Il faut immédiatement fermer la pêche au thon en Méditerranée dans l'attente d'une réforme de la gestion de cette ressource », conclut un rapport de 90 pages du World Wildlife Fund ou Fonds mondial pour la nature (WWF) qui menace, dans le cas contraire, d'appeler négociants et consommateurs du Japon et des Etats-Unis à cesser tout achat de thon rouge provenant de cette zone de pêche. Le rapport disponible depuis quelque temps sur le web est bien documenté. Les affirmations et conclusions reposent sur cinq études, qui ont analysé et comparé sur 2004 et 2005 les données commerciales des pays exportateurs et importateurs, les chiffres officiels des captures de thon rouge et les estimations des INN (illégales, non déclarées, non réglementées) et celles fournies par les principales flottes de senneurs (thoniers qui utilisent un filet comme piège). Et comme une grande partie du thon est capturée vivante pour être mise en « grossissement » dans des fermes marines, pratique qui s'est étendue exponentiellement depuis 1997 en Méditerranée, l'ONG internationale a examiné de plus près les comptes et les productions de ces fermes d'élevage. Pour finir, elle a suivi l'activité de transport du thon rouge et plus spécialement celui qui se fait hors Méditerranée grâce au pistage par satellite. La pêche au thon en Méditerranée, conclut l'organisation écologiste, est catastrophique et en plus elle est au service des réseaux mondiaux de blanchiment d'argent. Greenpeace, pour sa part, dénonce les 58 élevages de thon en Méditerranée qui ont une capacité réelle de 51 000 t de thon engraissé, ce qui dépasse de plus de 40% les 32 000 t de captures totales autorisées et réparties entre les pays riverains par l'ICCAT, la commission internationale pour la conservation du thon dominée, dit-on, par les Américains et les Japonais. Pour l'organisation de protection de l'environnement, il n'y a aucun doute que la différence provient de pêches illégales et pirates. Les élevages sont en pleine croissance, car le thon d'élevage est très recherché pour la production de sushi de qualité devenu accessible à un plus grand nombre de consommateurs au Japon et aux USA. Elle dénonce encore les ravages dévastateurs opérés dans le bassin occidental de la Méditerranée par les flottes françaises et espagnoles qui ont poussé les armateurs à envoyer leurs navires dans le golfe de Syrte (Libye), là où se reproduit le thon rouge et où les scientifiques de l'ICCAT, eux-mêmes, ont constaté que le nombre d'adultes en âge de se reproduire aurait baissé de 80%, ces dernières années. En effet, le sushi haut de gamme s'obtient lui à partir de thon qui n'a pas encore frayé. « Le nombre de pays et d'entreprises impliqués dans la pêche et l'élevage du thon, la complexité, voire l'opacité des financements d'investissement, font que la gestion de cette ressource est incontrôlable. Ceci ajouté au fait que la mer est un vaste no man's land dans lequel personne n'est en mesure de savoir ce qui s'y passe réellement et où toutes les acrobaties sont possibles », souligne l'ONG. L'Algérie est citée au chapitre de cette pêche pirate étroitement liée à l'approvisionnement en poisson vivant dans des fermes d'élevage. Ce qui est livré aux élevages est, selon les organisations écologistes, de 40% supérieur à ce qui est autorisé à la pêche. Pour ce faire, les pays producteurs qui délivrent des licences de pêche aux thoniers ne déclarent pas à l'ICCAT la totalité de leurs exportations, bien qu'ils soient tenus de le faire, comme par ailleurs les pays importateurs à l'autre bout de la chaîne. Une manière de contrôler l'activité. L'Algérie a obtenu des quotas de 1500, 1550, 1600 et 1700 t respectivement en 2003, 2004, 2005 et 2006. Pour 2007, il a été fixé à 1510 t par l'ICCAT. Les captures déclarées par le MPRH sont de 1586 t pour 2005, 1208 t pour 2004 et 950 t pour 2005. A notre connaissance en 2006, le MPRH a attribué pour 200 t des licences à des Coréens qui n'en auraient pris que 75. L'astuce des japonais Tout ceci pourrait paraître parfaitement normal, vu l'incompétence qui nous caractérise dans ce domaine, comme celle de s'emmêler les pinceaux avec les chiffres, et à ce propos, le MPRH a déclaré officiellement à l'ICCAT l'existence de 19 senneurs algériens. Ce qui est absolument faux. On a nous répondu que ce chiffre a été avancé délibérément, car c'est de bonne guerre pour obtenir de l'ICCAT un plus important quota annuel. Tout ceci serait donc parfaitement normal si le rapport de Greenpeace ne s'interrogeait pas sur des exportations déclarées par l'Algérie et qui ne seraient jamais arrivées en Croatie où sont concentrées les grandes fermes d'élevage. Pis encore, un propriétaire de 2 thoniers de Port Vendrès (France), le Saint-Antoine Marie et le Golfe de lion, a été interpellé par les représentants de l'ICCAT en novembre 2006 à Dubrovnik pour fraude, parce qu'il n'aurait pas déclaré 300 t de thon pêchées dans les eaux algériennes en 2005. Il risque gros vis-à-vis du fisc et de la justice de son pays. En fait, a-t-il expliqué sans être parvenu se justifier, il n'a jamais obtenu la licence qu'il a sollicitée auprès des autorités algériennes cette année-là alors qu'elle lui avait été accordée sans problème en 2003 et 2004. Où sont donc allées ces supposées 300 t et qui a empoché l'argent ? On est en droit de se le demander lorsqu'on sait que le kilo de thon s'échange à 1,68 euro le kilogramme au réel et peut atteindre le double sous le manteau. Autre astuce pour s'enrichir illégalement et contribuer au blanchiment international d'argent. Les Japonais, c'est connu, sont capables de tout pour obtenir du thon. Ils pêchent essentiellement à la ligne (linners). En 2004, les chiffres officiels leur donnent des captures de 638 t, 700 en 2005 et 620 en 2006, dans les eaux algériennes alors qu'un thonier de leur gabarit n'est rentable qu'au-delà de 100 t, surtout si l'on sait que la campagne se limite à moins de 2 mois en tout et pour tout. En fait, ils déclarent officiellement 10 ou 12 bateaux au vu des avances forfaitaires qu'ils versent au Trésor algérien, mais ce n'est pas moins de 5 à 8 bateaux supplémentaires non déclarés, mais avec le même numéro d'immatriculation que les thoniers japonais pêchent dans les eaux nationales au détriment des stocks, 2500 t selon le WWF, et du Trésor algérien. Ce même Trésor qui par ailleurs refuse l'argent des armateurs algériens au-delà de la date du 20 février, terme fixé par le MPRH pour les demandes de licence. Pourtant, nous avons appris, le week-end dernier, que le secrétaire général du MPRH proposait à Istanbul, à l'occasion de sa mission pour désamorcer la crise des 30 chalutiers retenus par les Turcs, une licence pour 600 t de thon. Sur ce point précis, le chargé de la cellule de la communication du ministère nous a répondu qu'au 20 février, une importante quantité du quota de thon n'avait toujours pas trouvé preneur, contrairement aux affirmations des armateurs nationaux qui affrètent des bateaux. Et c'est pour cette raison que l'offre a été faite aux Turcs. En fait, a-t-il tenu à préciser, sur 10 demandes, il y en a toujours 3 à 4 qui sont rejetées pour différents motifs. Quant à la répartition des quotas entre les armateurs, elle ne souffre d'aucune équivoque puisqu'elle est établie par un comité ad hoc formé par les ministères de la Défense, du Commerce et des Pêches. Pour le reste, les gardes-côtes contrôlent les activités des thoniers et veillent à l'intérêt du pays. A propos de l'armateur français qui nie avoir obtenu une licence comme l'ont déclaré à l'ICCAT les autorités algériennes, le porte-parole du MPRH répond qu'il n'y a aucune trace de cette affaire au ministère. Incompétence ou malversation ? Chez nous, la limite est ténue quand ce n'est pas délibérément la première qui est employée pour seconder la seconde.