Les deux jeunes réalisatrices françaises ont suivi, durant l'année 2004, le « retour » de René Vautier en Algérie, pour, à travers une série de projections dans certaines régions du pays, confronter les images du passé aux réactions du présent. En résulte Algérie : Tour/ Détours, un documentaire pamphlet sur le naufrage des idéaux lyriques d'hier et les écrans noirs du présent. Entretien. L'idée de faire ce périple avec René Vautier est née finalement de quoi ? Oriane Brun-Moschetti : Au départ, il y a eu déjà ce travail fait dans le cadre des études à l'université. C'est vous dire que René n'est pas du tout étranger pour nous. Ensuite et un peu dans le prolongement, on s'est dit qu'il serait intéressant de repartir en Algérie avec René et filmer ce retour dans ce qu'il pouvait impliquer comme réactions, cette sorte de confrontation entre le passé et le présent à travers les projections de films de ses anciens élèves. Ce qui nous intéressait était de faire en sorte que la parole soit prise et qu'un débat s'enclenche. Et vous estimez avoir réalisé ce que vous vouliez ? Leila Morouche : On est contente du résultat, dans la mesure où nous avons pu rester fidèles à ce nous voulions faire. On a laissé venir, nous n'avons pas fait de casting si vous voulez. Il y a bien entendu cette parole donnée à des acteurs incontournables, comme Boudjemâa Karèche par exemple, mais l'on s'est également donné la possibilité de faire parler les anonymes et c'est important. Oriane Brun-Moschetti : Je crois, pour ma part, que l'on a réussi à recueillir la parole des gens. A travers le support ciné, puisque on a surtout filmé les débats qui suivent les projections, on a pu mettre en place un dialogue. Et René Vautier dans tout ça ? Il a été le prétexte, le guide… ? Et puis vous vous attendiez sans doute à ce que ça parle surtout de cinéma militant et que ça bifurque sur autre chose que l'image… Oriane Brun-Moschetti : En fait, René a été le passeur de parole, il a permis une sorte de catalyse. La parole entre lui et nous, entre lui et les gens qui sont filmés. Sinon, je ne pense pas que notre film soit militant. Pour nous, l'Algérie fait partie de l'histoire de la France, comme la France fait partie de l'histoire de l'Algérie. Ce lien ne peut pas être nié et il se trouve qu'en France, au delà du folklore, nous manquons d'images sur l'Algérie. Ce que nous avons fait peut contribuer à justement donner de l'image sur ce que peut être la réalité algérienne à partir de ces réactions qui naissent en regardant des films datant de l'époque de la guerre ou des lendemains directs de l'indépendance de l'Algérie. Votre documentaire donne à voir des images dures justement de la réalité algérienne. Un peu trop dures peut-être. Certains y voient même la reproduction d'une manière de faire qui tend surtout à braquer le regard sur des réalités déprimantes… Oriane Brun-Moschetti : Il est clair que toute critique est bonne à entendre, mais nous devons en l'occurrence préciser que cette dureté dont vous parlez transparaît surtout dans le propos des gens. Ceux qui font les débats dans le film parlent librement, disent ce qu'ils ont envie de dire. Honnêtement, je ne trouve pas que le film soit violent. On a essayé de montrer la diversité et puis les notes d'espoir sont là aussi. Le documentaire finit par exemple sur l'image d'un chantier de reconstruction… Leila Morouche : Je ne pense pas que l'on ait montré la réalité plus dure qu'elle ne l'est. Notre souci était de reproduire une image des plus fidèles. Des officiels nous ont par exemple suggéré de filmer un barrage à Biskra pour mettre en valeur je ne sais quel effort, mais cela ne nous intéressait pas. Ce qui nous intéressait, c'était de donner la parole aux gens et de renvoyer leur propre réalité. On avait envie de montrer la vie, même si les images peuvent être symboliquement violentes… Vous avez ces images d'un parc de loisirs en ruine, toujours à Biskra, alors que le désœuvrement est terrible dans cette région. On aurait pu aussi montrer toutes ces belles plages amochées par des dépotoirs d'ordures… On croit savoir que vous avez eu tout de même une centaine d'heures de tournage pour n'en garder que deux pour le documentaire. ça a été à ce point difficile à se dessiner ? Leila Morouche : Nous avons fait deux mois de tournage et ce qui a multiplié les heures de rush, c'est le fait d'avoir travaillé avec deux caméras à chaque fois. Pour le montage, qui a duré quand même une année, on devait bien entendu tout revoir, procéder au dérushage. Il y a aussi qu'on n'avait pas de délai fixe pour remettre une mouture finale, donc il nous est arrivé de laisser reposer les images pour les reprendre après… Nous sommes en train de voir si le fond non retenu pourra servir à monter d'autres sujets. Notre objectif désormais est de permettre que le film, qui est d'abord une production de notre association Play-Time, soit vu par un maximum de gens. Là, on a programmé des projections en Algérie, la première à l'occasion des Rencontres cinématographiques de Béjaïa, l'autre à la Cinémathèque à Alger. Nous travaillons également à le placer dans des festivals en France ou ailleurs…