Dans l'entretien qu'il nous a accordé, le directeur général de l'Office national de lutte et de prévention contre la drogue et la toxicomanie, Abdelmalek Sayah, a affirmé que 160 000 plants de pavot d'opium ont été découverts à Adrar et que 2000 toxicomanes se soignent dans des établissements et 3500 autres en dehors. Nous avons remarqué que depuis la mise en place des lois et des instruments de lutte contre la drogue, les quantités saisies connaissent une hausse considérable, notamment les deux dernières années. En 2006, il y a eu 10 t de cannabis saisies, et durant les trois premiers mois de 2007, 5 t. Quelle est votre explication ? L'explication réside dans le fait que les services de sécurité reviennent de plus en plus à la lutte contre le trafic de drogue après que leurs efforts ont été concentrés surtout sur la lutte contre le terrorisme. Mais tous les spécialistes s'accordent à affirmer que les quantités saisies ne constituent que 15 à 20% du produit... Ce sont les spécialistes de l'ONU qui l'affirment et nous ne pouvons dire le contraire. Mais je peux vous dire que déjà les quantités saisies sont alarmantes. C'est un évidence. Personne ne peut nier le fait que l'Algérie soit utilisée comme zone de transit pour le trafic des drogues dites douces. La consommation est timide. Nous n'avons pas d'enquêtes ou d'études nationales pour faire le constat d'une manière scientifique, mais à travers les sondages réalisés ici et là, nous nous rendons compte que le cannabis a pénétré les écoles, notamment des quartiers défavorisés. Ce qui nous a poussé à demander une enquête nationale, dont les premières conclusions seront rendues publiques aujourd'hui, lors des travaux de la conférence sur le rôle du mouvement associatif en matière de lutte contre les toxicomanies. Il faut reconnaître que l'Algérie n'est pas présentée, selon les critères définis par l'ONU, en tant que pays où il y a un haut risque de consommation de drogue. Nous ne pouvons cependant ignorer la situation inquiétante existante. Il faut l'affronter en disant les quatre vérités, même si cela va faire mal. Il est très important que la famille en général et les parents en particulier s'impliquent dans la prévention et la lutte contre ce fléau, parce qu'il y va de la santé de leurs enfants. Il en est de même pour le mouvement associatif qui doit être plus actif et plus offensif sur le terrain. C'est pour lancer cet appel pressant sur le danger imminent de passer de l'étape de consommation toute simple à celle de l'abus avéré que nous avons organisé cette rencontre. Pensez-vous que l'Algérie puisse devenir un pays producteur ? Ce n'est un secret pour personne. Les services de la Gendarmerie nationale ont découvert, récemment à Adrar, 160 000 plants de pavot d'opium, cultivés par des narcotrafiquants algériens et étrangers. Cette culture est un créneau porteur et très juteux. Le passage à la culture a été établi dans plusieurs régions montagneuses du nord du pays, comme à Béjaïa ou Tizi Ouzou, dans les Hauts-Plateaux, en vue d'éviter les villes frontalières où les services de sécurité sont omniprésents. Dans ce genre de situation, le rôle du mouvement associatif devient très important. Ces découvertes sont révélatrices et doivent être considérées comme un indicateur alarmant, même si le pays n'est pas en face d'une industrie de la drogue avec des laboratoires sophistiqués de traitement. Dans toutes les affaires de trafic de drogue, il y a des agents de l'Etat impliqués, notamment des services de sécurité. Ne pensez-vous pas que ces réseaux se sont développés grâce à la complaisance institutionnelle ? La complicité peut être partout, mais elle est individuelle et ne peut impliquer avec elle une institution. Il y a toujours eu des réactions de l'administration face aux comportements de ses agents véreux. Qu'en est-il alors de l'affaire Zendjabil, ce baron qui s'est rendu aux forces de sécurité, il y a plus d'une année ? Je n'ai pas d'informations à son sujet. Ce que je sais, je l'ai lu dans la presse. J'ai lu que le procureur général près la cour d'Oran avait déclaré qu'il n'avait pas de dossier Zendjabil à son niveau. Cette question, il faudra peut-être la poser aux instances qui ont eu à gérer ce dossier. Ce que je sais, en revanche, c'est que de nombreux trafiquants jugés et condamnés par la justice l'ont impliqué directement. L'évolution des réseaux de drogue et leur prolifération, en dépit des nouvelles lois, laissent croire qu'il n'y a pas de véritable volonté politique de lutte contre ce fléau. Qu'en pensez-vous ? La volonté politique existe bel et bien. Elle a été réaffirmée à plusieurs reprises par le premier magistrat du pays. La parole ne suffit pas. Quels sont les moyens engagés pour endiguer ce mal ? C'est d'abord la mise en place d'une législation préventive et répressive. Puis la création de l'office pour conjuguer tous les efforts d'abord dans la prévention puis dans la lutte contre le trafic de drogue. Quel est le budget consacré par les autorités à l'office que vous dirigez ? En fait, l'enveloppe budgétaire de 50 millions de dinars nous a été allouée en 2004 pour une période de cinq ans. Elle ne concerne pas uniquement le plan d'action, mais également le fonctionnement de l'office. Pensez-vous qu'en matière de pouvoir décisionnel, il est plus important d'être rattaché au ministère de la Justice qu'à la chefferie du gouvernement ? Sans commentaire... Peut-on confier le rôle de la lutte contre la drogue à un office ? Il faut savoir que pour réussir une politique de lutte contre un fléau, il faut travailler sur trois axes, le plus important est la prévention. Le but est d'arriver à réduire l'offre, et par ricochet, la demande. Le second axe est la prise en charge des toxicomanes. Combien sont-ils ? 2000 suivent actuellement une thérapie dans des structures spécialisées à Blida et à Oran. Il y a 3500 toxicomanes qui sont pris en charge en dehors des établissements. De 1992 à 2002, ils étaient 20 000 toxicomanes à avoir bénéficié d'un traitement à Blida et Oran. Avec le ministère de l'Education nationale, nous envisageons le lancement d'une enquête en milieu scolaire sur le fléau de la toxicomanie à l'horizon 2008. Un numéro vert (15-68) sera mis en service très prochainement et devra permettre aux citoyens d'exprimer leurs préoccupations, de bénéficier d'informations sur la prévention contre la toxicomanie et de dénoncer toute activité en relation avec la drogue. Le nombre de toxicomanes que nous avons ne reflète pas la réalité de la situation, puisqu'il y a des milliers de jeunes qui ne peuvent pas se faire soigner parce qu'ils n'ont pas où s'adresser. Il n'existe que 5 établissements à travers les wilayas d'Oran, de Sétif, de Blida, d'Alger et de Constantine. Mais pour pallier ce manque, 185 cellules d'écoute sont en train d'être installées à travers les établissements de santé. Il est question aussi de renforcer les 153 centres intermédiaires de prise en charge des toxicomanes et les 15 centres spécialisés pour pouvoir arriver à une meilleure prise en charge et assurer ainsi une vraie réinsertion. De nombreux spécialistes affirment que ces efforts sont voués à l'échec parce qu'il n'y a pas de suivi après la cure… La récidive existe dans tous les domaines, pas seulement dans la toxicomanie. Il faut un suivi notamment par la famille pour éviter que le toxicomane guéri ne retombe dans le piège de la drogue.