Si la politique étrangère a occupé peu de place dans les débats de la campagne électorale pour le premier tour — la campagne du second tour apportera peut-être plus d'indications —, l'histoire et le passé colonial semblent déterminants dans l'avenir des relations franco-algériennes. Paris. De notre bureau Interpellés sur cette question, les deux candidats qualifiés ont exprimé leur vision (El Watan des 21 et 22 avril). Tranchée pour Nicolas Sarkozy, plus nuancée et équilibrée pour Ségolène Royal. Nicolas Sarkozy veut se délester du passé comme d'un fardeau qui empêche d'avancer. Ségolène Royal parle d'exigence de « connaissance » et de « reconnaissance » de ce qu'a été la colonisation. Nicolas Sarkozy, qui a le plus évoqué le volet des relations franco-algériennes, se montre d'un réalisme et d'un pragmatisme non dénué de cynisme. S'il écarte la signature d'un pacte d'amitié, arguant que l'amitié n'a pas besoin d'être actée, le candidat de l'UMP veut donner la priorité à la coopération économique. Nicolas Sarkozy imagine même un partenariat avec l'Algérie en matière de nucléaire civil, « en échange d'un partenariat sur l'exportation des champs gaziers ». Dans sa lettre du 16 avril au président du Comité de liaison des associations de rapatriés, harkis et pieds-noirs, il écrivait : « Nous devons aujourd'hui construire ensemble l'avenir, sans repentance, sans réécrire notre histoire avec l'Algérie. » N'est-ce pas lui qui réécrit l'histoire. Quand il s'engage à réhabiliter l'OAS, n'exprime-t-il pas un choix, celui de privilégier et de distinguer une communauté, une mémoire au détriment d'autres communautés françaises, porteuses elles aussi de mémoires et d'histoires douloureuses ? M. Sarkozy oublie-t-il que le général de Gaulle a failli en être victime ? Oublie-t-il Max Marchand et ses camarades instituteurs assassinés, dont le seul crime était d'apporter un peu de savoir à des enfants indigènes dans un océan d'ignorance et de misère ? N'est-ce pas une façon d'orienter l'histoire et son écriture (lire la contribution de l'historien Claude Liauzu ci-jointe). En distinguant enfants de harkis et enfants d'immigrés, tous Français, M. Sarkozy ne bat-il pas en brèche le travail de rapprochement, de réconciliation que les uns et les autres, enfants d'immigrés, de militants du FLN, de harkis, ont amorcé depuis quelque temps ? Lui qui se dit rassembleur de tous les Français, par ses déclarations, ses propositions, ne fait-il pas le contraire ? Les seules relations économiques ne fondent pas des liens privilégiés. « Il nous faut donc favoriser le développement économique des pays d'Afrique du Nord, tout en défendant nos propres intérêts. Je ne suis pas favorable à un traité d'amitié avec l'Algérie. Mais je tiens à l'amitié franco-algérienne. Les actes comptent plus que les mots. L'Algérie a d'immenses ressources énergétiques. La France maîtrise les technologies de l'électricité nucléaire. Nous devons trouver là les bases d'une coopération équitable. Il s'agit d'aller avec nos partenaires européens vers une véritable union méditerranéenne où seront progressivement traitées non seulement les questions économiques et commerciales, mais aussi la circulation de personnes, la lutte contre le terrorisme, la protection des libertés, l'entretien des cimetières », écrit-il encore aux associations de rapatriés et de harkis. M. Sarkozy veut construire avec le Maghreb, en général, et l'Algérie en particulier, des relations d'avenir, sur une base de pragmatisme et de réalisme, c'est une perspective louable et positive. Mais les seules relations économiques ne fondent pas des liens privilégiés. Ces derniers sont basés d'abord sur des valeurs de respect mutuel, de reconnaissance, ils sont aussi alimentés par les individus. En accueillant à bras ouverts d'anciens « Français d'Algérie » ou « pieds-noirs » qui, ces dernières années, reviennent par milliers sur leur terre natale, les Algériens ne font pas d'amalgame. Les uns et les autres sont animés par une volonté commune de construire une relation bilatérale apaisée, réconciliée. La multitude de projets, de passerelles lancés de part et d'autre de la Méditerranée par des collectifs, des associations, des personnes physiques, en sont aussi une preuve éloquente. Les Algériens ne sont pas des obsédés de la question de la repentance, ils n'en attendent pas moins de l'Etat français un signe symbolique de reconnaissance de ses fautes et crimes pendant la période coloniale. Car une relation privilégiée ne se construit pas sur l'amnésie. « Une référence ». A cette responsabilité, voire ce devoir, la candidate socialiste fait preuve de courage et d'audace. Dans sa lettre du 26 mars dernier aux associations de rapatriés et de harkis, Ségolène Royal préconise : « Le gouvernement, sous mon impulsion, s'engagera à favoriser la recherche historique sur l'ensemble de la période de la colonisation par l'attribution de bourses de recherche, l'ouverture des archives, le soutien aux publications et l'organisation de colloques. » Et « une commission indépendante sera créée pour traiter les grandes questions qui divisent aujourd'hui les Français ». Elle s'engage aussi à la création d'une Fondation pour la mémoire de la colonisation et de la décolonisation. « Cette fondation devra fédérer l'ensemble des acteurs qui œuvrent pour cette mémoire — associations de rapatriés, de harkis, d'anciens combattants et historiens », souligne Ségolène Royal. En février dernier, Jack Lang, conseiller spécial de Ségolène Royal, s'était déplacé à Alger pour remettre au président Bouteflika une lettre dans laquelle la candidate socialiste a souhaité que les relations entre la France et l'Algérie soient une « référence » dans les relations entre le Nord et le Sud. « Ma priorité, si je suis élue, sera de jeter les bases, avec vous, d'une relation renforcée entre nos deux pays, car mon sentiment profond est que nous pouvons résolument passer à une dimension supérieure dans les liens de coopération qui nous unissent », a écrit Ségolène Royal. La relation historique entre Paris et Alger, a-t-elle ajouté, « faite d'intimité, doit se développer dans la confiance et être soudée par l'amitié ». En plus, Ségolène Royal a qualifié la colonisation de « système de domination, de spoliation et d'humiliation », estimant « fondamental » que Paris et Alger « puissent élaborer ensemble une restitution de l'histoire qui tienne compte de notre histoire partagée ».