Tout porte à croire que les réserves émises par le patronat sur l'avant-projet gouvernemental de stratégie industrielle sont d'une sensibilité extrême, au point où les pouvoirs publics ne pouvaient se montrer indifférents aux critiques qui leur sont adressées. Le discours du chef de l'Etat prononcé par Abdelaziz Belkhadem, hier à l'ouverture des travaux des assises nationales sur l'industrie au Palais des nations à Alger, illustre parfaitement le souci des plus hautes autorités du pays d'aller vers l'adoption d'un document de stratégie où le consentement des opérateurs économiques nationaux est indispensable pour sa réussite. Pour ce faire, il fallait rassurer l'ensemble des parties impliquées dans l'application de cette nouvelle stratégie, mais au premier plan, le patronat public et privé qui n'a cessé d'appeler à la « préférence nationale » dans toutes les phases de développement de l'économie nationale. Il faut être conscient que si l'investissement direct étranger (IDE) peut être une source importante de compétitivité et de croissance pour les pays en développement, il ne peut être perçu comme une fin en soi », dira Belkhadem. Pour lui, la politique des IDE « ne doit pas substituer l'action des acteurs étrangers à celle des acteurs nationaux publics et privés ». L'attractivité de l'investissement étranger ne doit pas non plus « perdre de vue que les acteurs nationaux doivent être fortement impliqués dans la promotion du développement national », souligne encore le chef du gouvernement. Abdelhamid Temmar, lui emboîtant le pas, dira dans le même sens que « l'investissement national est le premier à être invité à participer au développement économique du pays », sans exclure pour autant l'investissement étranger. Le ministre des Participations et de la Promotion des investissements fera remarquer à l'assistance que les investissements étrangers directs peuvent apporter « des éléments importants », pas seulement sur le plan pécuniaire, mais surtout en matière « de technicité, de gestion et autres effets externes indisponibles au niveau national ». Il convient de rappeler à ce propos que beaucoup d'organisations patronales, publiques et privées avaient qualifié l'intérêt accordé par les pouvoirs publics aux investissements étrangers directs (IDE) d'excessif, voire illusoire. « Le développement et la croissance doivent se faire avec les enfants du pays et ce sont eux qui créeront les richesses », avait indiqué récemment Réda Hamiani, président du FCE. Le patron du groupe Cevital, Issad Rebrab, n'a pas hésité à dénoncer les « pratiques discriminatoires vis-à-vis des opérateurs locaux », tout en regrettant que « l'Algérie ait exclu ses opérateurs nationaux au profit des investisseurs étrangers qui bénéficient de toutes sortes d'avantages ». M. Rebrab fera remarquer que les nationaux, dans leur majorité, « réinvestissent la totalité de leurs profits dans le marché local », alors que « les étrangers ne viennent dans un pays que pour en tirer le maximum de profits et les transférer dans leur pays d'origine ». Un Etat interventionniste ? Au même titre que les IDE, le retour de l'intervention de l'Etat dans la sphère économique, comme proposée par la nouvelle stratégie, a suscité chez le patronat une certaine appréhension. Le discours de Bouteflika prononcé hier par son chef du gouvernement a tenté de dissiper ces craintes en rassurant les opérateurs sur le fait que l'intervention de l'Etat « ne traduit pas un désir de revenir à des méthodes de gestion de l'économie dirigée ». « L'expérience montre que le marché seul n'assure pas la meilleure affectation des ressources pas plus que la gestion étatique seule. Dès lors, il faut mettre le marché en situation de transparence et d'efficience, l'Etat devant intervenir pour corriger les défaillances du marché et faire pleinement jouer les externalités », rassure encore le discours du Président. L'intervention de l'Etat est également définie dans l'avant-projet de stratégie industrielle comme étant une nécessité dans la définition des secteurs industriels à promouvoir. « L'implication de l'Etat dans la relance industrielle impose pour lui un choix des branches industrielles à promouvoir », souligne le chef de l'Etat. Cependant, « tout investisseur reste libre, comme le stipule la loi, d'opter pour l'activité industrielle qu'il souhaite et dans les conditions qu'il choisit tout en bénéficiant des avantages prévus par les dispositifs d'encouragement à l'investissement, mais le gouvernement se charge plus particulièrement de promouvoir les industries qui permettent de relancer les grands chantiers économiques visant à exploiter et à valoriser, de façon compétitive, nos ressources naturelles et humaines et qui donnent la possibilité à notre économie de reprendre pied sur le marché international et notamment sous-régional, du fait de notre appartenance à l'Accord d'association avec l'Union européenne et au poids qu'occupe l'Europe dans notre balance commerciale », précise encore le Président. Les branches industrielles sur lesquelles le choix des rédacteurs de la nouvelle stratégie industrielle a porté concernent prioritairement, faut-il noter, « la production d'engrais et l'industrie sidérurgique et métallurgique. D'autres secteurs sont également ciblés comme les matériaux de construction, l'industrie pharmaceutique, l'industrie agroalimentaire, l'industrie mécanique et automobile et les TIC ». Quant au rôle que devront tenir les PME/PMI dans cette nouvelle stratégie, le discours du Président se veut là aussi rassurant. « Nous disposons déjà d'un vaste parc industriel essentiellement constitué de PME/PMI. C'est un secteur grand pourvoyeur d'emplois. Il sera appelé à porter le développement du pays », affirme le chef de l'Etat. Et d'ajouter que les pouvoirs publics interviendront à cet effet pour « lever la triple contrainte à laquelle (les entreprises) se trouvent confrontées par rapport aux pratiques bureaucratiques, au foncier industriel et au marché des capitaux ». Une politique publique d'accompagnement de ces entreprises sera également lancée à travers un programme de mise à niveau. « Il faut donner aux programmes de mise à niveau l'importance qui doit être la leur. Ce sont des milliers d'entreprises qui devraient effectivement être mises à niveau et il appartient aux pouvoirs publics de dégager les moyens financiers nécessaires à ces programmes et d'amener les entreprises à y souscrire », conclut le chef de l'Etat. Notons que les travaux des assises se poursuivent aujourd'hui sous forme d'ateliers consacrés à cinq branches distinctes : l'industrie électrique et électronique, l'agroalimentaire, la pétrochimie, l'industrie pharmaceutique et l'industrie mécanique et automobile. Demain, des recommandations seront proposées puis soumises à l'approbation des pouvoirs publics.