Il déclare ne pas savoir pourquoi son nom figure sur la liste des 39 clients de Khalifa ayant bénéficié de cette carte et pas d'autres. A la question de savoir quels sont les autres privilèges liés à cette convention, le témoin précise qu'il n'y avait rien d'autre et que lui, en tant que secrétaire général de la Cosob, n'a fait que signer la convention. « Tout le travail a été fait par le directeur de l'administration juridique de la Cosob, présidée par Chikhi Mourad, Sid Ali Boukrami et Ali Sadmi. » Le procureur général demande au témoin comment il a pu récupérer les montants placés. « En février 2003, le président m'a appelé après avoir eu écho des problèmes que traversait Khalifa et m'a donné instruction de retirer l'argent. Ce qui nous a sauvé, c'était le séisme de Boumerdès. Nous devions acheter un siège et il fallait débloquer les fonds », dit-il. Appelé à la barre en tant que témoin, Bouhada Abdennour, directeur général de la Caisse nationale de chômage (CNR) et du Fonds dgarantie des microcrédits (FGMC), fait état de graves informations relatives aux différents placements en dehors de l'accord du conseil d'administration et de la tutelle. Son audition hier, explique la présidente, est à titre d'information seulement, parce que les placements ont un lien avec l'agence d'El Harrach, en attendant les explications du premier concerné, inculpé dans cette affaire, à savoir Mehrez Aït Belkacem, en tant que directeur général de la CNR. Celle-ci dit-il, est une entreprise publique à gestion spécifique, avec un conseil d'administration de 19 membres, présidé par un secrétaire national de l'UGTA. Les placements de la caisse, à El Harrach, d'un montant de 1,87 milliard de dinars ont été effectués entre 2001 et 2003, en six étapes. La présidente interroge le témoin sur l'origine de ces fonds : « C'est une retenue obligatoire de 9% sur les salaires des travailleurs, comme assurance chômage. Tout cet argent a été perdu », lance-t-il amèrement. La présidente : « Où cet argent était-il placé avant ? » Le témoin surprend l'assistance : « A la Badr, au CPA, à la BNA et à la BEA. Celles-ci pratiquaient un taux de 6% et El Khalifa Bank nous a octroyé un taux de 11%. Les montants ont été retirés des banques publiques pour être placés à El Khalifa Bank, laquelle nous a offert après un taux de 11,25%. » Cette caisse, note le témoin, était excédentaire, elle avait atteint 1,87 milliard de dinars. L'argent transféré d'Oran vers Alger par Khalifa Airways A propos de l'initiateur d'une telle démarche, Bouhada Abdennour affirme qu'aucun procès-verbal d'une quelconque résolution du conseil d'administration faisant état de l'accord pour un tel placement n'existe. Pour lui, la décision a été prise par le directeur général en personne. Pour ce qui est du FGMC, il commence par expliquer que ce fonds prend en charge financièrement les risques indus par les microcrédits financés par les banques. Il affirme que ce dispositif a permis à 16 000 jeunes de bénéficier de microcrédits à travers le territoire national. « Nous avions 1,323 milliard de dinars en compte à la BNA que nous avons placé par la suite à El Khalifa Bank El Harrach. Toute la somme a été perdu », déclare Bouhada. Il révèle que l'ancien directeur général, Aït Belkacem Mehrez, a été suspendu de son poste en septembre 2004, quelque temps seulement après qu'il ait formulé sa demande de départ en retraité anticipée. Le procureur général demande au témoin pourquoi n'avoir pas informé la tutelle à temps. « C'est le conseil d'administration qui devait le faire, mais il ne s'est jamais réuni pour cette question… », répond le témoin. Il dit avoir entendu parler des avantages liés à ces placements qu'une fois devant le juge d'instruction. Il cite parmi ces privilèges, les cartes de thalassothérapie et la gratuité des voyages. La présidente : « Etes-vous au courant de la circulaire de 84 et les dispositions de la loi de finances 2000 qui interdisent le retrait des fonds publics du Trésor public ? » Le témoin : « Je n'étais pas en poste à l'époque et le président du conseil était Bendjillali Ali. » Maître Berghel demande au témoin pourquoi avoir bloqué le montant de la CNR et ne pas l'avoir donné aux milliers de jeunes Algériens demandeurs de cet argent. Le témoin : « Question pertinente. Comme nous sommes un service social qui agit essentiellement dans le cadre de la solidarité avec les travailleurs licenciés pour des raisons économiques d'une façon involontaire. Il y a 200 000 travailleurs qui ont bénéficié de ce dispositif pendant trois ans seulement, soit à travers, entre autres, la prise en charge des formations de reconversion… » Il affirme qu'à El Khalifa Bank, la CNR avait deux comptes, un pour le dépôt à terme et un autre, courant, pour les intérêts, alors qu'à la BNA, la caisse n'avait qu'un seul compte pour le placement et les intérêts restaient dans ce compte. Maître Meziane interroge le témoin si un jour un des membres du conseil d'administration a soulevé le problème du placement des fonds de la caisse. Le témoin : « Jamais », notant à la fin que la CNR est une société à but non lucratif. Guerss Hakim, directeur de l'agence Khalifa d'Oran, est appelé à la barre. Accusé entre autres d'association de malfaiteurs et de vol qualifié, a rejoint la banque Khalifa en septembre 1999. Avant, il avait le même poste à l'agence BDL de Ouargla, d'où il a démissionné « pour des raisons personnelles ». Son premier poste a été à Chéraga avant de prendre les rênes de l'agence Des Abattoirs. L'expertise réalisée lors du passage de l'administrateur a permis d'enregistrer un trou financier de 55,3 millions de dinars, 1,1300 million de francs français, 4000 francs belges, 50 000 lires italiennes, 100 dollars US et 20 000 euros. L'accusé conteste et déclare que ces montants ont été transférés dans le cadre d'opérations de transfert de fonds tout à fait légales. « Ce sont des sommes transférées entre 1999 et 2001 à la caisse principale sans être enregistrées. Une inspection a contrôlé l'agence et elle n'a détecté aucune anomalie. J'ai remis les procès-verbaux de constat au liquidateur », explique l'accusé. A propos des versements de l'excédent de l'agence, il affirme qu'à la BDL, cela se faisait directement au compte de celle-ci à la Banque d'Algérie. « En 1999, Khalifa n'avait pas encore ouvert un compte à la banque d'Algérie. » Une révélation qui fait réagir la présidente. « Comment l'agence activait sans un compte courant à la Banque d'Algérie ? », lance-t-elle. L'accusé : « Nous avons ouvert le 20 septembre 1999. Nous faisions uniquement les livrets d'épargne et à chaque fois qu'il y avait des dépôts ont les transférait vers l'agence de Chéraga, à Alger, puis à la caisse principale. » Il précise que ces fonds étaient acheminés vers Alger via les avions de Khalifa Airways. La présidente revient aux écritures entre siège (EES) et Guerss affirme avoir toujours transmis celles-ci avec les fonds, bien cadenassées dans un sac. Pour lui, le fait qu'aucune écriture n'est revenue, cela sous-entends qu'elles ont toutes été débouclées. « Cela relève de la responsabilité du destinataire. C'est à lui de me rejeter l'écriture, 48 heures après ou, au plus tard, un mois », fait-il remarquer. Pour ce qui est de l'accusé de réception qui lui permet de certifier que les montants sont arrivés à destination, l'accusé se montre formel. « Il n'y a aucun accusé de réception. C'est une procédure qui existe dans toutes les banques pas, seulement à El Khalifa Bank. » Il reconnaît que la direction générale d'El Khalifa Bank, « pour une raison ou une autre », n'a ouvert qu'un compte en dinars à la Banque d'Algérie, le 20 janvier 2000. « Comment faisiez-vous pour la devise ? » L'accusé : « C'étaient des chèques des déposants versés dans leurs comptes. En février 2000, nous avons reçu une instruction du PDG nous sommant de ne pas verser les dinars au compte de Khalifa à la Banque d'Algérie, mais de les transférer vers la caisse principale. Tous les jours, les convoyeurs venaient pour récupérer les fonds et les acheminer par avion sur Alger. » La magistrate : « Est-ce que Faouzi Baïchi était un convoyeur ? » L'accusé : « Non. Il était directeur général du mouvement des fonds. Il était responsable de toutes les agences. Il était chargé par le PDG de faire le ramassage de l'argent. » La colère de la présidente L'accusé se rappelle néanmoins d'une seule fois où il a remis une somme de 500 000 DA, à ce responsable. Il se rappelle, après des efforts, qu'il a eu à remette aussi une somme de 2 millions de dinars à une personne, dépêchée d'Alger par Abdelmoumen qu' il ne connaît pas, « mais il était porteur d'un ordre de mission signé par le PDG ». Il persiste à affirmer qu'il a de tout temps transmis les EES avec les fonds, ce que la présidente refuse de croire. Elle lui demande de parler des sommes remises à Baïchi. « Un million de francs français et 50 000 FF. Le PDG m'a donné des instructions pour exécuter les ordres de Baïchi comme s'ils étaient les siens. » La juge : « Est-ce qu'à la BDL ça fonctionne comme cela ? » L'accusé : « C'est autre chose. » La juge : « Est-ce que Baïchi était un convoyeur ? » L'accusé : « Il est venu sur instruction du PDG. » La magistrate l'interroge sur le montant des 13 000 francs français remis à Baïchi. « J'ai reçu un fax du PDG dans mon bureau et dans celui de Khalifa Airways, nous informant qu'il faut remettre un montant de 13 000 FF aux 26 joueurs du Mouloudia d'Oran, soit 500 FF pour chaque joueur, dans le cadre du sponsoring. Le lendemain, l'équipe est partie à bord de Khalifa Airways en Mauritanie pour jouer un match. » La présidente : « Qui est la Radieuse ? » L'accusé : « Une association sportive, dont le président venait souvent pour la réalisation d'un mémorial du père de Moumen. Il a eu un chèque de Khalifa Airways de l'ordre de 2 millions de dinars. » L'accusé récuse la somme de 20 000 euros comptabilisés comme étant un déficit, du fait explique-t-il, « qu'à cette époque, nous avions en caisse 46 000 euros, et nous ne pouvions donc faire un appel de fonds ». Il estime que les écritures en suspens ne relèvent pas de sa responsabilité, mais de celle de la caisse principale. « Sous quel chapitre allez-vous inscrire par exemple les 13 000 FF ? » demande la juge. L'accusé : « C'est la direction générale qui s'occupe de cela. » Il note toutefois que l'existence du compte d'ordre, il ne l'a su qu'une fois au tribunal. La présidente appelle Akli Youcef, le caissier principal, pour une confrontation. Son avocat, Me Ali Dilem, proteste et lance : « Vous l'appelez à chaque fois, alors que le chapitre de la caisse principale est clos. » La présidente : « Vous n'avez pas respecté les règles d'intervention. Vous devriez demander la parole avant. Le tribunal est souverain pour interroger les témoins et les accusés à chaque fois que cela est nécessaire. » Maître Dilem se met en colère et exhibe une liste de noms de bénéficiaires des mastercard qui met sur le pupitre du tribunal. « Je voudrai que vous convoquiez toutes ces personnes. C'est un procès d'Etat (…) J'ai l'impression que vous voulez leur couper la tête, mais je veux entendre ceux qui sont partis à Honk Kong (…) C'est votre procès. » Des propos très mal perçus par la présidente qui exige de l'avocat de les retirer. « C'est le procès de tous les Algériens et je voudrai que vous retiriez vos propos, sinon je prendrai les mesures qu'il faut », déclare la présidente d'une voix coléreuse. L'avocat, en dépit des appels au calme de ses aînées, et au moment où tous ses confrères attendaient qu'il retire ses propos, s'avance vers le tribunal et déclare : « Je ne retire pas mes propos. » La présidente prend acte et décide d'engager la procédure qu'il faut. Le procureur général intervient et tente de calmer les esprits. « Depuis le début, nous avons travaillé dans un climat serein, il ne faut pas que quelques perturbations puissent porter atteinte à ce climat. » Les mêmes déclaration sont faites par maître Berghel qui reconnaît « la sagesse » de la présidente . La présidente : « J'ai appelé Akli Youcef avec respect pour l'interroger sur les aspects techniques pas plus et j'ai le droit de le faire afin qu'il nous éclaire. J'ai du respect pour tout le monde et je veux qu'il en soit de même de votre part . » Elle lève l'audience pour 20 minutes. Maître Dilem quitte la salle en lançant aux journalistes : « Je vous ai donné de la matière. Vous êtes contents maintenant ? » Après une médiation du procureur général et de maître Boulefrad du barreau de Blida, l'audience reprend. Maître Boulefrad prend la parole. Il reconnaît que la police d'audience revient à la présidente et si un écart de langage a échappé à un de ses confrères ce n'est pas la fin du monde. Il informe que le bâtonnat compte se réunir sur cette question. Maître Dilem se présente et accepte de retirer ses propos en présentant ses excuses, « si bien sûr, ils ont offensé le tribunal ». La présidente appelle Akli Youcef. Ce dernier est formel. Les écritures qui lui parvenaient de l'agence d'Oran n'étaient pas accompagnées de fonds. Elles lui parvenaient presque un mois plus tard, soit par courrier, soit par porteur. Il explique qu'il les a laissées en suspenset en a même parlé au PDG qui lui a dit de les laisser en instance. « S'il m'avait demandé de les comptabiliser, je l'aurais fait. Mais il ne me l'a pas fait » , explique Akli Youcef. Affirmation contestée par l'accusé Guerss. A propos des taux de placement accordés aux clients, il explique que souvent ces derniers viennent lui demander d'augmenter le taux eu égard à ceux pratiqués ailleurs. « Nous comptabilisons l'opération à notre niveau et on demande à la direction générale l'accord. Une fois acquis, les intérêts sont augmentés de 1%. Nous leur donnons un taux provisoire avant de leur accorder le vrai lors du renouvellement de la convention de placement. Ce taux est de 10,75% », déclare l'accusé. Il déclare que l'OPGI d'Oran avait déposé 1 milliard de dinars, et celle de Aïn Témouchent, 159 millions de dinars, alors que le bureau d'études de la wilaya d'Oran avait mis 200 millions de dinars. Il nie que d'autres avantages ont été accordés aux dépositaires. Le procureur général demande pourquoi les intérêts sont accordés aux personnes physiques, les PDG et les directeurs financiers et non pas les personnes morales. « C'est l'état de l'informatique qui donne ces noms. Les intérêts sont accordés aux sociétés », répond l'accusé. Il l'interroge sur un certain Thabet Lahbib, patron de la société de bière à Oran, chez lequel il allait souvent, non pas pour l'encourager à placer les fonds de sa société, mais pour prendre de la levure de bière dont il avait besoin. A propos de Djebari Youcef, le procureur déclare qu'il lui aurait remis 300 000 DA en 2001, 1,5 million de dinars en 2002 et 1,6 million de dinars à la fin 2002. « Ce sont des placements en plusieurs étapes. » Acculé sur la question de l'absence de compte en devises dans certaines agences, l'accusé affirme que « même dans les banques publiques, à la BDL par exemple de Staouéli, il y avait eu un blocage du commerce extérieur un jour, et nous avons envoyé les devises au niveau de celle de Zéralda ». A la fin de ses propos, l'accusé lance un pavé dans la mare en affirmant que le jour même des passations de consignes avec les représentants de la liquidation, des documents ont été détruits les présentant comme non importants au début avant de se rétracter. Une affirmation qui pousse l'avocat de la liquidation à insister sur cette question, mais sans arriver à des réponses claires.