Le tribunal de Sidi M'hamed, près la cour d'Alger, a connu dimanche une effervescence particulière. L'affaire de Gouaiche Kadour, un des proches conseillers du président de la République et premier responsable de l'Association nationale des zaouias, qui a fait couler beaucoup d'encre et suscité de nombreuses interrogations, a été programmée (la dernière), sans que les avocats des 13 prévenus, dont 8 en détention, n'en soient informés. La feuille d'extraction des détenus, ce qui est unique dans les annales de la pénitentiaire, a été faite le matin du 24 juin. Certains de ces derniers avaient reçu des convocations du juge d'instruction pour être entendus le 25 juin dans le fond. Une étape de la procédure qui n'a pas été respectée. Plus grave, aucun membre de la défense n'a pu obtenir l'ordonnance de renvoi pour pouvoir discuter avec les prévenus sur les chefs d'inculpation retenus contre eux. Bref, un ensemble de violations flagrantes de la procédure qui a poussé les avocats à se poser des questions quant à la tenue du procès ou non. Mais contre toute attente, et vers 22h15, le juge appelle les parties. Les huit détenus répondent présent, alors que Gouaiche, principal prévenu, ne répond pas, mais ses avocats sont présents. Deux autres mis en cause, en liberté provisoire, ne répondent pas à l'appel. Les avocats font savoir que leurs clients « attendaient d'être entendus sur le fond et à aucun moment le parquet ne leur a notifié la date du procès. C'est le bouche à oreille qui a permis à tous d'être présents, mais aucun d'entre nous n'a l'ordonnance de renvoi ». Le magistrat explique que le dossier a été mis sur son bureau le matin même et qu'il devait le faire passer parmi les premiers, mais il l'a laissé en dernier. Il insiste pour juger l'affaire. De ce fait, il leur propose 30 minutes pour lire l'ordonnance de renvoi mise à leur disposition. Durant cette pause, les avocats se concertent. Personne ne sait si l'audience du 19 juin à la salle 3 du tribunal d'Alger, au cours de laquelle Gouaiche a été mis en liberté provisoire, est en fait une manière de scinder le dossier ou tout simplement une volonté de lui trouver une issue. Dans les deux cas, disent-ils, il y a eu violation de la procédure. Une fois le juge dans la salle, la défense se rapproche de lui et demande des explications. « Il n'y a pas deux dossiers, mais un seul. Celui que j'ai ici », répond le magistrat. Le débat est alors entamé avec les prévenus poursuivis pour passation de contrat en violation de la réglementation, complicité de passation de contrats illicites, escroquerie, détention d'armes à feu et perception illicite d'avantages. La qualification de l'affaire a été revue, puisqu'elle était criminelle au début avant que l'accusation d'atteinte à l'économie nationale ne soit retirée. Parmi les prévenus, Rahiane Mustapha Karim, ex-secrétaire général du ministère des Ressources en eau, Imessaâd Abdenaceur, ancien directeur au ministère des Finances et membre de la commission nationale des marchés, trois secrétaires particulières, dont une détenue, qui est à la retraite depuis…1997, ainsi que les dirigeants d'un bureau de consulting privé Groupe d'intérêt commun (GIC,) et de l'entreprise italienne Estaldi. Au centre, se trouve Gouaiche, dont le fils a assisté au débat, auquel les officiers de la police judiciaire, du département de renseignements et de sécurité (DRS), reprochent d'avoir, durant la période de 2002 et 2006, servi d'intermédiaire à des sociétés étrangères pour acquérir des marchés dans les secteurs de l'hydraulique, les chemins de fer, mais aussi auprès de la direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), du ministère de la Défense, de la Direction générale de la Protection civile (DGPC), de la Direction générale des Douanes (DGD), etc., en contrepartie de montants importants en devises et en dinars versés soit dans le compte de l'association de zaouias, soit dans son compte personnel domicilié à l'étranger. Lors de son audition devant les officiers du DRS, Gouaiche, et à en croire le procès verbal, a reconnu avoir servi d'intermédiaire pour de nombreuses sociétés étrangères, auprès de plusieurs ministres citant Ammar Tou, ministre de la Santé, Mourad Medelci, ex-ministre des Finances, Abdelmalek Sellal, ministre des Ressources en eau, Babès, président du Cnes, Lahbiri, patron de la Protection civile, Abdelhamid Temmar, ministre de la Participation, mais aussi Saïd Bouteflika, le frère du Président. Ce sont, a-t-il déclaré, ces connaissances qui lui ont permis d'obtenir des marchés au profit des dirigeants de nombreuses partenaires étrangers. Néanmoins, l'enquête n'a concerné que la société italienne Estaldi, trois anciennes secrétaires particulières du ministre de l'Hydraulique, devenu des Ressources en eau et les membres du bureau de consulting GIC. « Torture psychologique » Neuf personnes, dont Gouaiche Kadour, le patron de Estaldi, une secrétaire à la retraite, les dirigeants du GIC, un cadre du ministère des Finances, ont été mises sous mandat de dépôt le 1er avril 2007 et quatre autres mises en liberté provisoire. Mesure accordée le 19 juin à Gouaiche Kadour, dans la discrétion la plus totale (même ses avocats n'étaient pas au courant). Le premier prévenu appelé à la barre est Ammar Idernamouche, consultant tecnico-juridique auprès de GIC. D'emblée, il nie toutes les informations contenues dans le procès-verbal d'audition, extirpées selon lui, « sous une forte pression et une torture psychologique ». Il affirme n'avoir jamais contracté de marchés et encore moins escroqué qui que ce soit. « Je n'ai aucune relation avec les sociétés algériennes. J'interviens auprès des sociétés privées lorsqu'elles se sentent lésées dans un marché en montant le dossier de recours auprès des instances concernées », précisant que durant les 48 mois, aucune des conventions qu'il a obtenues n'a aboutie. Le juge l'interroge sur le marché Upac. « Upac avait proposé un montant de 800 millions de dinars de moins que celui qui a été retenu par la commission des marchés. La société nous a fait appel et nous avons introduit un recours, mais nous n'avons pas réussi à le faire accepter. » Le magistrat : « Expliquez-nous ce qui s'est passé avec Estaldi. » Le prévenu : « C'était le même scénario. Notre rôle est d'aider techniquement et juridiquement à introduire les recours. Nous n'intervenons pas dans les soumissions de marchés. » Concernant Gouaiche Kadour, il déclare l'avoir connu pour la première fois dans le fourgon cellulaire. Le juge lui rappelle ses propos et ceux de Gouaiche devant la police judiciaire, selon lesquels, il aurait aidé les sociétés étrangères à obtenir des marchés en dehors de la réglementation, en contrepartie d'une somme de 1,5 million d'euros et de deux voitures. « Jamais. Ce sont des allégations. Gouaiche était un conseiller, il avait ses relations, mais je ne le connais pas (…) . » Le juge insiste sur le rôle qu'aurait pu jouer le prévenu dans l'obtention des marchés et ce dernier nie tout. « Estaldi a obtenu de nombreux marchés dans le domaine de l'hydraulique à Mostaganem, à Beni Haoua, à Oued Rahmania, à Jijel, etc. », réplique le magistrat. Idernamouche : « Si je me rappelle bien, le projet de Oued Rahmania a été donné à Lind, pas à Estaldi. » Le juge lui précise qu'il s'agit de ses propos devant la police judiciaire. Il répond : « Si je vous raconte comment ces propos ont été obtenus, vous allez en pleurer. J'ai même refusé de signer ce procès-verbal. » Le magistrat l'interroge sur la commission de 50 à 70% du marché que Gouaiche prenait. Le prévenu : « Il n'a rien à avoir avec les marchés, comment peut-il prendre cette somme. » Les mêmes propos sont tenus par Abdelkader Amalou, Guettaf Hadj Aïssa et Antri Mohamed Tayeb, consultants à GIC. Les deux affirment que le contenu des procès-verbaux du DRS est faux. Guettaf explique à propos de la société Esso, que celle-ci l'avait contacté pour le marché ferroviaire Mechria-Béchar, et après avoir obtenu le contrat, la société a mis fin abusivement à sa relation de travail. Il l'a attaqué en justice en France et a obtenu un dédommagement de 50 000 euros. Il note que ce projet a été donné à la société par la commission nationale des marchés, présidée par les ministres des Finances et des Transports. Au sujet de Estaldi, le prévenu déclare avoir été contacté par Angelino Vittorio, le patron, pour ses compétences professionnelles. Sa rémunération est fixée à 6000 euros et un pourcentage de 0,1% dans le cas où le marché est acquis. « Elle a obtenu le marché, du fait qu'elle était moins-disante de 3 milliards de dinars. » Interrogé sur un versement de 80 000 euros à son compte personnel à Nice, le prévenu a nié en bloc, précisant avoir tous les documents qui le prouvent. « J'attendais le 23 juin pour être entendu sur le fond et présenter toutes les preuves au juge, mais l'affaire a été renvoyée devant le tribunal », se défend-il. Pour ce qui est du montant de 10 millions de dinars, versé à son compte à Alger, il persiste à nier en affirmant ne posséder aucun compte bancaire en Algérie. Imessaâd Abdenaceur, ancien directeur au ministère des Finances et membre de la commission nationale des marchés, jure qu'il ne connaît pas Gouaiche et qu'il ne pouvait intervenir pour le compte d'une quelconque société dans l'obtention des marchés, lesquels sont donnés après soumissions publiques. Des secrétaires à défaut de ministres Le juge lui demande d'expliquer le versement d'un montant de 27 000 euros à son compte par Guettaf. « C'est le montant de la vente d'un terrain situé à Sebbala, El Achour, qui m'a été attribué par le wali d'Alger. Je me suis renseigné auprès des agences immobilières sur le fait d'être payé en devises. Guettaf ne pouvait me donner le montant en dinars parce qu'il était rémunéré en devises. Tout le monde m'a dit que c'était une opération légale, pour peu qu'une partie soit convertie en dinars », répond le prévenu. Agée de 71 ans, la seule femme au box des prévenus, même affectée, se montre très sereine et sûre d'elle. C'est Mme Bey Boumezrag Aouaoueche, ancienne secrétaire particulière du ministre de l'Hydraulique, qui a eu son diplôme d'ingénieur en…1963. Elle explique qu'elle a pris sa retraite le 1er avril 1997. « En 2006, la secrétaire du ministre des Ressources en eau m'a appelée pour me dire que M. Gouaiche cherchait après moi. Je lui ai dit de lui donner mon numéro de téléphone. Il m'a contactée pour me demander de trouver du travail à son fils, qui était au chômage, auprès de la société étrangère pour laquelle mon employeur, un promoteur immobilier, effectuait des prestations de services. Mais, depuis il ne m'a plus contactée. » Le magistrat explique à la secrétaire que Gouaiche a déclaré devant les services de sécurité que cette société étrangère lui avait demandé de servir d'intermédiaire pour obtenir des marchés auprès de la DGSN et du ministère de la Défense. Affirmations récusées par la prévenue. Mme Bouhamdani Leïla, (en liberté provisoire), secrétaire particulière du ministre des Ressources en eau, jusqu'à fin 2005, a fait plusieurs cabinets ministériels, dont le MDN, avant d'arriver à la Présidence, puis à son dernier poste auprès de Abdelmalek Sellal. Elle, aussi, nie en bloc et note qu'elle n'a aucun lien avec les marchés. Chebana Sofiane (détenu), propriétaire d'un show-room de la marque automobile KIA Motors, s'interroge d'emblée ce qu'il fait en prison depuis le 27 avril, date à laquelle il s'est présenté volontairement à la caserne de Ben Aknoun. Le juge lui rappelle les propos de Gouaiche à son sujet. Ce dernier aurait affirmé qu'il l'a aidé à obtenir une usine en contrepartie d'une somme de 10 millions de dinars. « Montrez-moi cette usine, et je suis prêt à l'offrir à l'Etat. Je fais partie d'une société familiale, une somme de 10 millions de dinars est pour moi énorme. Je connais Gouaiche comme étant un conseiller du Président. Je l'ai sollicité pour m'obtenir deux passeports pour La Mecque, pour mes parents. Il n'a jamais pu me les débrouiller comment peut-il m'obtenir une usine ? », déclare-t-il. Le magistrat appelle Angelino Vittorio, patron d'Estaldi, détenu également depuis le 7 avril 2007. Il vit en Algérie depuis 1979, et n'a pu obtenir des marchés dans le domaine de l'hydraulique et des travaux publics qu'en 2003. Il cite les projets d'approvisionnement en eau potable avec l'Algérienne des eaux, entre autres, à Akbou et à Béjaïa, le transfert des eaux de la station de dessalement du Hamma vers le réservoir de Garidi et le tronçon en sous-traitance (de 73 km) de l'autoroute Est-Ouest entre Khemis Miliana et Oued Fodda, puis le barrage de Mostaganem, et la voie ferrée reliant Mecheria à Béchar. Il affirme que tous ces marchés ont été obtenus par le biais de soumissions publiques, parce que sa société était la moins-disante. A propos de sa relation avec le bureau de GIC, il précise qu'Estaldi a fait appel à lui pour l'assister dans toutes les étapes d'étude des marchés, « mais malheureusement, cela n'a jamais abouti ». Lui aussi dit n'avoir jamais connu Gouaiche et surtout ne « l'avoir jamais utilisé pour obtenir des marchés ». Sans réquisitoire, le procureur rend son verdict qui étonne l'assistance. Une peine de 5 ans de prison ferme pour les huit prévenus en détention. La même peine a été demandée, par défaut, à l'encontre de Gouaiche Kadour, alors que pour les trois autres prévenus, en liberté provisoire et absents des débats, le parquet a requis une peine de 8 ans de prison, avec des mandats de dépôt. Une peine de 3 ans a été également requise contre l'ancienne secrétaire du ministre des Ressources en eau, Mme Bouhamdani Leïla. Les avocats des prévenus ont tous plaidé l'innocence, affirmant que leurs mandants sont victimes d'une grave violation du principe de la présomption d'innocence. Lors des plaidoiries, les avocats ont dénoncé la « légèreté » avec laquelle cette affaire a été menée. « Nous n'avons pas eu accès au dossier de preuves que vous avez ici sur le pupitre. Plus grave, nous n'avons même pas eu accès à l'ordonnance de renvoi. Pourquoi n'a-t-il pas entendu les prévenus dans le fond et convoqué les nombreuses personnalités citées dans le dossier pour enquêter sur les révélations. Pourquoi l'épouse de Gouaiche n'a pas été entendue sur les sommes versées dans son compte personnel ? », ont demandé les avocats au juge qui semble extrêmement fatigué, après plus de 16 heures d'audience. La défense s'est également interrogée sur les circonstances de la mise en liberté du principal prévenu, notent-ils, sans que ses propres avocats n'en soient informés. De nombreux avocats se sont demandés pourquoi la police judiciaire et le juge d'instruction n'ont pas convoqué les ministres et les sociétés étrangères cités par Gouaiche. La défense des deux secrétaires particulières s'est offusquée devant ce qu'elle a qualifié de grave dérive. « Comment une femme de l'intégrité de Mme Bey Boumezrag, qui a l'âge de nos mères, peut-elle se retrouver en prison, après quarante années de services rendus à l'Etat, pour des faits qui se sont déroulés alors qu'elle était à la retraite », crie l'avocat, avant de noter que cette affaire montre que « les tribunaux sont devenus des lieux où le justiciable ne se sent plus en sécurité ». Il est 2h 30. Le tribunal se retire pour délibérer et une demi-heure plus tard, le juge prononce le verdict. Gouaiche Kadour est condamné par défaut à 4 ans de prison, dont trois ans avec sursis. L'ancien secrétaire général du ministère des Ressources en eau est condamné à 1 an de prison ferme, alors qu'une peine de 18 mois avec sursis est retenue contre Idernamouche, Amalou Abdelkader, Antri Mohamed Tayeb, Gueffaf Al Hadj et Vittorio Angelo. Pour ce qui est des deux anciennes secrétaires particulières, elles ont bénéficié de la relaxe, et la troisième, absente à l'audience, a été condamnée par défaut à une année de prison ferme avec mandat de dépôt. Le tribunal a également relaxé Chebana Sofiane et Imessaâd Abdenaceur. Une affaire qui malheureusement n'a pas révélé tous ses secrets.