La pratique d'affaires du groupe Khalifa était basée sur la corruption et le trafic d'influence. Le procès de Blida le montre tous les jours. Cela creusait le lit de la banqueroute. Qui le savait entre 2000 et 2003 ? Pourquoi le secret a-t-il été si longtemps gardé sur la réalité du groupe ? Ici un jeu de quatre réponses tente de comprendre comment l'omerta sur la réalité financière du groupe Khalifa a été organisée pour finalement déboucher sur le pire.Abdelmoumen Khalifa, ses associés et ses principaux collaborateurs ont-ils créé « une association de malfaiteurs » avec le projet délibéré « de plumer des déposants » comme le laisse entendre le premier chef d'inculpation ? Le procès ne l'a pas démontré. Par contre, le recours à la corruption pour obtenir des dépôts bancaires de grands déposants publics est apparu comme un instrument de gestion ordinaire dans le groupe Khalifa. Ce phénomène a pris de l'ampleur au fur et à mesure que les moyens du groupe se renforçaient. Les ouvertures de nouvelles lignes à l'international rendaient la carte de gratuité de Khalifa Airways très prisée (plusieurs ministres se sont déplacés personnellement pour la renouveler) ; la multiplication des agences a facilité l'essaimage de nouveaux crédits-cadeau, le lancement de KRC a servi à couvrir des « locations » complaisantes de véhicules à des « bons clients ». Chaque nouvelle société du groupe élargissait la capacité d'offrir des emplois aux parents des décideurs. La formation des pilotes en Angleterre, les agences Khalifa à l'étranger, comme on a pu le vérifier en audience, ont servi à acheter, parmi d'autres, de l'influence au sein de la commission bancaire de la Banque d'Algérie et de la Caisse nationale de retraite (CNR). A quel moment du développement du groupe Khalifa, les autorités ont-elles commencé à réaliser qu'il reposait sur un transfert de valeur du public vers le privé, puis vers le privatif ? Sur le plan technique, les inspections de la Banque d'Algérie jusqu'à fin 2000 n'ont pas pu apporter la preuve que les dépôts des clients à El Khalifa Bank étaient l'unique source de financement de Khalifa Airways pour ses acquisitions d'avions en leasing. La raison en a été expliquée par M. Djellab, l'administrateur provisoire nommé en février 2002. Les engagements au profit des sociétés apparentées étaient cachés dans des « comptes d'ordre », des sortes de fourre-tout qui effacent la trace des opérations bancaires. Exemple : pour racheter Antinéa Airways, Khalifa a fait ouvrir à l'agence de Chéraga un compte courant à Arezki Iguerdjouden, son propriétaire, et lui a réglé en plusieurs virements internes plus de 200 millions de dinars – le coût réel non déclaré de la transaction. Mais cette situation ne vaut plus au-delà de fin 2000. Khalifa prétend que c'est un rapport de la DGSE à la fin de l'été 2002 qui a réveillé Alger. On sait grâce au procès de Blida que la Banque d'Algérie avait réclamé en novembre 2001 au ministre de Finances (Mourad Medelci) des sanctions pour le volet sur lequel les infractions d'El Khalifa Bank étaient les plus faciles à démontrer, le non-respect de la législation de change. Les Français eux connaissaient déjà l'insolvabilité du groupe Khalifa, car ils savaient que le règlement des factures de ses fournisseurs français, d'abord du plus gros d'entre eux, Airbus, provenait - par des chemins détournés - exclusivement à partir des dépôts et non des comptes d'exploitation consolidés des différentes sociétés du groupe. Qui était au courant que le groupe Khalifa grossissait en aspirant l'argent du Trésor public ? Plus le procès avance, plus il devient évident qu'à partir du second semestre 2001 l'information était entre les mains des principaux centres de pouvoir. Le fameux rapport de la Banque d'Algérie de novembre 2001 - officiellement mis sous le coude par Medelci - n'a traité que des transferts d'argent mais de nombreux signes indiquent bien que la croissance anormalement rapide du groupe posait à tout le monde un gros souci pour les dépôts à El Khalifa Bank. Le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie Ali Touati le reconnaîtra au moins pour son institution. La migration des « excédents de trésorerie » (60 milliards de dinars au minimum) d'organismes publics vers la banque de Khalifa a, comme celle des gnous dans la savane, soulevé un nuage de poussière dans le paysage financier national en 2002. Karim Djoudi, directeur du trésor au ministère des Finances au moment des faits, est venu à Blida dire qu'il n'a rien vu sur son tableau de bord. Il ressort du procès que l'information sur la réalité du groupe Khalifa était un vrai secret de guerre dans la période 2000-2002. Il était mortel de le divulguer. Les observateurs notent que tous ceux qui ont nécessairement su que l'expansion du groupe Khalifa reposait sur le détournement des dépôts bancaires, notamment ceux des grands déposants publics, ont connu une promotion ou ont été préservés dans le système aussi longtemps que le fracas de la banqueroute de la banque le permettait encore. Cela est vrai pour Karim Djoudi devenu ministre délégué, pour Mourad Medelci revenu au ministère des Finances, pour le vice-gouverneur Mohamed Laksaci devenu gouverneur. Mais aussi pour Abdelouahab Keramane, l'ancien gouverneur, nommé ministre avant d'être définitivement lâché. Pourquoi une omerta a-t-elle été organisée jusqu'au bout, dans le pouvoir, autour des pratiques fort douteuses d'El Khalifa Bank et du groupe ? Le procès ne répondra pas à cette question. Mais Abdelmoumen Khalifa peut le faire à partir de Londres. Lui même était impitoyable avec les fuites sur ce qui se passait dans son groupe. Un inspecteur employé à la banque a témoigné à la barre que Ghazi Kebbache, l'oncle maternel de Moumen, l'a menacé à demi-mot en lui rappelant que « des accidents peuvent arriver » à ceux qui veulent fourrer leur nez dans les comptes des agences bancaires. Plusieurs explications possibles apparaissent au sujet de la longévité du secret sur le groupe. Au début, le succès de l'enseigne Khalifa était une aubaine pour tous. Bouteflika a été le premier à en profiter politiquement. Il serait utile face aux accusations de complot venant de Londres, avant la fin du procès, de revenir, pour la clarté des choses, sur la nature des relations du président de la République avec le fantasque jeune homme d'affaires. Le nom du principal conseiller juridique de Abdelmoumen Khalifa n'a jamais été cité durant un mois d'audience. Il s'agit de Abdelghani Bouteflika, avocat, frère du président. L'omerta se poursuit en quelque sorte. Ensuite, lorsque le doute s'est instauré en 2001 au sujet des intentions de Abdelmoumen Khalifa, la banque d'Algérie, le ministère des Finances, la présidence ont espéré infléchir le cours des événements sans dégât. Chacun des grands témoins (Medelci, Laksaci, Touati) l'a dit à sa manière à la barre. De même que l'ex-gouverneur Keramane dans ses communiqués. Mais le maintien du secret a eu l'effet inverse que celui d'amener Khalifa à se conformer à la légalité en toute discrétion. Il a été interprété par les opérateurs comme un signe de la toute-puissance de la banque et de son propriétaire. Il a donc alimenté la vague des grands dépôts. A partir du troisième trimestre 2002, le secret sur l'insolvabilité d'El Khalifa Bank, de plus en plus difficile à garder, à terme a servi à récupérer les dépôts publics sans provoquer de mouvement de panique chez les autres déposants. Il existe un gisement de délits d'initié dans cette période que d'autres investigations mettront sans doute au jour dans l'avenir. Le secret sur l'escroquerie Khalifa en marche a finalement été gardé près de trois ans, mais pour des raisons différentes au début, au milieu et à la fin. Seul ciment entre les trois périodes, l'efficacité des cadeaux de Khalifa. Cela, au moins, le procès n'a pas cherché à le cacher.