Depuis plusieurs mois, le prix de la sardine ne sera parvenu qu'épisodiquement à descendre au dessous de 100 Da le Kg. On a même noté des records à 160 DA ! Cette situation, apparemment paradoxale, est la conséquence de plusieurs paramètres. Ce qui vient de suite à l'esprit est certainement intimement lié à la baisse de l'offre. En effet, depuis l'arrivée de l'hiver, il semblerait que les prises soient de moins en moins miraculeuses. Mais ceci ne concerne pas que les poissons pélagiques que sont les sardines, les anchois et à un degré moindre les maquereaux. Car leur cousine, la bonite, il y a belle lurette qu'elle aura quasiment disparu de nos côtes et de nos assiettes. En effet, après la chute apparemment irréversible des tonnages de poissons blancs et autres crustacés qui parviennent au port de Mostaganem, il était attendu de la part des armateurs qu'ils fassent l'effort de trouver des ressources alternatives. Cette situation alarmante fera rapidement réagir les armateurs qui se convertiront à la pêche de la sardine, avec des filets inspirés des chaluts, contrairement aux bateaux équipés de sennes. Cet immense filet qui peut en quelques minutes piéger plusieurs tonnes de poissons pélagiques. En effet, en sus des 80 sardiniers et de la centaine de petits senneurs de moins de 10 mètres, la pêche au poisson bleu va rapidement voir arriver pas moins de 13 chalutiers dont la puissance varie entre 600 et 1 000 CV. Equipés de filets à chaînes, pulsés par des moteurs qui parviennent parfois à semer la vedette des gardes côtes, ces nouveaux arrivants vont finir par bouleverser dangereusement les équilibres. Bénéficiant des toutes dernières technologies – dont des systèmes de communication performants- les nouveaux armateurs et autres patrons de pêches vont entamer une course déterminée et soutenue pour augmenter leurs prises. Mais, très curieusement, le poisson pélagique se fait de plus en plus rare. Pendant un moment, les professionnels avaient supputé que la diminution de la ressource s'expliquait par l'état physiologique du poisson qui se retrouve à pareille époque en pleine période de reproduction. Mais la thèse ne tiendra pas longtemps la route. C'est pour lever une partie du voile que d'anciens marins pécheurs finiront d'abord par mettre en cause les nouveaux arrivants. De nouveaux arrivants qu'ils rendent responsables de la surexploitation des fonds. En partie, il semblerait que l'intrusion de bateaux autrement mieux armés se soit soldée par une réelle surexploitation. Cependant, pour d'autres pêcheurs plus chevronnés, cette surexploitation est partagée par l'ensemble de la flottille, de la plus petite barque de 7 mètres au surpuissant chalutier de 24 mètres. Nombreux sont les professionnels qui nous assureront avoir alerté les services de la direction des Pêches. Mais la situation continuera d'empirer. Plus personne ne semble respecter les zones de pêches qui délimitent des profondeurs en fonction du tonnage des bateaux. Les plus puissants, qui sont de facto équipés de filet plus larges et surtout plus performants, n'étant pas autorisés à pêcher entre 3 et 6 miles marins. Tardive prise de conscience Une prise de conscience est en train de faire son chemin. Mais elle le fait à une vitesse qui ne répond pas à l'urgence qu'exige la situation. Il suffit pour s'en rendre compte de se rendre au marché ou à la criée. Les cargaisons de plus de 100 caisses, qui correspondaient à une prise moyenne durant les années 80, ne sont plus que l'apanage des bateaux armés de filets à chaînes. Les véritables senneurs éprouvent de plus en plus de difficultés à ramener à terre des prises de plus de 150 caisses, soit près de 3 tonnes de sardines. La direction des Pêches aura beau aligner des statistiques mirobolantes, il ne se trouvera aucun professionnel pour les confirmer. Comme prise d'un mal honteux que tout le monde tente désespérément de cacher, la profession de marins pêcheurs qui permettait à plus de 3 000 familles de vivre dans une relative insouciance est en train de prendre une tournure dramatique, comme le soutiendront plusieurs interlocuteurs. Certains n'hésiteront pas à parler de pratiques déloyales de la part de certains armateurs et patrons de pêche. Pour eux, la diminution de la ressource s'explique également par le recours à l'usage de la dynamite. D'anciens marins, aujourd'hui à la retraite, souligneront que depuis plusieurs années, cette pratique se serait généralisée. Habituellement, les bancs de sardines se regroupent autour des projecteurs que le lampiste de service plonge dans la mer afin de fixer le poisson. Plus le banc est important, plus son regroupement est aisé. C'est pourquoi, lorsque la ressource se fait plus rare, les patrons de pêche sont contraints d'effectuer plusieurs cales. Le recours à la dynamite, à en croire nos interlocuteurs, permettrait d'immobiliser le poisson, ce qui facilite sa capture. Reste à savoir d'où provient l'approvisionnement et quelle est l'étendue de cette pratique ? Autant il parait inconcevable que l'ensemble des bateaux senneurs recoure systématiquement à cette pratique. Pour les plus sages, il serait grand temps qu'un moratoire sur la pêche soit engagé. Même chez les propriétaires de gros navires, le doute commence à s'installer. En effet, lorsqu'ils sont obligés de venir travailler à proximité de la bande littorale, ils sont conscients que c'est la fin d'une époque. A des degrés divers, ils sont tous convaincus qu'à cette allure, la profession risque l'asphyxie à très court terme. N'est-il pas temps de se mettre autour d'une table et de se dire toutes les vérités ? Y compris les plus amères. Ce n'est qu'à ce prix que la ressource sera préservée.