L'alignement du GSPC sur Al Qaïda s'explique, d'après l'analyste, par l'affaiblissement militaire du GSPC et la perte de ses soutiens, y compris ceux des oulémas de la Salafia. Les attentats d'Alger doivent être interprétés, d'après H'mida Layachi, comme un message fort qu'envoie le GSPC à Al Qaïda pour lui signifier son adhésion à son mode opératoire, à savoir l'attentat kamikaze. Parmi les conséquences directes des attentats d'Alger, qui ont « fragilisé » le processus de la réconciliation nationale et « surpris » le président de la République, le spécialiste s'attend à une « nouvelle » initiative politique qui « rompt avec les concessions », et à un changement dans le discours politique qui sera plus « musclé vis-à-vis de l'islamisme radical ». Dans l'entretien que vous avez accordé au journal Le Monde, vous dites que les attentats du 11 avril étaient prévisibles. Quels sont les éléments qui vous permettent de l'affirmer ? Je l'ai dit, il y a plus de six mois, lors d'un entretien pour Associated Press. Le Gspc renfermait entre 2000-2001 quelque 4000 à 5000 éléments actifs sur le terrain, sans parler de ceux qui forment son réseau de soutien logistique, etc. L'arrivée de Abou Moussab Abdelwadoud, l'actuel émir du Gspc, a donné lieu à un changement dans la stratégie. C'est un universitaire, il est diplômé de l'université de Blida, spécialiste de l'explosif et sur le plan religieux, il est aussi très calé. Il a fait preuve de pragmatisme, en mettant en place la nouvelle stratégie du Gspc. Avant son accession, le Gspc était miné de l'intérieur par de nombreux conflits. La tendance Hattab était favorable à la réconciliation alors que celle de Sahraoui Nabil, l'ex-émir, la rejetait en bloc. C'est un conflit qui a grandement affaibli le Gspc. L'autre élément expliquant le virage négocié par le Gspc a trait à la perte de ses soutiens, notamment en Kabylie, à Boumerdès, etc. Sur le plan idéologique, et contrairement au GIA, dont il est issu, le GSPC ne considère pas la société algérienne comme une société d'apostats, et orientait sa guerre contre le Hokm, le gouvernement, contre qui il doit, d'après ses fetwas, mener le djihad. Les prémices d'un changement de stratégie étaient perceptibles avec Nabil Sahraoui qui a cherché l'impact médiatique en instaurant l'autonomie du Gspc, version Sahel, avec Mokhtar Belmokhtar. Leurs opérations étaient orientées dans cette optique contre les touristes, etc. L'élimination de Sahraoui a accentué la mise en place de la nouvelle stratégie sous Abdelwadoud qui s'est aligné carrément sur Al Qaïda, un alignement sur le plan symbolique et non organisationnel. Cet alignement, on le constateaprès l'enlèvement à Baghdad des deux diplomates algériens par Zarkaoui, et leur exécution par ce dernier, on s'en rappelle, a été reçue avec les bénédictions du Gspc. L'affaiblissement militaire du Gspc, dont l'effectif ne dépasse pas 1000 éléments, justifie amplement la recherche par le Gspc à instrumentaliser les foyers de conflits, comme l'Irak, pour récolter des dividendes, repeupler les maquis et avoir de nouvelles recrues. Le Gspc a fait en sorte à s'imposer comme le vrai représentant d'Al Qaïda au Maghreb. Entre les deux, il y a une sorte de troc. Al Qaïda, qui ne renfermait pas en son sein des éléments issus du Maghreb, fera une offre de service intéressante au GSPC, qui a plus que besoin des relais médiatiques d'Al Qaïda pour faire sortir ses opérations de la dimension locale dans laquelle il s'est engouffré. En retour, via les chaînes satellitaires arabes, Al Qaïda concrétise ses multiples objectifs, notamment en matière de nouvelle politique de recrutement à destination de jeunes générations de musulmans. Pensez-vous qu'on aurait pu faire échouer les attentats du 11 avril ? Objectivement, les services de sécurité n'auraient pas pu les empêcher. Pour cela, il faudrait que soit entrepris un travail minutieux et en amont, par les renseignements. L'expérience algérienne en matière de lutte antiterroriste n'intègre pas les nouveaux éléments introduits par l'acte kamikaze. C'est là un phénomène, tout nouveau pour les services de sécurité et des renseignements algériens. Que pensez-vous des récentes déclarations du ministre de l'Intérieur qui avait presque écarté la piste de l'attentat kamikaze ? M. Zerhouni s'est enlisé dans des détails techniques. Le fait que la charge explosive soit actionnée à distance ne peut pas exclure la piste kamikaze. Concernant l'attentat ayant ciblé le palais du gouvernement, je crois, pour ma part, qu'il y a les deux procédés à la fois, et le kamikaze et la charge télécommandée. A Bab Ezzouar, on ne peut pas dire que l'attentat n'est pas celui perpétré par un kamikaze. Il faut aussi dire que le GSPC ne peut plus reprendre le même type d'opérations que celles des années 1990. Le groupe veut se préserver et préserver ses cadres. Ceci explique le fait qu'il mise sur les nouvelles recrues, en envoyant par lâ même un message très fort à Al Qaïda pour lui signifier son adhésion à sa méthode. Une méthode appliquée aussi en Irak et en Afghanistan. Al Qaïda, qui est une espèce de label, a besoin d'un groupe bien structuré, expérimenté dans les maquis (ce n'est pas le cas des « amateurs » du Maroc). Et a besoin également de sang neuf pour servir aux attentats kamikazes, comme ceux d'Alger. C'est l'impact médiatique qui est recherché, le GSPC s'est restructuré, en donnant naissance à un conseil exécutif, un majlis al aâyane, constitué en majorité d'éléments issus du GIA, (des recrues de 1993 à 1997), forgés par les maquis, des vétérans. C'est une composante qui considère le GSPC comme le prolongement du GIA, sans la période des massacres collectifs de 1996-1997. Elle se revendique du GIA de 1994, du congrès de l'Union. Il faut aussi relever que le processus de la réconciliation a piégé le GSPC, en le privant de soutiens, dont ceux des « ouléma » de la salafia comme Al Albani. La charte a eu de l'effet sur ces ouléma qui ont retiré leur « couverture » au GSPC, puisque, considèrent-ils, l'avènement de la réconciliation nationale rend illégitime l'action du djihad en Algérie. Katibat El Ghorba a déposé les armes suite à une fetwa allant dans ce sens. C'était à l'époque une véritable saignée qu'a subie le GSPC. Ce dernier n'avait d'autre choix que de poursuivre sa « guerre classique » qui n'est plus rentable, ou chercher à atteindre les symboles du pouvoir en adoptant, sans en avoir les moyens, le terrorisme urbain. Sa seule échappatoire était de perpétrer des attentats kamikazes, une spécialité reconnue à Al Qaïda. Le « pragmatisme » de l'émir du GSPC réside dans le fait qu'il a su s'inviter sur le terrain de cette organisation. Le GSPC posséderait-il une réserve de kamikazes prêts à se faire exploser ? Si c'est le cas, comment sont-ils préparés et où ? La préparation existe, c'est évident. Le profil des kamikazes du 11 avril n'est aucunement celui d'anciens terroristes, mais plutôt de jeunes têtes, non fichées, amadouées en prison, recrutées parmi des détenus de droit commun et ne possédant aucune formation idéologique, de passé militant. Le travail de préparation se fait rapidement, quelques mois suffisent. La préparation d'un kamikaze n'exige pas un savoir technique, par contre elle demande une docilité, une écoute, une disponibilité du sujet. L'organisation de ce type d'attentats ne comprend aucun risque pour les groupes terroristes, puisque le kamikaze s'élimine lui-même. La seule parade demeure donc le renforcement du renseignement. Les services de sécurité n'ont pas d'autres choix. Le kamikaze du palais du gouvernement, on le sait maintenant, fréquentait régulièrement, ces trois derniers mois, la mosquée Cherati, au quartier La Montagne, et Cherati, qui est mort en prison, est un des premiers imams du FIS à faire une fetwa pour le djihad en Algérie. La mosquée est ainsi réputée être celle de l'islamisme radical. Les jeunes recrues sont-elles attirées par les opérations suicide ? Le fait que les jeunes recrues du GSPC soient imprégnées de cet état d'esprit, est la conséquence de ce qui se déroule en Irak et de l'influence qu'exercent sur elles les médias. Il faut aussi souligner que la tradition de l'attentat suicide est en premier lieu chiite. A-t-on des preuves irréfutables de l'affiliation du GSPC à Al Qaïda ? Les preuves sont celles que présente le GSPC. Al-Zawahiri, le n°2 d'Al Qaïda, a annoncé cette alliance via la chaîne Al Jazeera, pour moi, c'est une preuve suffisante. Mais on ne peut pas parler d'une affiliation organique, le GSPC mène sa guerre sous la bannière d'Al Qaïda, l'affiliation est symbolique. Aussi, pour l'avenir, la stratégie de décentralisation d'Al Qaïda veut que dès maintenant on puisse préparer la « relève » : le chef du GSPC peut devenir un jour, si les circonstances le dictent, le porte-voix ou le porte-étendard d'Al Qaïda, si les chefs de celle-ci se font éliminer. Il faut savoir que les premiers contacts d'Al Qaïda avec les groupes terroristes algériens remontent aux années 1992-1993 avec un certain Kari Saïd, un responsable d'Al Qaïda qui contactera Chebouti et Méliani. Le premier refusera l'offre, par fidélité au FIS, Méliani jouera par contre le jeu avant de se faire prendre. Il faut savoir aussi que les premières opérations terroristes, celles de Guemmar et de l'Amirauté, comprenaient des éléments affiliés à Al Qaïda. D'autres contacts ont été entrepris avec le GIA après la mort de Kari en 1996, par un Algérien d'origine, Abou Al Assouad, un garde du corps de Ben Laden, qui vivait au Soudan, sa tentative avait échoué mais se soldera par la création de Houmat Daoua Essalafia (Les protecteurs de la prédication salafiste), un mouvement dissident du GIA qui opérait dans la région de Khemis El Khechna, Miliana… La même issue sera réservée aux émissaires libyens d'Al Qaïda, dont certains furent carrément liquidés par l'émir du GIA, Zitouni. Al Qaïda réagira en retirant ses soutiens et en suspendant sa publication Al Ansar qui paraît à Peshawar. En 1998, le groupe de Ben Hadjar contactera le GSPC. Et c'est à partir de cette période justement que le travail de préparation à l'affiliation du GSPC a véritablement commencé à donner ses fruits. Ce travail a pris plus de trois ans. Vous évoquiez, à titre d'impacts directs des attentats du 11 avril sur la scène politique, une éventuelle initiative politique ; vous pensez à quoi plus exactement ? Ces derniers mois ont été, en Algérie, ceux de l'ambiguïté politique, du blocage. Je crois que l'initiative dont je parlais dans Le Monde a trait justement à une entreprise politique qui vise à débloquer la situation. Elle est en train de se mettre en place, on le voit avec la mobilisation de la rue, de la société civile, et il faut dire qu'à l'intérieur du système, on pense qu'on a besoin de créer une nouvelle dynamique politique. Quelle interprétation donnez-vous au silence du président de la République ? C'est un peu de la prudence, un peu de calcul. Les attentats ont fragilisé le processus de la réconciliation. Celui-ci sera peut-être revu pour lui donner un contenu autre que celui des concessions, ce qui donnera une chance pour le retour des forces républicaines, démocrates et autres patriotiques, et on doit s'attendre à ce que le discours politique sera certainement plus musclé vis-à-vis de l'islamisme radical. S'achemine-t-on vers le retour des « éradicateurs » ? Peut-être, mais pas avec le même discours. Le Président ne s'attendait pas à ces attentats, cela a été un choc pour lui ; bon, il y a aussi la donne liée à son état de santé. Mais ce n'est pas tellement les attentats kamikazes, c'est plutôt le fait que les attaques ont ciblé un symbole et le cœur même du pouvoir, le palais du gouvernement. Je pense que maintenant, ils sont contraints de reprendre l'initiative. *M. Layachi est actuellement directeur d'Al Djazaïr News