La capitale vue par quatre grands artistes disparus laisse place à une exposition consacrée au céramiste Boumehdi. Le musée qui a commencé à faire peau neuve, se distingue, en plus de ses magnifiques collections, par l'organisation régulière d'expositions sous la houlette de sa conservatrice toujours aussi passionnée, Mme Dalila Mahamed-Orfali. Ainsi, tandis que s'achevait « Alger vue par Benaboura, Racim, Samson et Zmirli », un hommage au grand céramiste Boumehdi a débuté hier. Ceux qui ont raté la première ne pourront se rattraper. Hormis le fonds Racim et quelques autres œuvres appartenant au musée, la plupart des toiles, sorties des collections familiales, n'avaient que rarement été vues. De l'effet d'ensemble, s'est dégagé un véritable portrait artistique d'Alger couvrant la première moitié du XXe siècle et débordant sur les années 1960, un portrait par le truchement des visions, sensibilités et styles de ce quatuor, bien rendu par le catalogue de l'exposition. Hacène Benaboura (1898-1960), classé comme peintre naïf, « imperméable aux courants et aux modes », a reçu en 1958 le Grand Prix artistique de l'Algérie. Mais, pour être naïf dans son style, il ne l'était pas dans son regard. En atteste ce tableau, Contraste. Cité Mahieddine (selon nous, le Chemin Laperlier), dans lequel il montre en premier plan un bidonville et des personnages algériens et, en arrière-plan, un building et d'autres plus classiques (sans doute l'Aérohabitat et les immeubles du Télemly), illustration flagrante de l'opposition entre les déracinés, urbanisés par la misère, et un espace européanisé et réservé. Mohammed Racim (1896-1975), quant à lui, a peint la ville dans sa magnificence et sa gloire antérieures à la colonisation. Sublimes miniatures où l'anachronisme s'inscrit par déni dans l'affirmation nationale. Ismaïl Samson (1934-1988) laisse une Alger coulant dans les diffractions de formes et de couleurs. Des rais de lumière découpent le réel et paraissent comme des mosaïques livrées à la fantaisie d'un cubiste où dominent les verts semblables à ceux des tessons de bouteilles polis par la mer. Rien ne se perd dans la transfiguration et même les corps féminins surpris au hammam gardent leurs lignes émouvantes. Enfin, Mohamed Zemirli (1909-1984) nous donne une vision intimiste d'Alger : wast-eddar, arcades, alcôves, jardins… L'influence de l'école orientaliste est là, avec un sens subtil des couleurs. Mais l'absence de tout être est remarquable. Nulle odalisque aux membres d'albâtre, nulle esclave noire, pas plus de vieillard enturbanné, ni aucun personnage habituel du casting de la peinture orientaliste. Ses décors sont des dé-corps, comme un refus de représenter les corps sans âme institués par une école, qui s'est faite, au nom de la beauté, instrument de dépersonnalisation. Zemirli, nous a-t-il livré ainsi un message, fut-il inconscient ? Avec l'exposition « Les Boumehdi, une famille de céramistes », hommage sera rendu au père, récemment décédé, qui a laissé une tradition et un nom quand il reste à ses fils à se faire des prénoms. En projet enfin, une exposition sur Mohamed Temmam que le Musée national des Beaux-Arts (MNBA) prépare avec la collaboration active du Musée des antiquités où l'artiste demeurait.