La campagne présidentielle française est certainement un sujet d'actualité qui ne laisse pas indifférents les téléspectateurs algériens dans la mesure où des thèmes aussi sensibles que ceux de la sécurité ou du racisme liés au problème de l'émigration constituent presque la toile de fond des plans de bataille des candidats déjà très engagés dans l'opération marketing électoral et qui ont donc passé la vitesse supérieure pour ratisser large. La nouveauté aujourd'hui est que l'extrême droite n'a plus le monopole de ”la priorité nationale” pour tirer à boulets rouges sur ces envahisseurs venus d'ailleurs, la droite dite traditionnelle comme la gauche version plus libérale, se sont elles aussi mises de la partie mais avec des accents plus nuancés. Les débats politiques de plus en plus nombreux au fur et à mesure que s'emballe la campagne, de plus en plus animés aussi avec cette diversité qui caractérise la classe politique française, sont parfois très révélateurs sur l'état d'esprit actuel de la société française en pleine mutation qui, en se conformant de manière radicale à la norme mondialiste, donne l'impression de perdre ses repères humanistes qui faisaient jusque-là sa force. Le recul est flagrant, il est même symbolisé par le slogan-clé de Nicolas Sarkozy qui, en empruntant à la dictature sud-américaine son mot d'ordre “la France, on l'aime ou on la quitte”, invite tous ses électeurs potentiels à suivre son regard... Celui qui est donné favori des sondages par rapport à sa rivale socialiste ne fait donc pas dans la dentelle en allant piétiner, sans le moindre scrupule, les plates-bandes lepénistes. D'ailleurs, le patron du Front national lors de ses passages sur les plateaux de télévision (on remarquera qu'il est de moins en moins boycotté) ne cesse de répéter à qui veut l'entendre que malgré toute sa bonne volonté pour lui faire concurrence sur un registre qu'il connaît bien, le leader de l'UMP restera une pâle copie devant l'original. Cela donne des raisons à l'ex-tortionnaire de la guerre d'Algérie de se montrer aujourd'hui pleinement satisfait du fait que les idées qu'il défend depuis des années sont mises au goût du jour par ses adversaires, avec cette certitude de récolter le moment venu le fruit des semences que d'autres ont labouré pour lui. Loin de changer dans sa structure mentale xénophobe, Le Pen a paradoxalement adopté cette fois-ci une stratégie de communication plus soft pour sortir du cercle infernal de la diabolisation. Il se présente dès lors — on l'a vu dans l'émission “j'ai une question à vous poser” de TF1 — comme un candidat au-dessus de tout soupçon qui cherche simplement l'intérêt de la France. Pas raciste alors que c'était sa spécialité, pas davantage antiémigré quand les problèmes socioéconomiques sont au centre des préoccupations des Français et auxquels il apporte des solutions même les plus radicales en direction de l'émigration. En somme, un double visage qui ne trompe que celui qui veut bien tomber dans le piège, et sur la foi duquel la première chaîne française ne s'est pas montrée totalement neutre, à l'image de son émission suspectée de manipulation. Les télés de l'Hexagone sont-elles partie prenante dans l'élection présidentielle ? A voir de quelle manière a été conçue, par exemple, ”j'ai une question à vous poser”, d'aucuns ont vite tiré la conclusion que TF1 roule pour la droite, en l'occurrence pour le candidat le mieux placé dans la course, Nicolas Sarkozy qui, bien plus que Le Pen, a marqué de précieux points en se retrouvant dans une position idéale de contre-attaque pour annihiler toutes les questions qui fâchent et qui par conséquent le mettent dans l'embarras. Le paradoxe est que Sarkozy est allé plus loin que Le Pen en insultant la communauté musulmane par une allusion assassine et savamment distillée envers “ceux qui égorgent le mouton dans leurs baignoires”. Là aussi, il faut suivre son regard... Une citoyenne française d'origine algérienne a bien tenté de réagir contre des propos aussi indignes, mais c'est le mouvement enclenché par le patron de l'UMP qui sera retenu. Moralité, il est difficile de lutter contre des télés qui se servent de la politique partisane pour faire augmenter leur audimat. Bien sûr que tout n'est pas excessif dans les plateaux qui cherchent à orienter l'opinion publique vers le meilleur choix possible, mais force est de constater que dans le rapport droite-gauche pour la redéfinition du projet politique de la société française, c'est la tendance conservatrice et même ultralibérale qui s'impose pour le moment et risque de l'emporter si la génération “royale” ne fait rien pour rectifier le tir. A l'évidence, cette propension droitière n'est pas un élément marquant simplement de la campagne électorale. Elle a tendance à se généraliser dans les rencontres intellectuelles, jusque-là dominées par des esprits progressistes. Le débat à sens unique qu'a organisé Canal+ autour de la guerre d'Algérie, avec la présentation pour la première fois sur une télé grand public de “La Bataille d'Alger”, a dévoilé toute la mesquinerie de la réflexion intellectuelle sur un sujet qui ne fait aucune concession sur les atrocités de la colonisation française dans notre pays. Quand un journaliste-écrivain, en l'occurrence Jean Montaldon, s'acharne à rabaisser le combat des Algériens pour l'indépendance à des actes de terrorisme, à traiter la valeureuse Djamila Bouhired de simple poseuse de bombes, sans qu'il soit réellement contredit, que reste-t-il du débat ? L'historienne Raphaelle Branche a bien essayé de le faire, mais, isolée, ses interventions pertinentes n'ont pas eu un gros effet autour de la table. Et que dire d'Yves Boisset qui est presque allé dans le sens du poil ?