L'exercice d'une fonction de dirigeant de société est susceptible de tenter d'utiliser les biens ou le crédit de celle-ci à des fins personnelles. Une telle incitation est particulièrement usuelle lorsque l'entreprise, quoique juridiquement sociétaire, appartient en fait à une même personne qui, pour des raisons d'opportunité personnelles, donne à son affaire la forme de société particulière. On évoquera évidemment le cas de la SARL associé unique : il n'est pas facile de faire admettre à celui-ci qu'il y a obligation de distinguer les éléments constitutifs de son patrimoine privé de ceux appartenant en propre à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), considérée comme personne morale c'est-à-dire juridiquement, totalement indépendante de son vrai propriétaire. Le droit des sociétés est ainsi fait de sorte qu'il importe de s'imprégner de cette fiction juridique qui fait d'une société, un être dit « moral » et qui, implique une totale séparation de ses actifs et de ses dettes du patrimoine des personnes (ou de la personne unique) qui détiennent son capital. A l'origine du délit d'abus de biens sociaux qui remonte à la fin de la IIIe République, il y a eu de nombreux scandales financiers dont l'affaire Stavisky, une gigantesque escroquerie qui a causé de nombreux et importants dégâts. Pour protéger les épargnants on a eu alors recours à deux décrets-lois des 8 août et 30 octobre 1935 pour instituer le délit d'abus de biens sociaux introduit non pas dans le code pénal qui connaissait déjà celui d'abus de confiance, de portée générale, mais en l'incorporant au code de commerce en raison de son caractère spécifique puisque applicable seulement aux sociétés commerciales. A l'instar du code pénal français, le nôtre (art. 123 à 125) traitait du délit d'abus de confiance avant la promulgation de la loi 01-06 du 20 février 2006. En ce qui concerne précisément notre délit d'abus de biens sociaux, il est visé pour les SARL l'article 800 du code de commerce pour les SPA par l'article 811 et, pour les liquidations de sociétés (toutes formes juridiques confondues), par l'article 840. En ce qui concerne les SARL, le texte prévoit que « seront punis d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de 20 000 à 200 000 DA ou de l'une de ces deux peines seulement... les gérants qui, de mauvaise foi, auront fait des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ». Pour les SPA, l'article 811 (3e) rédigé en termes quasi identiques, vise les présidents, les administrations, les directeurs généraux qui, de mauvaise foi, auront... A noter que ce texte s'applique également, selon leurs attributions respectives, aux membres du directoire et à ceux du conseil de surveillance. Quant aux liquidateurs de société auteurs de l'infraction, ils sont passibles des mêmes sanctions, quelle que soit la forme juridique de la société en cause, alors que pour les dirigeants sociaux, le code de commerce ne vise limitativement que ceux des SARL et des SPA. Dans la pratique sociétaire algérienne, la commission du délit d'abus de biens sociaux est hélas fréquente, particulièrement dans les sociétés familiales : sait-on par exemple que le fait (courant) pour un dirigeant de mettre la voiture de la société à la disposition de son épouse est constitutif du délit d'abus de biens sociaux ? Il en est de même lorsqu'un dirigeant se fait cautionner par la société auprès d'une banque qui lui a consenti un prêt à titre personnel. Et peu importe s'il y a eu appropriation des biens de la société. C'est leur usage abusif qui est constitutif de l'élément matériel du délit. Il suffit qu'il y ait eu usage qui, au sens du dictionnaire correspondant au droit (que l'on se permet) de se servir d'une chose. Quant à savoir si l'usage est abusif, il l'est dès lors que le dirigeant s'est permis de se servir d'un bien même de façon temporaire avec l'intention (même prouvée) de le restituer après usage. 1) Ce qui est réprimé dans l'abus de biens sociaux, c'est plus un comportement que son résultat (Joly et Baumgartuer : « L'abus de biens sociaux à l'épreuve de la pratique » Economica), un point de vue appuyé par la citation d'une décision de la cour de cassations selon laquelle « ce que la loi veut... c'est que les mandataires sociaux administrent les biens de la société en bons pères de famille, dans son intérêt exclusif ». Il y a délit dès lors par exemple, qu'un dirigeant de « confondre le patrimoine social et son patrimoine propre ».