Chaque société produit ses propres contradictions, anomies et inégalités qu'elle justifie par des conventions, tout en tentant de trouver des antidotes dans son processus de construction ou de développement. La subalternité de la femme reflète cette espèce d'effilochement du tissu social et les autres inégalités officiellement légitimées. La revue d'études et de la critique sociale Naqd a consacré sa dernière édition (n° 22-23 automne-hiver 2006) au thème Femmes et Citoyenneté. Elle comporte des contributions de sociologues, juristes, philosophes, entre autres, à ce sujet. Une question qui reste d'actualité notamment en Algérie. En résumé, parmi ces contributions, citons, pour commencer, l'étude de la sociologue Dalila Iamarène-Djerbal « Affaire de Hassi Messaoud ». Les faits remontent au 13 juillet 2001. Ce jour-là, des femmes travailleuses subissent un lynchage collectif par une foule moralement et religieusement embrigadée pour mener une opération « d'épuration » de la ville. Y est mise en lumière l'attitude des parties concernées à l'exemple des médecins, la justice, les forces de sécurité. Laquelle se traduit par cette volonté de faire taire les victimes. Pour la sociologue, cette entreprise de lynchage est « le prix payé par ces femmes pour entrer définitivement (?) et d'une manière autonome dans un marché national du travail en voie de constitution. Le libéralisme sauvage a eu cette conséquence de propulser des individus, et par conséquent les femmes, de situation sociale précaire, aussi bien sur le plan économique que sur le plan du statut social, dans de nouvelles tentatives d'intégration sociale (P 19) ». Sachant que travailler c'est « occuper une portion de l'espace public, la prendre sur la part des hommes qui sont loin d'accepter cette nouvelle configuration d'un territoire où ils ont été maîtres pendant longtemps (P 21) ». Dans un espace aussi hostile et chamboulé, les femmes posent un nouveau problème à la communauté, celui de « l'autonomisation ». Et le « droit de violence » sur celles-ci restera la « soupape de sécurité » pour « vider de son sens politique toute revendication des citoyens à maîtriser leur existence. La communauté continuera à être régie encore et toujours par des rapports de force nue, entre personnes, entre des individus et l'Etat (P 39). » Le procès concernant ces événements est analysé par l'avocat Nasr Eddine Lezzar dans son approche « Affaire des femmes de Hassi Messaoud. Le procès du procès ». Il fait observer que dans « l'ensemble des attendus, les femmes n'apparaissent même pas comme victimes de sévices corporels ou sexuels. On ne leur reconnaît que du bout des lèvres le statut de victimes. On ne retient que la qualification de viol alors que les dommages qu'elles ont subis sont établis et les faits sont infiniment plus graves. C'est un scandale innommable sur le plan juridique : une parodie de justice (P 42) ». Il parle de procès « des lampistes et des comparses » tout en relevant les insuffisances ayant trait au droit à la défense et à l'instruction. Pour conclure : « Le dossier des femmes de Hassi Messaoud fera sans doute date dans la criminalité contre les femmes de ce pays. En la traitant de la façon avec laquelle elle l'a traité, la justice l'a banalisée à sa façon (p 46) ». La sociologue Yamina Rahou, à travers sa réflexion « Les mères célibataires : une réalité occultée », interroge les fondements de la discrimination qui frappe la femme et ce paradoxe nourri de morale, tradition et religion. Lequel consiste à incriminer dans la société algérienne la mère et à déresponsabiliser le père. Une société où la virginité des jeunes filles est un « critère préalable au mariage, symbole d'une bonne réputation de la nouvelle mariée et surtout symbole de l'honneur du groupe social. En réalité, la virginité n'est autre qu'un instrument de contrôle de la sexualité des femmes (P 49) ». Les conventions sociales établies font que la sexualité est « non seulement l'apanage de l'homme mais aussi la prérogative de l'homme (p 51) ». Le nouveau-né hors mariage est lié à la filiation de la mère au cas où elle le reconnaît. Le père n'est pas obligé de le reconnaître sauf si la mère est mineure. Une situation non sans conséquences fâcheuses pour la mère. Ainsi s'impose la nécessité « d'accorder une reconnaissance juridique aux mères célibataires qui les prémunisse de toute précarité (P 59) », suivie de mesures sociales et économiques. Dans sa communication « Ambivalence des discours politiques sur la prostitution (1962-2000) l'histoire bégaie ! », l'anthropologue Barkahoum Ferhati constate qu'après avoir dénoncé la prostitution comme « sous-produit du système colonial », la société algérienne « cherche aujourd'hui à réintégrer les maisons de tolérance et la visite sanitaire dans un système de prostitution organisé. Et cela pour se prémunir du SIDA (p 67) ». Pour l'auteur de cette réflexion, l'attitude de l'administration en la matière ne diffère pas de celle affichée par le discours officiel de l'indépendance à ce jour. Depuis 1962, en effet, « on assiste à une alternance des discours sur la prostitution, tantôt moralisateur sous prétexte d'assainir la rue, tantôt empreint d'un pragmatisme social, tantôt prétextant des objectifs de protection de santé publique. Ainsi, on passe d'un discours répressif à un discours plus tolérant avec des moments de pause où l'existence même de la prostitution est oubliée, voire niée (p 74) ». L'endocrinologue Fadhila Chitour-Boumendjel traite du problème des hermaphrodites en Algérie avec sa contribution « Ambiguïtés sexuelles et choix identitaire : quelle citoyenneté ? » La sociologue Fatma Oussedik dans « La transition démographique, quels enjeux pour les femmes algériennes », voit que « le régime se livre à des manipulations religieuses, comme à des négociations avec les religieux, afin de différer la résolution des luttes engagées, sans parvenir à les épuiser sur le contenu du pouvoir, à sa droite comme à sa gauche, si tant est que de telles formules puissent être utilisées (P 160) ». Et en l'absence d'une « culture démocratique, seul l'exercice de la violence politique confère le droit à l'expression. La reproduction de sociétés sans mémoire et sans élite, aux héros mesurés, ne parvient pas à se réaliser, enfermée dans une matrice unanimiste et misérable culturellement (p 161) ». La sociologue Chérifa Hadjij consacre son étude « Femmes, familles, société et Etat : les femmes algériennes entre la sphère privée et la sphère publique » à la gestion de l'espace et ses conséquences sur la quête d'espace par la femme, tout en conciliant sa vie de famille et sa vie professionnelle. Elle indique que le système urbain n'arrive plus à répondre aux besoins des familles et particulièrement les femmes. Ainsi, celles-ci, quand elles travaillent « sont souvent confrontées à la gestion du temps, aux problèmes de conciliation, de compromis, d'équilibre et d'arbitrage entre une vie familiale et une vie professionnelle. Le problème se pose en termes d'articulation entre deux moments, deux espaces, deux identités de la vie d'une femme (p 167) ». Les questions relatives au statut et aux inégalités touchant la femme ne se posent pas seulement en Algérie. Dans cette édition, à titre d'exemple, l'universitaire et chercheuse Sonia Dayan-Herzbrun parle des femmes égyptiennes « Quand en Egypte l'espace public s'ouvre aux femmes ». Quant à la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah, elle contribue avec « Politiques de la protection contre la violence familiale en Jordanie ». La question de la femme et de la citoyenneté pose le problème de la citoyenneté dans l'ensemble de la société où elle vit et aborde toutes les inégalités qui y sont entretenues et légitimées. Et la citoyenneté ne peut être consacrée que dans une société libre et démocratique. Il ne peut y avoir de citoyens dans une société où les règles du « jeu » noient le « je » dans un « nous » unanimiste. Et comme le souligne la sociologue Fatma Oussedik : « Dans le complexe anthropologique masculin/féminin, pour être une femme, il faut avoir des hommes en face et non des êtres humiliés (p 191) ».