Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'ENTV a fait, la semaine dernière, une petite entorse à ses habitudes en programmant une table ronde sur l'affaire Khalifa, un débat auquel ont pris part Rachid Ksentini, en sa qualité de président de la commission nationale consultative de promotion des droits de l'homme mais également en tant qu'avocat de la défense dans le procès qui se tient à Blida ; Djamel Aïdouni, président du syndicat national des magistrats, et un journaliste de l'hebdomadaire arabophone El Mouhaqiq. Alors que le procès entrait dans sa quatrième semaine sans que la télévision nationale lui consacre le moindre intertitre dans ses journaux, les téléspectateurs eurent la surprise de voir un sujet aussi brûlant atterrir enfin sur le plateau de l'Unique, avec cet espoir évidemment que l'émission “Sur le Vif” vienne à leur secours en apportant quelques précieux éclaircissements sur l'événement qui auraient échappé jusque-là aux citoyens. Etait-ce là l'objectif recherché par la table ronde ? Assurément non, puisqu'au terme des deux heures de discussion, on n'en savait pas plus que ce que la presse rapporte quotidiennement, mis à part cette pichenette risquée de Ksentini selon laquelle Abdelmoumen Khalifa, principal accusé dans l'affaire qui porte son nom, serait dans les semaines ou les mois à venir extradé par la Grande-Bretagne, pas pour des considérations juridiques mais diplomatiques, étant entendu que, d'une part, le golden boy en exil n'obtiendra pas l'asile politique et que, d'autre part, nos amis les Britishs ne s'amuseraient pas à sacrifier leurs relations économiques avec l'Algérie pour un vulgaire escroc. Ce qui devait être livré comme un scoop a finalement pris la tournure d'un flop avec les nombreuses contradictions relevées dans les propos de son auteur. Approximatif, se basant davantage sur ses propres déductions que sur des données officielles, du moins vérifiables, l'homme à la robe noire a paru mal à l'aise dans ce débat où sa principale motivation était d'arrondir les angles d'un procès qui devenait chaque jour inquiétant pour le système, avec son lot de révélations fracassantes sur le phénomène de la corruption qui gangrène nos institutions politiques et économiques, et ses éclaboussures sur des personnalités jusque-là au-dessus de tout soupçon. Assurément, devant un développement aussi spectaculaire de l'affaire Khalifa qui semble flirter dangereusement avec les fameuses lignes rouges, les intentions de Ksentini ont paru participer d'un certain rééquilibrage de la tonalité générale du procès dans une émission qui voulait visiblement transmettre un autre son de cloche en minimisant la portée politique du procès. C'est ce à quoi, d'ailleurs, s'est attelé le président du syndicat national des magistrats en affirmant péremptoirement que “le dossier khalifa jugé au tribunal criminel de Blida est un dossier ordinaire, et que par conséquent il ne subit aucune interférence politique”. En fait, Djamel Aïdouni ne pouvait pas dire autre chose puisque, apparemment, il était venu sur le plateau pour contredire la presse et les opinions qui se sont exprimées, à partir des faits rendus publics, sur les énigmatiques connivences contractées auprès des organismes étatiques et qui ont permis à un quidam presque analphabète d'arroser avec l'argent du contribuable algérien un nombre incalculable de personnes. On pensait que l'émission allait nous renseigner un peu plus sur le pourquoi et le comment de cette escroquerie à grande échelle qui n'a épargné aucune catégorie sociale, nous expliquer aussi par quels mécanismes de corruption est passé Abdelmoumen avant de rouler tout son monde. Non, car à la grande déception des téléspectateurs, ce fut une ”soirée ordinaire” où l'argumentation des deux invités de marque a souvent frisé le ridicule en cherchant à recoller les morceaux. De même que la justification donnée par la Télévision concernant la non-couverture du procès n'a convaincu personne, car dire que “la TV c'est l'image et que dans un tribunal filmer est interdit”, c'est faire prendre aux Algériens des vessies pour des lanternes. Finalement, c'est celui qu'on attendait le moins qui aura été le plus objectif dans cette rencontre, donc le plus percutant, en l'occurrence le journaliste d'El Mouhaqiq. Notre confrère, par ses interventions, son analyse, ses questions fort embarrassantes, a été assurément au-dessus du lot. Il a en tout cas eu le mérite de ramener à chaque fois le procès à ses justes proportions. Surtout politiques...