C'est l'étrange histoire du film Les Suspects, adapté du roman du regretté Tahar Djaout par le réalisateur Kamel Dehane. Une histoire où le gérant de la société Cirta Film, El Hachemi Zertal, qui a participé à la coproduction du film, poursuit inlassablement de festival en festival, de pays en pays, l'œuvre qu'il considère quelque part comme son premier enfant, puisque c'est sa première participation à la réalisation d'un film de fiction. Sa poursuite implacable n'est pas pour défendre et promouvoir l'œuvre, mais pour l'empêcher de se produire et de gagner, éventuellement, des prix ou des acheteurs (de l'argent), mais de l'empêcher de participer aux fêtes du cinéma et de s'exprimer. Autant faire Tahar Djaout encore une fois. Les raisons de M. Zertal, quant à la rentabilité financière de sa participation à la production du film, sont certainement légitimes. Il a saisi un tribunal belge pour recouvrer ses droits et la procédure est en cours. L'autre coproducteur belge, Saga Film, a lui aussi ses arguments, son avocat, et c'est son droit. Par contre, le réalisateur Kamel Dehane navigue entre les deux pour, juste, sauver l'œuvre cinématographique. Lui aussi, Les Suspects, c'est son premier long métrage de fiction. Plus, c'est un contrat moral entre lui et son ami Tahar Djaout. « Tahar était très heureux lorsque je lui ai fait part de mon projet de porter à l'écran son roman, Les Vigiles, en 1990... Après son assassinat, je me suis fait un serment de réaliser la promesse faite à Tahar. L'occasion s'est présentée avec l'Année de l'Algérie en France. Pour ces raisons et bien d'autres, vous le comprenez, je suis très peiné, d'autant plus que j'ai tenté à diverses reprises de trouver un arrangement à l'amiable avec M. Zertal. » M. Zertal, lui, est catégorique : « J'ai été floué. J'ai été à l'origine du rassemblement des fonds de production, je me suis endetté. Ce n'est qu'à deux jours de la fin du tournage, qui a duré 45 jours, que Saga Film, le coproducteur belge, et Kamel Dehane ont rompu unilatéralement notre contrat. Le film, prévu pour sept millions de dinars, a finalement coûté 8,7 millions de dinars. J'ai pu récupérer 5 millions de dinars. Le reste, 3,5 millions, attribué par l'Année de l'Algérie en France a été versé à la société algérienne Flash Média, qui n'a travaillé que deux jours sur le film. Flash Media, qui n'a rien à voir avec le cinéma, fait dans le bâtiment. Elle construit des logements à Boumerdès et appartiendrait à un haut officier militaire. » Le coproducteur belge, Hubert Toint, gérant de Saga Film, estime de son côté que M. Zertal a failli à sa mission et aux termes du contrat. « Le contrat a été rompu unilatéralement par Cirta Film pour de nombreuses raisons. Elle a été remplacée par Flash Media, reconnue officiellement comme coproducteur du film par les autorités algériennes. De plus, le tribunal de Bruxelles n'a nullement donné raison à M. Zertal comme il tente de le faire croire. » C'est l'avocat de Saga Film qui résume la situation : « Il faut considérer que les démarches entreprises par M. Zertal qui ont pour objectif d'empêcher l'exploitation du film n'ont pas de fondements juridiques... Le juge des référés de Bruxelles ne lui a pas donné raison en première instance. » La fin de l'histoire, c'est que Les Suspects aurait été retiré de la compétition officielle et programmé en panorama et avant-première aux festivals de Namur, Carthage, Montpellier... Dire que si le film avait été laissé libre, et avait gagné des prix et de l'argent, tout le monde y aurait trouvé son compte. Et Kamel Dehane serait allé jusqu'au bout de sa promesse à Tahar.