La Caisse nationale d'assurance-chômage a laissé des plumes, et pas des moindres, après les dépôts effectués par ses responsables auprès de l'agence d'El-Harrach d'El Khalifa Bank. En tout, cent quatre-vingt-sept milliards et cinq cent quatre-vingt-huit millions de centimes déposés en trois fois, le dernier datant du 28 octobre 2002. Cet argent provient, précisera Abdenour Bouhada, directeur général par intérim de la Cnac, depuis septembre 2004, entendu hier en qualité de témoin, du prélèvement obligatoire de 9% sur les salaires et devant servir à couvrir les prestations chômage. “L'argent a été perdu en intégralité.” Il était auparavant déposé auprès des banques publiques. “Les taux d'intérêt pratiqués par les banques publiques étaient à l'époque de l'ordre de 6%, alors que KB offrait 11 à 11,25%”, précisera-t-il. Le montant déposé au titre de la Cnac représente près de 30% du montant global des fonds détenus par l'organisme de Sécurité sociale. Le transfert a été effectué sans l'approbation des 19 membres du conseil d'administration. “Tous les PV du conseil ont été vérifiés. Il n'y a pas eu accord préalable des membres pour les dépôts, et aucun PV ne fait référence à ça”, dira le responsable de la Cnac précisant que l'ordre a été signé par les anciens DG et directeur financier. Ces derniers sont accusés dans cette affaire. Dans le cas de l'organisme, le préjudice ne s'arrête pas aux montants déposés au titre de la Cnac. Le Fonds de garantie des risques de microcrédits créé en 1999 pour couvrir les prêts octroyés dans le cadre de ce dispositif d'insertion a également été touché. Il avait permis à 16 000 chômeurs de bénéficier à l'époque des prêts de la BNA et de KB. “On avait de l'argent placé au niveau de la BNA. L'intégralité de la somme a été déposée auprès de KB. Soit 132 milliards et 386 millions de centimes.” Perdu dans son intégralité. Le dommage est double, celui de la Cnac et celui du Fonds de garantie pour un montant excédant les 319 milliards de centimes. La caisse n'a rien pu récupérer. La Cosob s'en tire par contre à moindres frais. Le tribunal a entendu le témoignage de Youcef Debouba, secrétaire général de la Cosob. L'organisme de contrôle des opérations boursières a déposé de l'argent à KB dès 1999, alors que depuis sa création en 1997 ses dépôts s'effectuaient auprès de la BNA. Arrivé en 2000 avec la nouvelle direction, le témoin dira que leurs prédécesseurs avaient pris l'initiative. Les taux d'intérêt des placements étaient de 9,9%. Progressivement les dépôts ont atteint 12% puis 27% des fonds, 286 millions de DA, détenus par la Cosob. En 1999, la Cosob a placé, selon lui, 32,5 millions de DA auprès de KB, soit 12% de ses fonds. Entre 2001 et 2002, elle a placé 50 millions DA et de 2002 à 2003, elle a placé 117 millions de dinars. Entre juillet 2002 et décembre 2002, un total de 43 millions DA a été également déposé. Seule différence, la commission a retiré ses dépôts en février 2003 avant l'arrivée de l'administrateur. “Nous avons retiré tout l'argent”, dira Youcef Debouba ajoutant à Me Meziane qui l'interrogeait sur “s'ils avaient des données sur cette période suspecte” que “le président de la Cosob a senti, a entendu et probablement su…” Après l'agence d'El-Harrach, le tribunal est passé à l'agence d'Oran. Son directeur Hakim Guers est accusé dans cette affaire. Un trou de 49 milliards de centimes a été trouvé. Pour le directeur, il ne s'agissait pas de “trou”. “Ces montants ont été envoyés à la DG de Chéraga de 1999 à janvier 2003, mais ils n'ont pas été enregistrés à leur niveau.” Différents incidents ont émaillé la journée. Notamment entre la présidente du tribunal et certains avocats de la défense. Me Youcef Dilem explosera alors que la magistrate convoquait une nouvelle fois son client, Akli Youcef pour confronter ses dires avec ceux du directeur de l'agence d'Oran. “Il ne s'agit pas du procès de la caisse principale puisque vous parlez de l'agence d'Oran… Ce procès ressemble aux procès des coups d'Etat africains, aux procès des lobbys africains... C'est votre procès... Vous ne dirigez pas le bon déroulement de l'audience, vous orientez le débat”, dira l'avocat. La présidente exigera des excuses et le retrait immédiat des propos tenus par l'avocat. “Vous n'êtes pas plus nationaliste, j'ai 24 ans de magistrature... Retirez vos propos”, demandera la magistrate. Une requête rejetée par l'avocat qui refusera de s'y plier. “Vous ne cherchez pas la vérité. Convoquez ceux qui sont sur cette liste, convoquez ceux qui sont dehors”, dira-t-il lui lançant un papier. La présidente a rejeté la liste. “Je ne suis pas là pour régler le problème de Khalifa. Je suis là pour régler seulement le volet de l'affaire Khalifa lié à la caisse principale, et tout le monde dont vous parlez ne m'intéressent pas. Ce qui m'intéresse, c'est que justice soit faite pour tous les inculpés présents dans le box des accusés.” La présidente a quitté la salle suivie du tribunal. Vingt minutes. Il a fallu l'intervention des collègues et des bâtonniers pour que l'audience reprenne. Le bâtonnier de Blida a d'ailleurs présenté des excuses au nom de la défense dans son ensemble. L'avocat s'est excusé d'avoir pris la parole sans l'avoir demandée au préalable, laissant à l'appréciation de la présidente de retirer les propos qui l'ont offensée. Un autre incident a eu lieu en fin d'après-midi lorsque le tribunal a entendu le directeur de l'agence des Abattoirs à Alger. Me Mokrane Aït Larbi n'a pas manqué de relever un point de droit, il n'arrivait plus à faire la distinction entre l'interrogatoire du tribunal et du parquet, rappelant le code de procédure pénale et le fait que le parquet n'est qu'une des parties de l'affaire. Me Boulfrad, lui, relèvera le passage des témoins avant les accusés ou encore l'absence de certains documents dans le dossier de l'affaire. “Vous m'en voyez surprise. C'est la première fois que j'entends ça. Il s'agit du même dossier que nous avons et nous vous transmettons tous les documents qui nous arrivent. Si vous ne cherchez pas, c'est autre chose. Mais moi je passe tout au crible. Je porte des lunettes depuis six mois, alors que je n'en portais pas avant”, dira la présidente du tribunal. Le moins que l'on puisse dire est la journée a été quelque peu tendue. Samar Smati