La loi ne doit pas être bavarde. Elle ne doit pas prendre en charge les détails », a estimé Jean Gicquel, professeur à l'Université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne). Cet ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature français intervenait hier, à Djenane El Mithaq à Alger, lors d'un débat sur la procédure législative dans les systèmes comparés, organisé par le ministère des Relations avec le Parlement. Jean Gicquel a même parlé de l'histoire qui, normalement, n'est pas du ressort des législateurs. S'il a cité l'exemple du texte sur « le génocide arménien » proposé par l'Assemblée nationale française, il n'a pas évoqué la fameuse loi du 23 février 2005 relative aux « effets positifs » de la colonisation qui fut à l'origine d'une polémique entre Alger et Paris. Jean Gicquel, qui est spécialiste du droit constitutionnel, a détaillé le système législatif français qui ressemble à celui appliqué en Algérie. D'abord, il y a l'initiative des lois qui, à 90%, est l'œuvre du gouvernement. Petite différence : l'APN, qu'a présidée Amar Saâdani et qui est désormais invité à prendre sa retraite, n'a proposé aucun texte de loi. L'intervenant a observé que les parlementaires français doivent surmonter plusieurs obstacles avant d'initier une loi. Il a cité l'irrecevabilité constitutionnelle et les incidences financières. « Aucune proposition ne sera acceptée si elle réduit les ressources de l'Etat », a-t-il précisé. Ensuite, la règle de la majorité, comme celle de l'UMP (droite) actuellement, neutralise les initiatives de l'opposition. Si le système n'est pas le même, l'initiative du Parlement est plus importante en Allemagne, selon Oliver Borowy, responsable au Bundestag (Chambre basse du Parlement). « Dans le courant d'une période de 4 années de législature, environ 900 projets de lois sont déposés au Bundestag, dont 50 à 60% suite à des initiatives du gouvernement fédéral, environ 30% sont dus à des initiatives des groupes parlementaires représentés au Bundestag, et 5 à 10% suite à des initiatives du Bundesrat (Sénat) », a-t-il expliqué. Le Bundestrat est considéré comme une Chambre haute du Parlement et est composé de membres des gouvernements des Länder (régions). En Allemagne, la compétence législative revient à l'Etat fédéral et aux Länder. D'après Oliver Borowy, l'Etat peut légiférer, entre autres, sur les affaires étrangères, la défense, le régime monétaire, le droit des étrangers. Les länder peuvent prendre en charge les domaines de l'enseignement, de la sécurité, le droit communal... Jean Gicquel a rappelé que la Constitution de 1958 (qui a installé la Ve République et qui a été inspirée par le général de Gaulle à cause de la guerre de libération en Algérie) a redonné le pouvoir de décision au président de la République et au gouvernement au détriment du Parlement qui, lui, est « une vitrine de la démocratie ». L'opposition a le droit, selon l'universitaire, de provoquer une motion de censure du gouvernement, de retarder les débats sur les projets de loi, de renvoyer les textes en commission et d'introduire des modifications aux textes. Lors de la dernière législature, pas moins de 234 000 amendements aux lois ont été introduits. En Allemagne, 5% des députés du Bundestag peuvent initier un projet de loi. Les projets venant du Bundestag ne sont pas remis au Bundestrat. « C'est pourquoi qu'il n'est pas rare que le gouvernement fédéral présente des projets de lois urgents à travers les groupes parlementaires de sa majorité. Mais la plupart des projets de lois initiés par le Bundestag proviennent des groupes parlementaires de l'opposition »,a précisé Oliver Borowy. Ce n'est pas le cas en Algérie où l'Exécutif est envahissant et où l'opposition est presque transparente à l'APN. Abdallah Oussedik, directeur des études au secrétariat général du gouvernement, a analysé le processus d'élaboration des lois soumis à « une multiplication des avis ». Même si cette démarche concertée prend du temps, elle est, aux yeux de Abdallah Oussedik, nécessaire pour l'harmonie de la législation. « Il faut veiller à l'applicabilité des lois », a-t-il remarqué soulignant que le Conseil de l'Etat est sollicité pour avis sur les textes. En France, le rôle du Conseil de l'Etat est plus clair. « Il est l'expert juridique du gouvernement. Il participe à la confection des lois et des ordonnances. Il peut même déjuger le Conseil des ministres », a indiqué Jean Gicquel. Le Conseil constitutionnel, lui, n'a pas les mêmes prérogatives que le Tribunal constitutionnel en Allemagne. « Ce tribunal est totalement indépendant », a souligné Oliver Borowy. En France, les juristes critiquent le fait que les présidents de la République soient membres à vie et de droit du Conseil constitutionnel. « Il faudrait adopter le modèle italien où les présidents de la République sont sénateurs à vie », a proposé Jean Gicquel qui a souligné que les députés peuvent saisir le Conseil constitutionnel (ce n'est pas le cas en Algérie). A noter enfin que la rencontre d'hier a été marquée par l'absence de Abdelaziz Ziari, ministre chargé des Relations avec le Parlement, qui devait ouvrir les travaux. « Le ministre a des urgences à gérer », a dit un responsable sans préciser la nature de ces « urgences ».