Le gouvernement soudanais dit ne pas comprendre l'attitude de Washington de dresser des sanctions économiques contre le pays, deux jours seulement après avoir reçu les propositions des Nations unies sur le futur déploiement des forces hybrides (Union africaine – ONU) dans la province du Darfour, déchiré par un conflit vieux de quatre ans. « C'est une attitude curieuse. On venait à peine de commencer l'application du troisième volet de l'accord de paix d' Abuja. Ces sanctions sont tombées pour entraver la démarche de paix que nous nous sommes engagés de respecter », a déclaré Lam Akol, ministre des Affaires étrangères soudanais, jeudi à la salle de l'Amitié à Khartoum, lors d'une conférence de presse, en marge de la quatrième conférence du Comité africain des services de renseignement et de sécurité (CISSA). Selon lui, le gouvernement de « l'unité nationale » est prêt à ouvrir des négociations directes avec toutes les factions non signataires de l'accord d'Abuja (Nigeria), et ce, dans la logique du consensus de Tripoli qui précise les étapes à suivre. « Pour cela, les 14 factions armées du Darfour doivent s'unir pour parler d'une seule voix et négocier la paix. Car, il est difficile de discuter avec tout le monde. Au sud, toutes les factions se sont entendues pour faire taire les armes avant de discuter avec le gouvernement », a-t-il expliqué. Il a indiqué que des milices armées mettent sous pression les forces de l'Union africaine pour avoir du carburant pour les véhicules et gênent le travail des organisations humanitaires. « Cela dit, la situation est plus stable qu'auparavant. La communauté internationale doit nous aider à imposer la paix au Darfour et à désarmer les djanjawid. Mais, pour désarmer les milices, il faut le déploiement de forces. Des forces de l'Union africaine », a précisé le chef de la diplomatie soudanaise. Il faut, selon lui, donner du temps à la paix. « Aucune partie à l'étranger ne doit nous dire quand et comment arriver à un accord », a-t-il appuyé. Il a souligné que des factions armées sont apparues après la signature de l'accord d'Abuja et ont attaqué l'armée soudanaise. « Mais, la communauté internationale ne dénonce jamais ces milices. On a l'impression qu'elles sont soutenues par l'étranger…Il y a des pays qui ont un agenda spécifique pour le Soudan et le Darfour », a relevé Lam Akol. Le Parlement soudanais a voté jeudi une résolution rejetant les sanctions américaines qualifiées d'acte politique qui « entrave le processus de paix au Darfour et complique la situation ». Arrivé à Khartoum le même jour, le nouveau chargé d'affaires américain Alberto Fernandez (homme influent au département d'Etat) a plaidé pour « un dialogue ouvert » avec le gouvernement et la société civile. Il a même parlé de nouveaux rapports diplomatiques. Cette arrivée est accompagnée d'une polémique sur l'ouverture de la rue Ali Abdellatif à Khartoum où se trouve le siège de l'ambassade américaine. Cette rue a été fermée après l'invasion de l'Irak par les troupes US. La décision prise par le gouverneur de la capitale soudanaise, Abdelhalim Ismail Moutaafi, se veut être une première réplique contre les sanctions décidées par Washington contre le pays. Lam Akol a rappelé que son pays était sur la bonne voie pour améliorer ses relations avec les Etats-Unis. Washington s'était engagé à effacer la dette du Soudan et de le retirer de la liste des pays qui « soutiennent » le terrorisme. L'Administration Bush avait conditionné cela par la signature de l'accord de paix d'Abuja. « Washington n'a pas tenu ses promesses », a noté Lam Akol. Interrogé sur l'exigence de la Cour pénale internationale (CPI) de livrer deux hauts responsables soudanais pour jugement, Lam Akol a estimé que cette juridiction n'a aucune compétence pour juger. « Le Soudan, autant que les Etats-Unis d'ailleurs, n'a pas ratifié le traité de Rome portant création de la CPI. Washington dit ne pas permettre que ses citoyens soient traduits devant la CPI. A Khartoum, nous disons la même chose », a précisé le chef de la diplomatie soudanaise. La CPI a lancé un mandat d'arrêt international à l'encontre de Ahmed Haroun, ministre en charge des questions humanitaires, et Ali Kouchib, chef de la Défense populaire, soupçonnés d'avoir commis des violations de droits humains. La CPI a demandé au Conseil de sécurité de l'ONU de faire pression sur Khartoum pour livrer les deux responsables. Le ministre des Affaires étrangères soudanais a insisté sur le rôle des pays voisins dans la résolution de la crise du Darfour. Il a relevé que le Tchad et le Soudan partagent dix-huit tribus. Et, il a noté que le président tchadien Idriss Debby s'apprête à visiter le pays les prochains jours, ce qui est interprêté ici comme une reprise réelle entre les deux pays. Deux pays qui s'accusent mutuellement d'abriter des rebelles armés. Lam Akol a souligné que Khartoum et N'Djamena s'étaient entendus pour déployer, le long des frontières, des forces communes estimées à 2000 hommes pour prévenir la circulation suspecte de personnes. Le Tchad, qui reste dans la sphère d'influence de Paris, reçoit ces jours-ci Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères français, qui envisage de visiter les camps de réfugiés du Darfour à l'est du pays. Bernard Kouchner a proposé de créer « un corridor humanitaire » pour la région du Darfour, sans passer par le gouvernement soudanais. Nafaâ Ali Nafaâ, conseiller du président Omar Al Bashir, avait qualifié, mardi 5 juin, la proposition française « d'attitude impériale ». Des troupes et moyens aéroportés français sont stationnés au Tchad depuis des années. Lam Akol a relevé également que les relations avec l'Erythrée, le voisin de l'est, sont redevenues naturelles. Assmara avait abrité les cérémonies de signature de paix avec les rebelles soudanais. Ce conflit est resté longtemps invisible du fait de son implication faible sur le plan géostratégique. « On demande aux pays voisins de convaincre les rebelles de déposer les armes et de négocier pour la paix », a-t-il estimé. Lam Akol a salué le rôle de la Ligue arabe pour son appui à l'Union africaine dans le déploiement des troupes au Darfour. Selon lui, l'assassinat, il y a quelques jours, d'un officier égyptien, présent parmi les troupes africaines au Darfour, n'a aucune motivation politique.