Quotas, cooptation, engagement : Nassera Merah, militante féministe, auteure de travaux universitaires sur la mémoire de la lutte des femmes, s'exprime sur la dérisoire présence des femmes sur les listes des législatives. Coup de gueule. Vous vous êtes récemment exprimée dans El Watan (1) en faveur des quotas pour une meilleure représentativité des femmes en politique. En quoi est-ce une solution ? Les quotas sont la seule formule démocratique pour que les femmes puissent accéder à la politique. On n'invente rien : ils existent déjà en Suède, en Norvège et en France, ils ont permis aux pays tels que le Rwanda et l'Ethiopie d'avoir un bon pourcentage de femmes au Parlement. Vous trouvez qu'il n'y a pas assez de femmes sur les listes ? Dérisoire. Certains partis expliquent qu'ils ne peuvent pas présenter de femmes sous prétexte que les Algériens à l'intérieur du pays et les islamistes ne voteront jamais pour des femmes. Or, que je sache, il y a des femmes qui tiennent des meetings dans le pays, comme Louisa Hanoune ou Chalabiya Mahdjoubi, et personne ne les frappe avec des tomates ! Ils n'ont peur des quotas que ceux qui ne veulent pas partager le pouvoir. Les détracteurs des quotas disent que ça ne sert à rien de forcer les choses, qu'il vaut mieux laisser le libre choix aux militants. Vous n'êtes pas d'accord avec cette idée ? Encore faut-il ne pas refuser leur candidature sous différents prétextes. Instaurer des quotas ne signifie pas obliger les femmes à se présenter, mais obliger les partis à une représentativité féminine et à montrer leur projet de société. Au RCD, par exemple, la première femme est cinquième sur la liste, et la deuxième figure est en neuvième position. Autrement dit, pour espérer avoir deux femmes au Parlement, il faut que neuf députés soient élus, ce qui n'est pas évident. Au FLN, elles sont tout de même 10 sur 35… C'est vrai, le FLN, artisan du code de la famille, qui exclut les femmes de la vie politique, est paradoxalement celui qui leur donne la meilleure place en nombre et en position. Certaines femmes, comme Louisa Hanoune, s'expriment en faveur des compétences plutôt que des quotas… Je ne partage pas cet avis. Qu'est-ce que signifie « être compétent » en politique ? Etre diplômé ? Il suffit de regarder les profils des listes : il n'y a que des universitaires, on croirait des listes pour un recrutement. Mais en quoi un diplômé peut-il être un meilleur représentant des électeurs ? Et puis on a déjà vu des gens s'inventer cadre supérieur… Mais y a-t-il assez de femmes qui militent pour remplir les quotas ? C'est un autre argument avancé par les partis. Je maintiens qu'il y en a assez pour qu'on les mette têtes de liste. Posons-nous plutôt la question : que font les partis entre deux échéances pour que les femmes les rejoignent ? On ne vit pas dans une société où les femmes sont désintéressées, bien au contraire, elles sont engagées depuis longtemps. Dans les années 1990, elles étaient déjà là quand les démocrates appelaient à manifester. Qu'attendez-vous des femmes en politique ? J'aurais aimé que les femmes se présentent au nom d'un programme qui les concerne vraiment, dans lequel je puisse aussi me retrouver, au lieu de soutenir uniquement le programme de leur parti. Ce ne sont pas elles qui se sont imposées en tant que femmes, mais les partis qui les tolèrent, et elles acceptent cela. Tous les partis tiennent un discours sur l'importance de la place des femmes et du rôle des femmes dans la société, certains prétendent même être « enviés », mais que font-ils en fait ? Ils banalisent la question dans des discours creux. Même les islamistes ont été obligés de tolérer les femmes en les instrumentalisant contre le mouvement des femmes. Elles ont été des milliers à manifester et à s'imposer dans leurs partis. Où se retrouvent-elles aujourd'hui ? Sur la liste du MSP à Alger, elles ne sont que 4 sur une liste de 29, soit 4 pour 6 hommes. Faut-il comprendre par là qu'une femme est 6 fois plus compétente qu'un homme ? Vous-même, pourquoi vous ne vous êtes pas engagée dans la campagne ? Si les partis avaient proposé plus de femmes grâce aux quotas, au moins 30%, ou si les candidatures étaient démocratiquement retenues, j'irai au combat, parce que je sais que je trouverai des femmes avec qui travailler. Je ne veux pas être simplement cooptée dans une mascarade électorale. Je préfère me battre pour la construction d'une démocratie réelle où les 51% de la population que l'on courtise pour aller voter se refléteront dans les listes. (1) Idées-débat, édition du 27 mars.