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Des questions autour du thon algérien
Alors que l'Algérie bénéficie d'un quota de l'ordre de 1500 tonnes par an
Publié dans El Watan le 31 - 05 - 2008

Il est systématiquement surexploité et même pourchassé impitoyablement jusque dans ses zones de reproduction comme le Golfe de Syrte (Libye).
Une situation que dénoncent depuis plusieurs années déjà non seulement les grandes ONG comme Greenpeace et le WWF (World Wildlife Fund) mais également le SCRS qui est l'organisme scientifique de l'ICAAT, (la commission internationale pour la conservation de thonidés de l'Atlantique Nord) qui tente de maîtriser l'exploitation de cette espèce en voie de disparition. Cette organisation est dominée par les USA et le Japon qui, bien entendu, défendent avant tout leurs intérêts. Mais le désastre est tel que ce sont les USA eux-mêmes qui ont demandé en novembre 2007 à Antalya (Turquie), lors de sa session annuelle, d'interdire pendant 3 ans de pêcher le thon en Méditerranée, ceci face à la curée de certains pays dotés de moyens puissants et modernes, en l'occurrence l'Italie, la France et l'Espagne. L'ICCAT, qui n'autorise que la prise globale de 32 000 t en Méditerranée alors qu'on en pêche 52 000 t, répartit cette quantité en quotas entre les pays riverains et elle tente, par un système de déclarations entre les licences accordées par les pays, les quantités débarquées et leur origine, de contrôler l'activité. Depuis 2002, l'Algérie bénéficie d'un quota de l'ordre de 1500 t par an qu'elle peut exploiter « en bon élève de l'ICCAT », selon le ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques (MPRH) à raison de 60% par des navires sous pavillon national et 40% par des navires étrangers auxquels il délivre une licence en contrepartie d'une taxe versée au Trésor public. 500 000 DA par navire déclaré et 150 000 DA la tonne pêchée (150 DA/kg). Les licences accordées aux pavillons nationaux sont exemptes de ces taxes et le texte qui fixe la part nationale et la part étrangère est une simple recommandation qui présente l'avantage de favoriser le quota national et on le comprendra pourquoi un peu plus loin. Mais qui a vu du thon frais en Algérie ? Qui a vu du thon en vente sur les marchés ou les étals algériens ? Où se trouve la conserverie qui a absorbé le quota pour nous en faire des conserves. Personne, bien entendu, parce qu'il n'y a pas eu un seul kilo de débarqué en Algérie. Sur les 1500 t, 500 à 600 sont régulièrement cédées à des Japonais ou des Coréens. Ce qui rapporte au Trésor algérien quelque 120 millions de dinars. En revanche, on n'arrive pas à savoir ce que deviennent les 1000 t qui manquent. Soit 1 milliard de dinars au bas mot de 2002 à 2005. La question a été posée au MPRH. Réponse : c'est ce qui a été pêché dans le cadre de la pêche artisanale dans laquelle il faut inclure la flottille algérienne de thoniers. Faux ! Archifaux ! rétorquent les professionnels. L'association des pêcheurs nie avoir vu passer le moindre thon dans les criées, et elle prend à témoins les douanes algériennes qu'il n'y a en pas eu un seul kilo d'exporté. En retour, elle interpelle le MPRH sur les véritables bénéficiaires de cette manne. Ils se demandent aussi de quelle flottille algérienne parle le MPRH. La demi-douzaine de chalutiers et sardiniers poussifs reconvertis en thoniers ou ces navires certes flambant neufs, mais déjà en panne, encombrent déjà les ports et font piètre figure devant les bateaux japonais ou coréens, bourrés d'électronique, guidés vers les bancs par des satellites et des avions de reconnaissance et qui déterminent la rentabilité du banc de poissons, avant même la prise, en calculant le temps pour le pêcher et le traiter, la surface et la température de stockage et au final le nombre de sushis qui tombent dans l'assiette du consommateur de l'autre côté de la planète. Les Asiatiques, avec tout leur savoir-faire, déclarent 12 bateaux de ce type pour les 600 t qui leur sont accordées. Comment la flottille algérienne, si elle existait vraiment, pourrait pêcher les 1000 t qui restent ? Et, précisent nos interlocuteurs, avec quels équipages ? Une situation que corroborent par ailleurs certaines déclarations du ministre de la Pêche lorsqu'il justifie par le manque de bateaux les ambitieux programmes de constructions navales soutenus par le PSRE (Programme de soutien à la relance économique).
Le thon est donné
Le MPRH a réuni en mars dernier, bien après le terme du délai pour les soumissions qui est le 31 janvier, une demi-douzaine d'armateurs reconnus thoniers pour les inviter à prendre en partie le quota pour les nationaux. « Nous n'en avons pas les moyens », ont répondu une fois de plus les professionnels qui savent qu'il ne s'agit là que de gesticulations pour sauver les apparences. En réalité, les choses se passent autrement. Il y a un pillage à grande échelle du thon en Méditerranée, selon le SCRS, le WWF et Greenpeace. Au cœur de la surexploitation et de la non-déclaration qui l'accompagne, se trouvent les fermes d'élevage de thon qui poussent comme des champignons partout sur ses rives et qui pullulent parce que très rentables, notamment en Turquie. L'ICCAT impose de ne vendre qu'aux fermes d'élevage qu'elle agrée et homologue pour la traçabilité des transactions. Or, ce n'est pas le cas et, par la force des choses, des réseaux interlopes se sont emparés des commandes de cette activité. Les fermes, en plus de favoriser le pillage du thon, sont également suspectées de blanchir des sommes colossales d'argent sale et l'Algérie est pointée du doigt dans l'approvisionnement de ces fermes. Qu'en est-il vraiment ? En 2007, la licence pour le quota national a été accordée, par le truchement d'un bureau d'études, à une société de pêche de droit algérien qui est loin d'avoir les navires qu'il faut en nombre et en tonnage. En revanche, elle compte parmi ses tuteurs plusieurs fonctionnaires de la pêche et quelques affairistes. Cette société a été autorisée à signer le 12 mai 2007 un contrat avec le président de l'association des fermes d'élevage turques, Nedim Ambar. En fait, une chose parfaitement acceptable si le contrat avait été domicilié comme une exportation. Or, cela n'a pas été le cas et de surcroît contraire aux recommandations de l'ICCAT qui imposent que les contrats soient établis, pour la traçabilité toujours, uniquement avec des fermes agréées. La licence accordée à la société algérienne a été ainsi rétrocédée aux Turcs pour leur permettre d'approvisionner leurs fermes non déclarées à partir de thon pêché illicitement au nom de l'Algérie, au détriment de son Trésor public et de cette ressource naturelle commune non renouvelable que représente le thon. Le scandale des 30 chalutiers commandés dans le cadre du PRSE et retenus en otages par les chantiers navals turcs ANA-groupe (El Watan du 20 mars 2007, El Khabar du 5 novembre 2007) en échange d'une rallonge alors que les prix avaient été négociés fermes et non révisables est lié à ces transactions opaques sur le thon. Les Turcs se sont permis de retenir les bateaux algériens parce qu'ils avaient eu des assurances sur des contrats de thon qui tardaient à se concrétiser et la crise, délibérément provoquée, ne s'est dénouée qu'en échange de plusieurs licences de pêche. Mais qui est ANA groupe ? Cette société est dirigée par les membres d'une même famille. Après sa disparition d'Algérie, elle réapparaît en Turquie sous la forme de deux sociétés. La première ANA-maritime devient la propriété d'un Algérien, cadre à la BADR, la banque qui, précisément, a géré le financement PRSE/MPRH des constructions navales et la seconde ANA-International restée aux mains des Turcs. En 2008, un scénario semblable à celui de 2007 a été mis en place mais avec d'autres protagonistes. Notre enquête qui a exigé un rapprochement avec le MPRH pour savoir où est passé le thon pêché de la part « nationale » du quota algérien aurait, semble-t-il, semé la panique. Encore pour sauver les apparences, on a appelé à la rescousse d'autres professionnels, jamais sollicités jusque-là, mais qui n'ont pas non plus les moyens de pêcher les 1000 t du quota national passé, entre-temps à 1720 t pour 2008. Les pays du Maghreb ont en effet bénéficié d'un bonus de 691 t en faisant valoir la faiblesse de leurs moyens. 1460 t seulement, dit le MPRH. Soit, mais comment vont pouvoir faire nos armateurs ? Où vont le thon pêché et l'argent ? Car il est bel et bien pêché comme le prouvent les statistiques de l'ICCAT. Le MPRH n'a pas été en mesure de répondre à la question. Personne ne sait rien des dizaines de milliards qui disparaissent chaque année dans la pêche au thon.


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