C'est très tard hier que le réquisitoire, après deux longues journées d'explications et de détails sur l'interconnexion entre les accusés et les faits qui leur sont reprochés, que le procureur général prononce son verdict. Pour les accusés en fuite, la procédure de contumace leur sera appliquée dès la prononciation du verdict, précise le procureur général. Il demande une peine de 20 ans de réclusion criminelle assortie de la privation des droits civiques contre Akli Youcef, Chaâchouâ Abdelhafid, Nekkache Hamou, Guers Hakim, Soualmi Hocine, Djamel Aziz, Chaâchouâ Badreddine, Mir Omar, Kechad Belaïd et Guellimi Djamel. Le procureur général requiert contre le notaire Rahal Omar et Issir Idir Mourad, respectivement des peines de 18 ans et 16 ans de réclusion criminelle. Une peine de 15 ans de réclusion a été requise contre Mekadem Tahar, Ighil Meziane Ali, Yacine Ahmed et Mir Ahmed, alors qu'une peine de 12 ans de réclusion a été requise contre Djamel Zerrouk et Salim Boukadoum. Le procureur général a demandé 10 ans de réclusion contre Chebli Mohamed, Abdelwahab Réda, Dellal Abdelwahab, Toudjène Mouloud, Ameghar Mohand Arezki et Ghouli Mohamed. Une peine de 7 ans de réclusion a été demandée à l'encontre de Larbi Salim, Dahmani Noreddine, Chaâchouâ Ahmed, Agoune Lhadi, Sedrati Messaoud, Bousehoua Mohamed Rachid. Une peine de 8 ans de réclusion, « la peine maximale », a été requise contre Foudad Adda, contre lequel une privation des droits civiques et une radiation de la fonction publique a été demandée. Une autre peine de 5 ans de prison ferme, une privation des droits civiques durant 5 ans, une amende de 5000 DA et un mandat de dépôt à l'audience ont été requis contre Kerrar Slimane, Djeddidi Toufik, Meziani Abdelali, Arifi Salah, Menad Mustapha, Bennaceur Abdelmadjid, Boubedra Hacène, Aït Belkacem Mahrez, Aïchar Rachid. Quatre ans requis contre Ali Aoun Contre les deux commissaires aux comptes, Mimi Lakhdar et Sekhar Hamid, le ministère public a requis 4 ans de prison, assortis d'une amende de 500 000 DA et d'une radiation de leur profession. Pour ce qui est de Ali Aoun, Bacha Saïd, Kheiredine El Oualid, Benchefra Ahmed, Bensabaïne Rabah et Benâamour Farid, une peine de 4 ans de prison a été requise, alors que la même peine a été requise également contre Tchoulak Mohamed, contre lequel une privation des droits civiques a été demandée, assortie d'une amende de 5000 DA. Le procureur général a demandé aussi 4 ans contre Benouis Lynda, assortie d'une amende 10 000 DA. Une peine de 3 ans de prison a été requise contre Bensahoua Mustapha, Laouche Boualem et Bourayou Nadjib, assortie d'une amende de 20 000 DA pour chacun d'eux. Le ministère public a requis une peine de 3 ans de prison assortie d'une amende de 50 000 DA pour chacun et d'une privation des droits civiques contre Miloudi Benyoucef, Thabet Lahbib, Rahal Réda, Amirouchène Amar, Sahbi Daoud, Mohamed Meziane Mouloud, Belarbi, Zaâmoum Mohamed et Isli Youcef. Une peine de 2 ans de prison assortie d'une amende de 5000 DA et d'une privation des droits civiques a été requise contre 15 autres accusés, Bensetta, Ouali Abdelhamid, Tlemçani, Benchahed, Berkat, El Hachemi Khadoudja, Boulefrad, Boucenna Noreddine, Assila Ali, Smati Bahidj, Bourahla, Si Amour Yahia, Telli Safi, Ouandjeli Mahfoud. 18 mois de prison et une amende de 10 000 DA ont été requis également contre Lagoun Majda, Belkacem Rabah, Boukerna Hakim, Lahlou Toufik, Ladjlat Lilya, Djaou Mustapha, Mohamed Belkebir Omar, Meziane Belarbi Meziane, Bensouda Samira, Jean Bernard, Medjiba Rachid et Bourkaïb Chafik. Ce réquisitoire a jeté l'effroi dans la salle, notamment parmi les familles. Le procureur général commence par interpeller la « conscience et le cœur » des membres du jury et des magistrats en leur demandant qui va défendre ces milliers de familles ruinées par les responsables de Khalifa, organisés en association de malfaiteurs. « Ne les prenez pas en pitié lorsque vous les voyez au box des accusés. Revenez au contexte de l'époque, lorsqu'ils faisaient la pluie et le beau temps. Ils étaient conscients de ce qu'ils faisaient et doivent aujourd'hui répondre de leurs actes », déclare le magistrat. Prévisible, ce réquisitoire clôt, en fait, les deux journées de longues explications du procureur général. Recourant souvent aux déclarations populistes pour titiller la sensibilité de l'opinion publique, le procureur général tente de démontrer non seulement l'implication des accusés, mais également le lien qui relie chacun d'eux et le rôle qu'ils ont joué dans cette « organisation de malfaiteurs machiavéliques ». Il commence par indiquer que le préjudice causé à l'agence de Koléa est de 14 millions de dinars « seulement » et l'accusé qui les a pris est Baïchi Fouzi. De nombreux accusés ont confirmé cela, sans compter les autres montants qu'il a pris. Il cite une citation « la tazirou ouaziratan ouizra oukhra » (ne responsabilisez pas quelqu'un de ce qu'il n'a pas fait), faisant certainement allusion à ce qui s'est passé à l'agence de Koléa dont les responsables ont bénéficié d'un non-lieu. Il cite « l'agence des Chaâchouâ », en parlant de Blida, en affirmant que le père Ahmed Chaâchouâ a pris 16 000 dollars, alors qu'il n'avait pas de compte. Il s'est interrogé comment un retraité peut-il donner à son fils 6 millions de dinars, précisant que de nombreux documents compromettants ont été trouvés au domicile de son fils Badreddine. Celui-ci « avait une intention d'accaparer les fonds des dépositaires, notamment des petits qui ont trimé toute leur vie pour économiser quelques sous. Pour cela, Chaâchouâ Abdelwahab loue la villa qu'il a achetée à sa mère, à proximité de l'ambassade du Canada, à Ben Aknoun, pour un loyer de 42 000 euros, à la commission européenne ». Il indique que Badreddine Chaâchouâ était chargé de l'achat des véhicules et à ce titre, il a acheté 120 voitures pour Khalifa Location (KRC), dont 40 ont disparu. « Il les mettait au nom des personnes auxquelles ces véhicules étaient offerts, comme cela a été le cas pour la C5 remise à Ali Aoun, PDG de Saidal, ou encore Sedrati, le beau-frère de Chaâchouâ. Son frère avait acheté une villa au Village des artistes, au moment où la banque connaissait des problèmes, à 7 millions de dinars, loin de sa valeur réelle. N'est-ce pas une manière de blanchir ou de dissiper les produits d'un crime ? » Il révèle à propos du notaire, Omar Rahal, qu'il a rédigé l'ensemble des actes de location des agences au profit de Khalifa Airways et d'El Khalifa Bank à l'échelle nationale. Selon le magistrat, il a rédigé en tout plus d'une centaine d'actes au profit de Abdelmoumen Khalifa. Au sujet de Badreddine Chaâchouâ, dit Didine, le procureur général note que l'accusé a bénéficié d'importantes sommes d'argent en dinars et en devises. Il cite les montants de 47 000 FF et de 4 millions de dinars retirés de l'agence de Blida, « alors qu'il n'avait même pas de compte et qu'il n'était pas encore recruté par Khalifa. N'est-ce pas un vol qualifié ? » Pour ce qui est du directeur de l'agence de Chéraga, Mir Omar, le magistrat relève que cette agence a servi pour le paiement de nombreuses prestations qui ne relevaient pas de la banque, comme par exemple la prise en charge des factures des hôtels de 4592 personnes, de 1999 jusqu'à début 2003 et dont les montants ont dépassé 430 millions de dinars. « Pour seulement deux bungalows, un montant de 224 000 DA a été payé à l'hôtel de Zéralda, sans compter une autre facture de 1,12 million de dinars et celle de 9,30 millions de dinars (Hilton) pour 492 personnes, 137 millions de dinars pour l'hôtel Dar Diaf et 565 millions de dinars pour l'hôtel El Djazaïr. L'achat de cadeaux, dont des montres, a atteint la somme de 15 millions de dinars, dont l'unité varie de 2000 à 8000 DA et tout cet argent a été puisé de l'agence de Chéraga, où le plus gros des sociétés publiques avait déposé ses fonds ». Le procureur général revient sur Kechad Belaïd, directeur de l'agence de Blida qui, selon lui, a manipulé les 13 comptes débiteurs pour les transformer en comptes créditeurs auprès de la banque. Parmi ces comptes, celui de son frère et de son actuel employeur, Novo Grain, appartenant à Digimex. Il met l'accent sur le fait que Kechad Belaïd était connu comme étant le démarcheur auprès des entreprises publiques, notamment les OPGI, pour les inciter à placer leurs avoirs dans son agence, « bien sûr en recourant à des personnalités sportives, comme Ighil Meziane qui l'accompagnait dans ses déplacements à l'intérieur du pays. Il offrait en contrepartie de ces placements des intérêts avantageux, mais aussi des commissions liées au montant du placement, des cartes de gratuité de voyage et des crédits à des taux très bas. Certains responsables ont accepté, d'autres ont laissé faire et fort heureusement, il y en a qui avaient refusé ». Le magistrat précise dans la foulée que certains responsables, ayant placé leur argent chez Khalifa, ont fini par créer des sociétés privées à leur nom, en citant, entre autres, le directeur général de Digromed, qui avait lancé avec un ressortissant français une compagnie aérienne pour la lutte antiacridienne, le directeur de l'agence de la Caisse des retraités de Oum El Bouaghi, qui avait créé une société internationale de construction. L'agence de Blida devenue celle de la famille Chaâchouâ Il rappelle l'achat de Antinéa par Abdelmoumen, payée avec l'argent des déposants confié à l'agence de Chéraga, alors qu'il n'existait aucune convention de cession. Le magistrat fait état d'un montant de 18 millions de dinars en bons de caisse, encaissés par Mir Omar, sans compter le virement de 300 000 DA à son compte, en se demandant s'il ne s'agit pas de vol qualifié. Le même directeur de Chéraga est poursuivi dans une affaire de vrais faux bons de caisse avec Lamali Abdelaziz, l'importateur du whisky frelaté, auquel Djamel Guellimi avait vendu un terrain de 520 m2 à Chéraga, que lui avait offert Abdelmoumen Khalifa. Dans cette agence, révèle le magistrat, les placements viennent de tous les coins du pays, de Hassi Messoud, de Béchar, de Tamanrasset et d'Oum El Bouaghi. « Dans cette même agence, le montant de 9 millions de dinars, accordé à Lynda Benouis, est inscrit comme étant l'acquisition d'une villa pour la monétique. Est-ce logique ce qui se passait dans cette agence ? N'est-ce pas un abus de confiance caractérisé des petits déposants ? » Le procureur général note au sujet de Amghar Mohamed Arezki, directeur général de KRC, qu'il est l'auteur de plusieurs transferts à l'étranger pour le compte de l'entité KRC en France. Djamel Aziz, directeur de l'agence El Harrach, est pour le ministère public responsable des sommes colossales remises à Yacine Ahmed, Kebbache Ghazi (10 à 20 millions de dinars et des montants de 5000 à 10 000 euros), le défunt Messaoud Mentouri (12 millions de dinars), Nanouche Mohamed, Krim Smaïl (25 millions de dinars), Dahmani Noureddine, Larbi Salim, Djamel Zerrouk (12 millions de dinars), Tayebi Sakina (en fuite), uniquement sur la présentation d'un bout de papier ou sur instruction téléphonique de son PDG. « Le préjudice constaté par l'expert a dépassé le montant de 485 millions de dinars. De quel droit a-t-il pu faire sortir cet argent et le donner à des personnes même étrangères à la banque ? Comment s'est-il transformé en l'espace de trois mois d'un simple locataire en un richissime propriétaire d'une villa, avec une clinique de néphrologie super-équipée et d'une pharmacie. Il a même profité des microcrédits destinés aux jeunes chômeurs pour inscrire sur la liste des personnes proches à lui. Pour le procureur général, Djamel Aziz « usait et abusait de l'argent des déposants comme si c'était le sien. Il a, à ce titre, participé à la dilapidation avec une intention de nuire ». Plus de 560 millions de dinars pour les nuitées d'hôtel Pour ce qui est de Zerrouk Djamel, ancien financier de Khalifa Airways, il affirme que l'accusé a pris 12 millions de dinars, qu'il a bénéficié de 1 million de dinars encaissé à l'agence d'El Harrach. Le magistrat précise : « Cet argent lui a permis d'acquérir une villa à Chéraga, alors qu'il ne s'est jamais inquiété des rapatriements jamais effectués de la compagnie. A ce titre, lui aussi a participé à ces vols qualifiés. » A propos de Yacine Ahmed, directeur général de Digromed, le procureur général affirme que la convention de formation signée avec Khalifa pour un montant de 48 millions de dinars est fictive, du fait qu'aucun cadre, selon lui, n'en a bénéficié. Il se demande comment ce responsable a-t-il pu avoir des fonds pour créer trois entreprises Savélor, travaux publics et de transport aérien. « Même les criquets ont été utilisés. Yacine Ahmed s'est associé à un Français pour ramener onze appareils d'Italie, dont 8 petits avions et trois hélicoptères, à raison de 1500 dollars US l'heure pour chaque appareil. Faites votre compte et voyez le gain que cette activité générait, sans compter le gain généré par ses nombreux biens immobiliers achetés à Alger et ses environs. Yacine Ahmed est de ceux qui ont bénéficié d'avantages pour les placements des fonds de Digromed, dont une carte de gratuité de voyage de 1+6 à longueur d'année. » Le représentant du ministère public estime que l'accusé Guers Hakim, directeur de l'agence d'Oran, remettait des sommes colossales à des personnes envoyées par la direction générale de la banque et dont il ne se rappelle pas. Il a, selon lui, signé des conventions de placement de fonds avec 13 entreprises publiques de l'ouest du pays, auxquelles il a rendu visite et incité à effectuer des dépôts en contrepartie des divers avantages accordés aux responsables. Il note que l'accusé reste le seul directeur d'agence qui faisait mention par écrit des commissions versées aux responsables des entreprises après les placements de leurs avoirs. Selon lui, l'expert ne peut affirmer que ces commissions n'ont pas été prises par les responsables des entreprises publiques, du fait que son rôle se limite à expertiser des écritures comptables. Selon lui, c'est au tribunal de décider si oui ou non les commissions ont été perçues. Il révèle que le montant du trou constaté dans l'agence a atteint 70,4 millions de dinars volés, dit-il, par lui et Baichi Faouzi. Au sujet de Soualmi Hocine, directeur de l'agence des Abattoirs, le procureur général n'a pas été avec le dos de la cuillère pour le charger lourdement. Il affirme que l'accusé a remis une somme de 140 millions de dinars à Boukadoum Karim sans aucun document qui, lui-même, avait pris auparavant de l'agence de Chéraga un montant de 22 millions de dinars et une ligne de crédit de 4,40 millions de dinars pour son entreprise, avant d'être recruté par Abdelmoumen. « De quel droit distribue- t-il l'argent des déposants ? », s'interroge le magistrat. Il rappelle que l'accusé était membre du conseil d'administration des trois OPGI du Grand Alger, et à ce titre, il a fait pression sur les responsables pour qu'ils déposent leur argent à El Khalifa Bank, lorsqu'il a rejoint Khalifa Airways. « N'est-ce pas là une association de malfaiteurs ? », se demande le magistrat. Pour ce qui est de l'accusé Sedrati Messaoud, le procureur général indique qu'il a bénéficié d'un montant de 4,50 millions de dinars remis par Soualmi Hocine sur instruction de Abdelmoumen Khalifa. Il qualifie le contrat de location établi entre lui et Khalifa Airways de fictif et déclare qu'en tant que beau-frère de Abdelmoumen (Sedrati et Abdelmoumen ont épousé des sœurs), il a servi pour dissimuler des voitures de l'accusé principal. Il révèle à propos de Soualmi Hocine que ses relations avec Abdelmoumen sont tellement proches que ce dernier l'a nommé à la tête de la représentation de Paris, pour « voler l'argent des émigrés ». A ce titre, il affirme au sujet de Foudad Adda que ses 609 000 euros n'ont jamais été rapatriés en Algérie. Pour le magistrat, Foudad et Soualmi « se connaissaient assez bien et chacun utilisait l'autre ». Il rappelle les biens acquis par l'ancien directeur de l'école de police de Aïn Benian, 14 entre appartements et villas, dont deux loués à des ambassades depuis 1994, et en devises. « Les actes de location eux-mêmes sont entachés d'illégalité du fait que pour les mêmes biens, l'un est signé par Adda Foudad et l'autre par son défunt père. » Il affirme à propos de Menad Mustapha et Bennaceur Abdelmadjid, qu'ils ont bénéficié d'avantages en contrepartie des placements, et les deux « ont bien profité des voyages en France et des réceptions ». La présidente l'interrompe pour lui faire remarquer que le document qu'il lisait lui a été remis par le tribunal, et qu'à ce titre, il doit le remettre à la défense. Les avocats se lèvent et réclament le document. La présidente précise que depuis l'ouverture du procès, des milliers de lettres de dénonciation parviennent au tribunal. Pour détendre l'atmosphère, elle note qu'elle a fait cette remarque pour réveiller l'assistance qui dormait. Le procès reprend demain avec les plaidoiries de la défense.