Aux chefs d'Etat arabes réunis en sommet depuis hier à Riyad, le cheikh El Karadaoui adresse, à partir d'Alger, plus qu'un message clair, une mise en garde. « Nous refusons la normalisation avec Israël », déclarait-il lors d'une conférence de presse tenue en marge du congrès de la Fondation El Qods ouvert lundi à Alger. Au sein du sommet arabe existent plusieurs tendances, dont certaines refusent la normalisation avec Israël, comme l'Algérie. « Nous, inchallah, nous n'allons pas normaliser et n'accepterons pas de normaliser avec l'ennemi sioniste tant que la colonisation perdurera », tranche le mufti égyptien, actuellement l'un des plus en vue dans le monde musulman. Il prônera un « retour » à la position arabe d'avant 1948. « Les politiques arabes considéraient à l'époque la création d'Israël comme une situation de déni de droit et par conséquent il fallait lutter. Cette position restera inchangée jusqu'à la guerre des Six-Jours (juin 1967) où il n' est plus question d'extirper des territoires arabes Israël, mais de se débarrasser des séquelles de l'agression. » Comme si l'agression de 1967, fait-il remarquer, a légitimé celle de 1948 sur laquelle on s'est tue. « Même avec cela, constate-t-il, nous n'avons pas pu rentrer dans les frontières d'avant 1967, ni effacer lesdites séquelles, la situation a même empiré. » « La normalisation avec Israël passe, souligne El Karadaoui, par la constitution d'un "vrai Etat palestinien, souverain sur ses terres, ses cieux, ses frontières et ses richesses et ayant le droit de se défendre. » Il indiquera que les résolutions qui seront prises lors du congrès seront envoyées aujourd'hui (hier, ndlr) au sommet arabe. « Libres à eux, commente-t-il, de les prendre ou pas en considération, nous aurions néanmoins accompli notre devoir devant Allah et l'Histoire. » Dès l'entame de son point de presse, le Dr Youcef El Karadoui, président de la Fondation El Qods, sommité religieuse, adulé par beaucoup d'Algériens pour son érudition et décrié par d'autres, a voulu marquer le rôle important qu'a joué l'Algérie dans l'organisation du Congrès. Il remerciera avec ferveur l'Algérie d'avoir honoré « tous ses engagements politiques, organisationnel et financier », en organisant « avec succès » ce rendez-vous, à l'heure même où des pays arabes cultivaient le faux-fuyant. « J'ai moi-même écrit au président Bouteflika, affirme-t-il, pour accueillir notre congrès, alors que beaucoup de pays s'y dérobaient, non parce qu'il s'agit de la Fondation El Qods, mais parce qu'à la tête de celle-ci se trouvait un certain Youcef El Karadaoui, qui dit-on, fait l'apologie du terrorisme et n'hésite pas à légitimer les opérations kamikazes. » C'est le cas, révèle le cheikh, d'un Etat arabe, sans le nommer, qui accuse-t-il, s'est rétracté à la dernière minute suite à des pressions exercées sur lui. Le président Bouteflika a répondu volontiers à la demande. A une question relative aux « missions politiques » de la Fondation El Qods, qui se définit comme une organisation indépendante, et dont le programme est articulé autour de la préservation d'El Qods, l'exégète rétorque que le rôle de la fondation « se borne à soutenir la cause palestinienne, à défendre El Aqsa ». La fondation, souligne-t-il, se défend de s'ingérer dans les affaires internes des Etats. « A l'ouverture de la conférence, certains m'ont demandé pourquoi dans les programmes de la Fondation ne figurent pas le djihad et la lutte armée pour libérer les territoires occupés ? Je leur ai dit qu'il y a un temps pour tout (Likouli makam makal). Et l'heure est à présent au djihad civil, qui consiste à financer des programmes de développement en Palestine. » « Certains, observe-t-il, cultivent une susceptibilité exagérée à chaque fois qu'on traite d'El Qods et qu'on parle de soutien à la Palestine. » Ce sont, qualifie-t-il, des personnes qu'effraient leur ombre. L'islam attaqué Le « djihad civil » s'est traduit par la présentation de plusieurs programmes, avec un ensemble de projets de développement pour la Palestine, pour un coût global de 34 millions de dollars. « La collecte d'hier a permis de réunir 4 millions de dollars de dons de particuliers et de grandes entreprises ». Il dit compter davantage sur les soutiens populaires et les mouvements associatifs « beaucoup plus » que sur les institutions et les Etats, « même si leurs aides sont toujours les bienvenues » pour mettre « en échec les plans sionistes » qui « visent à vider les lieux saints de ses populations, quelles soient musulmanes ou chrétiennes ». Le cheikh s'exprimera également sur les questions liées au « dialogue » des religions et civilisations, avouant que même si ce dernier a donné lieu à des résultats globalement « positifs », car il a consacré la « vérité de l'Islam », la foi musulmane demeure néanmoins la cible d'attaques en tous genres. Evoquant à ce titre les caricatures du Prophète Mohammed (QSSSL) publiées par le journal danois et les récentes déclarations incendiaires du pape Benoît XVI, qui ont porté atteinte à l'Islam et au Prophète. « Nous avons participé à des rencontres organisées par la communauté de Sant' Egidio, à Rome et Barcelone, et quand nous avons vu que les hommes d'église ne nous avaient pas soutenus lors de la publication des caricatures et des attaques du pape, nous avons décidé d'arrêter car cela n'a plus de sens. » Concernant la « modération » dans l'Islam, dont certains se revendiquent, selon le cheikh, celle-ci ne se définit pas « contrairement à ce qui est répandu comme étant de la souplesse dans la pratique de la religion ». Pour le mufti égyptien, la voie modérée signifie un « durcissement sur l'essentiel » et « une flexibilité sur l'accessoire ». C'est une voie qui est, d'après lui, codifiée qui allie intransigeance sur les préceptes d'une part et dialogue et indulgence avec autrui, de l'autre… A propos du « prosélytisme chiite », une question sur laquelle le cheikh n'aime pas « tellement s'exprimer » parce qu'étant « sensible », il déclare avoir exigé des autorités chiites de faire « cesser » le prosélytisme car il est porteur de « haine et périls ». « J'ai dit au congrès de Doha qui avait tenté de rapprocher sunnites et chiites de cesser de calomnier les compagnons du Prophète. » Ajoutant avoir demandé par le passé à Khatamei et à Rafsandjani d'arrêter de conquérir les terres des sunnites. Une condition sine qua none, selon lui, pour espérer une entente cordiale entre les deux communautés.