Rapportées çà ou là par les presses algérienne et française, les formules creuses du genre « partenariat d'exception » ou « relations d'exception », que se sont récemment échangées les chefs d'Etat algérien et français, témoignent une fois de plus du poids des ambiguïtés qui pèsent sur les rapports entre l'Algérie et la France. Ils témoignent surtout d'une incapacité chronique, des gouvernements respectifs de nos deux pays, à mettre à plat, à identifier et à nommer une fois pour toutes les vrais dossiers contentieux qui minent depuis toujours la sérénité des rapports entre nos deux pays, pour en finir avec une situation de quiproquo qui dure depuis la fin de la guerre de Libération nationale et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie. Or, quand on examine les choses de près, on se rend à l'évidence que la seule question qui constitue l'obstacle majeur à toute normalisation véritable des relations entre nos deux pays, n'est ni d'ordre politique ni d'ordre économique. Elle est d'ordre historique et moral et a pour nom : la question de la reconnaissance solennelle par l'Etat français des crimes commis par la colonisation française en Algérie entre 1830 et 1962. Parce qu'elle est juste et légitime, cette attente de reconnaissance s'est profondément ancrée dans la mémoire collective des Algériens génération après génération et cela loin de toute idée de rancune ou de volonté d'humilier l'autre en tant que cette attente de reconnaissance doit être comprise par le peuple français et ses gouvernants comme étant une exigence morale minimale requise de la part de l'ancienne puissance coloniale à l'égard de l'ancien peuple colonisé, afin que les deux pays, par leurs volontés simultanées, de reconnaissance par l'un et de pardon par l'autre, puissent enfin nouer des relations normales et dépassionnées, dans le respect de leurs intérêts mutuels. En tout état de cause, aujourd'hui comme demain, il ne se trouvera dans notre pays aucune légitimité historique ni aucune autorité institutionnelle pour prendre le risque de transiger avec la mémoire nationale en renonçant à une telle demande de reconnaissance ni même en acceptant d'en accommoder les termes. Aussi bien, pas plus la forfaiture morale de la loi scélérate du 23 février 2005, faisant l'apologie du colonialisme, honteusement votée par le Parlement français, que les positions « colonialistement correctes » – si j'ose dire –, adoptées par une grande partie de la classe politique française ou les déclarations de M. Sarkozy, hostiles à ce qu'il qualifie de « repentance » ne pourront altérer en quoi que ce soit la ferme volonté des Algériens d'obtenir une telle reconnaissance. Des Algériens qui ne comprennent pas une telle attitude contradictoire chez celui qui, à l'issue de sa visite de candidat à Tel Aviv, au mémorial des victimes juives du nazisme, a pourtant déclaré aux journalistes : « J'ai changé à Yad Vashem. » L'Algérie devrait elle rouvrir pour lui les cavernes des « enfumades » ou déterrer les ossements des charniers témoignant des crimes coloniaux pour le faire « changer » ? A moins qu'il ne faille tenir pour acquis, qu'à ses yeux, il existe différentes catégories de valeur, en fait de vies humaines : celles des siens et celles des autres. C'est assez dire que M. Sarkozy peut envoyer aujourd'hui à Alger tous les conseillers diplomatiques qu'il veut, – David Lévitte ou un autre –, rien ni personne n'y pourront rien, tant que cette question historique et morale essentielle de la reconnaissance des crimes coloniaux commis en Algérie par les occupants français ne sera pas résolue. Les dirigeants politiques français, – ceux d'aujourd'hui comme ceux de demain – devront comprendre, une fois pour toutes, qu'on ne conclut pas comme cela, sur des monceaux de crimes historiques, un traité d'amitié et de coopération entre deux Etats, comme on conclurait au coin d'une table une vulgaire affaire entre marchands de tapis.