Les services de renseignements ont-ils été pris de court par les kamikazes d'Alger ? La question mérite en tout cas, et amplement, qu'on la pose, vu la gravité de l'événement qu'à vécu mercredi passé la capitale et la nature de la « cible » attaquée par les terroristes, à savoir le palais du gouvernement, l'édifice incarnant l'autorité centrale. Si les attentats spectaculaires du World Trade Center, de Madrid, pour ne citer que ceux-là, ont été révélateurs de graves carences dans le renseignement et dans les dispositifs de sécurité de chacun de ces deux pays, des failles ayant débouché, comme c'est de notoriété publique, sur de profondes remises en question et une réorganisation plus efficace des services, les attentats du 11 avril à Alger méritent tout autant que les responsabilités soient situées, et à tous les niveaux. Les attentats d'Alger, tout spécialement celui du palais du gouvernement, estime un analyste, ont démontré les limites des services de renseignements à prévoir et à déjouer à temps, comme c'était le cas mardi à Casablanca, un attentat qui cible un symbole de l'Etat. Chose qui aurait pu se faire, selon lui, si une attention particulière avait été prêtée aux « signes précurseurs » d'une reprise imminente des attentats à l'explosif au niveau d'Alger. Parmi ces signes, l'analyste cite, entre autres, le bulletin d'alerte émis le 12 mars dernier par l'ambassade des Etats-Unis à Alger et qui annonçait des attentats spectaculaires, visant, notamment, l'aéroport Houari Boumediène. « La note n'avait pas été prise au sérieux par nos services », constate-t-il. Une source du département de la sécurité et du renseignement considère, quant à elle, que c'est faire un « mauvais procès aux services » que de parler de « faillite » du renseignement ou de « démobilisation ». Surtout, dit-elle, que ce type d'attentats, l'attentat kamikaze, est réputé « imparable ». Pour commettre leur attentat, les terroristes ont su, d'après notre interlocuteur, mettre à profit la vulnérabilité du palais du gouvernement, une cible facile pour eux, puisqu'il est situé à la lisière des quartiers populaires et est dépourvu d'un périmètre de sécurité. Le choix des cibles vise, d'après la même source, à « faire diversion ». « Les chefs terroristes, dit-il, veulent ouvrir une brèche dans le dispositif qui se resserre autour d'eux suite à l'importante opération militaire actuellement en cours en Kabylie, à Amizour notamment, où le commandement du GSPC est localisé. » Trop simpliste ? Sans doute. Les objectifs recherchés par la branche d'Al Qaïda au Maghreb, avec cette série d'attentats kamikazes perpétrés au Maroc et en Algérie, ne peuvent être réduits à une simple manœuvre de diversion. Par ailleurs, pour expliquer la « facilité » avec laquelle les kamikazes ont pu atteindre, à Alger même, des cibles aussi stratégiques que le palais du gouvernement et le siège de la police judiciaire est à Bab Ezzouar, certains observateurs de la situation sécuritaire n'hésitent pas à faire un lien avec la dissolution fin juillet dernier de l'ONRB, une section opérationnelle de recherche et d'investigation qui regroupe les meilleurs cadres de différents services de la police et du renseignement. Les « Ninjas », comme on les surnomme à Alger, est ce corps d'élite de la police, qui a cessé d'exister depuis l'été 2006. Son engagement et son efficacité sur le terrain ont fait de l'ONRB, depuis sa création en 1992 sur décret du défunt président Mohamed Boudiaf, le fer de lance de la lutte antiterroriste. Certains officiers de l'ONRB, on se rappelle, n'ont pas hésité à contester la décision du patron de la police, Ali Tounsi, jugée « précipitée ». La dissolution a-t-elle eu une quelconque influence sur l'action antiterroriste ? « Aucune », répond une source sécuritaire. L'argument avancé est que « l'ONRB n'a jamais été un service antiterroriste, à proprement parler. » « Pis, poursuit-elle, les BMPJ (brigades mobiles de la police judiciaire) ont hérité des prérogatives de l'ONRB, ce qui a permis une poursuite du travail. » Sans prêter le flanc aux critiques qui couvent, imperturbable, quelle qu'en soit la situation, le ministre de l'Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, dont certains des bureaux de son propre département ont été soufflés par l'explosion du véhicule piégé, persiste à nier tout manquement dans la conduite de la lutte antiterroriste. Estimant, tour à tour, que la situation sécuritaire demeure « correcte », et que « nous sommes sur la bonne voie » pour éradiquer le terrorisme. Alors qui dit mieux ?!