Même dans les moments les plus douloureux, tel celui du 11 avril à Alger, la politique s'invite ou s'incruste insidieusement. Le rassemblement contre le terrorisme de la coupole Mohamed Boudiaf a rallié les partis de l'alliance présidentielle, auxquels s'étaient joints le PT et l'UGTA, inconditionnels eux aussi du chef de l'Etat. Mais la plupart des formations partisanes étaient absentes, notamment celles se positionnant dans le camp démocratique, dont le FFS et le RCD. L'alliance ANR-UDR-MDS avait envisagé, elle, de tenir son propre meeting, un autre jour, le 20 avril. Les grandes personnalités de l'opposition ou en retrait de la scène politique du pays n'étaient pas présentes au rassemblement. Manifestement, les boycotteurs n'entendaient pas cautionner l'amalgame fait entre la lutte contre le terrorisme, la réconciliation nationale et le plébiscite de Bouteflika. Un amalgame apparu dès les premières heures qui ont suivi le double attentat kamikaze dans les discours des officiels, le premier celui de Belkhadem devant le siège du Palais du gouvernement dévasté. Parmi les absents à la coupole, certains entendaient carrément se démarquer de la réconciliation nationale dont l'impact sur le terrain a été décevant voire nul, la preuve ultime étant le retour en force du GSPC. De plus, apparaître dans un meeting aux côtés de partis liés au pouvoir aurait été pour les formations engagées dans le scrutin législatif du 17 mai un mauvais signal à leurs militants et sympathisants, à quelques semaines des élections. La politique qui interfère dans l'antiterrorisme n'est pas une chose nouvelle. Ces cinq dernières années, l'ensemble des marches et meetings organisés en faveur de la concorde puis de la réconciliation nationale ont servi à glorifier le régime et le chef de l'Etat. Durant la terrible décennie 90, la ligne de démarcation était le Contrat de Rome : les manifestations organisées par les adversaires du texte pro-FIS étaient systématiquement boycottées par les signataires et les sympathisants de l'accord et vice-versa. La scène politique était divisée entre les pro et les anti-charte de Sant Egidio. Dans ce dernier camp figurait le régime Liamine Zeroual que soutenait nombre de partis démocratiques et d'associations de victimes du terrorisme. Jusqu'à l'apparition, en 1995, de la rahma qui a commencé à rendre le président de la République suspect. Le 20 août 1997, la marche organisée par l'UGTA a été boycottée par la plupart des partis d'opposition. Le MSP, alors en dehors du pouvoir, s'était joint au boycott, à la différence d'aujourd'hui. Bouguerra Soltani est ministre d'Etat et son parti compte trois ministres au gouvernement. Une constante : plus le pouvoir s'implique ou trouve son compte, plus la manifestation est inscrite au registre de la réussite : mobilisation de moyens de l'Etat, des collectivités locales et du syndicat unique. Et lorsque, fait rare, le « succès » n'est pas au rendez-vous, les médias publics, notamment la télé sont mobilisés pour le prouver. Agir en solo, quitte à contrevenir une interdiction officielle est périlleux. Lorsque des députés de tous bords ont organisé « la protesta » contre la fraude électorale en 1997, ils ont carrément été tabassés par la police. Exit l'immunité parlementaire. Le RCD a frayé avec le cauchemar quand il a tenté sa marche vers la présidence de la République pour obtenir la vérité sur l'assassinat de Boudiaf : une bombe a explosé au milieu du cortège faisant plusieurs victimes. Autre douloureux souvenir, pas très lointain celui-là, la procession des archs dans la capitale qui a débouché sur un immense désordre. Le résultat a été l'interdiction — toujours en vigueur — de toute marche à Alger. Il y eut enfin celle organisée par Aït Ahmed en 1991 à Alger, mais débouchant sur un malentendu : le leader du FFS a plaidé pour la poursuite du processus électoral alors que les démocrates attendaient de lui qu'il barre la route à l'intégrisme. Ce fut finalement Boudiaf qui l'a fait, payant, pour cela, de sa vie au cours d'un meeting à Annaba. Et le citoyen dans tout cela ?