La taxe carbone va-t-elle servir de cheval de Troie d'un nouveau protectionnisme des économies les plus puissantes de l'OCDE, l'Union européenne en particulier ? La question est posée depuis quelques mois avec la montée en puissance de la revendication d'une « fiscalité verte » dans les pays occidentaux. Mais l'évolution la plus récente cherche à étendre cette fiscalité au-delà des frontières de l'Europe pour ne pas pénaliser ses industries. Alain Juppé, le furtif ministre d'Etat en charge de l'environnement dans le premier Fillon en France, a énoncé le projet de taxer les émissions de carbone venant d'ailleurs. « Décarboniser l'économie oui, doper par les importations les économies des autres de plus en plus polluantes non. » Tel pourrait se résumer donc le mot d'ordre de ralliement d'une frange des opinions initiées en Europe. En effet, de plus en plus de voix considèrent que l'effort qui est demandé au système de production européen pour réduire les émissions de gaz à effet de serre est « un avantage concurrentiel de plus » pour ses rivaux des pays émergents. « Eux ne sont pas confrontés au même niveau de contrainte. » Conséquence, l'idée a fait son chemin d'une « taxe d'ajustement » à l'entrée de l'Union européenne sur les produits dont la fabrication est fortement « carbonée » - c'est-à-dire énergétivore. « Ce serait une manière de rétablir un équilibre, et de pousser les pays du Sud à faire de vrais efforts pour produire selon les techniques les moins carbonées », soutiennent les partisans de cette taxe. Elles rendraient plus chères les importations et justifieraient les coûts des producteurs européens pour réduire leurs propres émissions carbonées. La taxe carbone à l'entrée de l'Union européenne a de nombreux obstacles devant elles. D'abord, ses partisans ne sont pas tout à fait d'accord sur son mode d'application, forfaitaire ou proportionnel. Ce qui n'est pas un point de détail. Dans le cas d'un forfait, on taxerait uniformément et seulement les produits les plus « chargés » en émission de carbone, comme les aciers, les produits rouges ou l'aluminium gros consommateur d'électricité pour sa production. Ce qui est une discrimination discutable. Dans le second cas, celui d'attribuer à chaque produit arrivant aux frontières de l'Europe un indice carbone en rapport avec les conditions spécifiques de sa production – fortement, moyennement ou faiblement émettrice de carbone, le procédé est fastidieux. Budgétivore. Ensuite des experts militants pour un lancement urgent de la décarbonisation de l'économie européenne considèrent que la méthode de la taxe à la frontière sur les produits importés n'est pas la bonne. Ils sont pour une démarche incitative et non « punitive ». Le système actuel est bon, il faut le pousser plus loin. Le système actuel ? Les pays du Sud qui arrivent à contenir leur émission de gaz carboné en dessous de leur « quota Kyoto » peuvent émettre des « crédits carbone », c'est-à-dire un permis de polluer à hauteur des économies réalisés. Ces « permis » se négocient sur des marchés libres, le plus important est européen. Ils sont rachetés par des Etats restés au-dessus de leur quota d'émission. Les efforts pour produire plus proprement sont donc valorisées par le marché. Enfin et surtout, la taxe verte à la frontière de l'Union européenne est fortement suspectée d'être un stratagème protectionniste – ce dont d'ailleurs elle ne se cache pas vraiment. Elle a peu de chance d'être acceptée par l'OMC qui prévoit dans l'un de ses articles que l'on ne peut pas taxer – dans le commerce extérieur - les procédés de production mais seulement les produits. Car sinon on entrerait en contradiction avec le principe de non-ingérence dans les méthodes de production des pays membres. Le chemin est donc encore long devant une taxation des produits importés dans l'espace européen pour leur forte teneur en émission de carbone lors de leur production. Si in fine elle devait advenir, les futures exportations algériennes seraient des plus pénalisées. Aciers, produits cuits, carburants, aluminium… cela ressemble beaucoup à la spécialisation en cours de l'économie algérienne.