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« Le foot est pourri par l'argent »
Mohamed Maouche. Ancienne gloire du football national, membre de l'équipe FLN
Publié dans El Watan le 19 - 07 - 2007

« Il en est des conseils comme des médicaments. Les plus amers sont les meilleurs. »
Tagore
De son jardin, on entend les clameurs qui montent de la salle qui jouxte sa demeure. On y dispute les épreuves d'escrime des Jeux africains. C'est à peine s'il fait allusion à cette manifestation. Certes, il a eu l'honneur d'être invité à la cérémonie d'ouverture mais les joutes actuelles n'ont pas l'air de susciter chez lui un quelconque enthousiasme.
Mohamed, le regard perdu, semble n'y prêter aucune attention. Ce qui le préoccupe pour l'heure, c'est sa voiture ancienne, un modèle 1954 qu'il scrute avec délectation. « Une pièce de musée qui doit coûter une fortune. Mais, je ne m'en séparerai jamais. Ce véhicule a une histoire qui fait partie de moi-même », confesse-t-il avec nostalgie. « C'est une Maurice garage TF, très à la mode à l'époque que j'avais échangée avec ma 4 chevaux en plus d'une somme dont je ne me suis jamais acquittée. C'est avec cette voiture que j'ai fait le tour de France pour contacter la dernière fournée des joueurs algériens professionnels devant rejoindre l'équipe FLN. Mon épouse, alors secrétaire de Me Benabdallah du collectif des avocats du FLN, m'avait accompagné dans ce périple où nous avions pris attache avec Bouchache (Le Havre), Mahi (Reims), Ahmed Arab (Limoges), Amara (Bordeaux), Oualiken, Bouricha, Djebaïli (Nîmes) et Kerroum (Troyes) ». Mohamed s'insère alors dans un parcours de mémoire subtil. Il a, pour lui, l'argument infaillible d'avoir une mémoire intacte. N'ayant jamais cherché à séduire ni à provoquer, ce jeune homme de 71 ans irréductible est considéré par ses pairs comme un révolté, même si son apparence avec une barbe garnie lui donne plutôt l'air d'un gourou bien sage. Quand il accueille un visiteur, il arbore un sourire hospitalier et indécis. Il passe d'un sujet à l'autre, rebondit sur une date, revient en arrière, s'aidant parfois d'une photo sortie d'un album précieux, où jeune footballeur fringant, il faisait vibrer les stades et les cœurs tendres. L'occasion pour nous livrer une de ses nombreuses anecdotes. « Un jour, nous étions dans le bus. Devant mon siège, se trouvait Boubekeur. A un arrêt en ville, une belle Tchèque a tapoté sur la vitre. Boubekeur pensait qu'elle s'adressait à lui. Elle lui a fait signe que c'est l'homme qui est derrière, c'est-à-dire moi qui l'intéressait. Se retournant il m'a lancé : ‘'Tu n'es pas plus beau que moi, non !'' S'ensuivit une altercation assez sympathique. Il est vrai que j'étais séducteur à 20 ans ! On a bien rigolé ce jour-là. » Mohamed Maouche est né le 24 février 1936 à El Biar, mais c'est à l'AS Saint Eugène qu'il entama sa carrière dès 1949, où il se fit remarquer très jeune grâce à son talent précoce. Il a été champion de toutes les catégories et deux fois champion d'Afrique du Nord juniors. A 17 ans, il évoluait avec fierté en équipe fanion. Il se permit même le luxe d'inscrire deux buts d'anthologie contre l'USD Meknès dans un match mémorable remporté par le club saint-eugénois. « J'avais 17 ans quand ils sont venus me prendre pour l'OGC Nice dont le coach Charlie Cross avait entraîné l'ASSE. A mon palmarès, des buts, le concours du jeune footballeur que j'ai remporté à deux reprises à Alger en me classant 4e au concours final à Paris. C'est là que les recruteurs se bousculent pour prendre les meilleurs. Je sais que Cross a tout fait pour que j'aille à Nice mais comme j'étais mineur, l'ASSE a fait objection et obtenu gain de cause… » Nullement déçu par cette déconvenue, Mohamed laissera le temps au temps pour pouvoir enfin caresser son rêve. « En mai 1956, j'ai été contacté par Reims qui effectuait une tournée en Afrique du Nord. Les dirigeants reimois sont venus voir le match ASSE-AS Boufarik et comme j'étais le meilleur sur le terrain, ils m'ont contacté. J'ai été voir ma mère qui m'a autorisé à m'absenter pour 48 heures afin de subir les essais. J'y suis resté 2 ans ! Nous avions fait des tournées, notamment en Indonésie et c'est après ce voyage que j'ai été inclus en équipe première. International militaire, nous avons battu l'Italie 3 à 0 et j'ai fait partie de l'équipe qui a effectué le déplacement à Buenos Aires pour le championnat du monde militaire. Avec Reims, nous avons remporté le championnat et la coupe de France en 1957-1958. »
Titulaire dans le grand Reims
Après avoir participé aux Jeux de l'amitié de Moscou durant l'été 1956, M. Boumezrag, à son retour, a lancé l'idée de former une équipe pour représenter l'Algérie combattante. « En décembre 1957, il m'avait déjà informé qu'il avait pris Aribi comme adjoint et que Bentifour était au courant du projet. Les contacts ont commencé discrètement. On m'avait responsabilisé. On avait décidé de faire partir les joueurs, le dimanche 12 avril 1958 juste après les matchs de championnat. Malheureusement, il n'y a pas de risque zéro. Ce jour-là, Mekhloufi avait été blessé à la tête et évacué à l'hôpital lors du match ASSE-Béziers. Cet impondérable nous a retardés. Comme j'attendais le groupe à Lausanne, je m'inquiétais de son absence. J'ai pensé à un contre-ordre. J'ai repris le train en direction de la gare du Nord. Dans les journaux, ma photo figurait en bonne place avec ce titre :''Maouche a fui le bataillon de Joinville''. En arrivant à la frontière franco-suisse, j'ai été arrêté. Après 40 jours de cellule et 14 mois de résidence surveillée, je fus relâché, avec cette précision que les dirigeants reimois ont tout fait pour m'éviter le tribunal militaire. Revenu donc à Reims, après une tournée en URSS, je suis prêté pour la saison 1959-1960 au Red Star. Je retourne l'année suivante à Reims mais je suis de nouveau contacté par Me Benabdallah qui me prie de rejoindre mes camarades dans la capitale tunisienne. C'est ainsi que le 2 novembre 1960, je retrouve tous mes camarades et avec eux nous avons entrepris une première tournée dans les pays de l'Europe de l'Est, notamment en Yougoslavie qui comptait parmi les meilleures équipes à l'échelle mondiale. Ce fut la dernière tournée de la formation de l'Algérie combattante qui a vraiment fait connaître la cause à travers les continents. Dans ce parcours axé autour du rectangle magique qu'est le terrain de foot, il y eut des buts et la sensation du devoir accompli mais aussi des situations cocasses que Maouche se plaît à raconter. « Un jour, lors de la traversée Gênes-Tunis en bateau, nous avions demandé à Kerroum de nous payer quelque chose. Il a juré qu'il n'avait pas le sou. Il était avec son épouse et son bébé Daho. A un moment, Oualiken prit dans ses bras Daho et il s'aperçut qu'il y avait plus de 2 millions dissimulés dans ses langes. Alors, Oualiken et moi avons caché le bébé. Kerroum, dans tous ses états, l'a cherché partout. On ne savait pas s'il était à la recherche de son rejeton ou de ses millions. Lorsqu'il s'aperçut de la farce, il redoubla de férocité, mais il persista dans son idée de ne pas nous payer un pot… On l'a bien chambré ce jour-là. »
Après la France, la Suisse
A l'indépendance, Maouche s'installe en Suisse où il est entraîneur-joueur à Martigny. « Je m'y plaisais et je jouissais de toutes les faveurs jusqu'au jour où un dirigeant du FLN est venu me solliciter pour aller exercer en Algérie qui manquait terriblement de cadres. Je n' ai pas hésité une seconde. J'ai résilié mon contrat pour être affecté au MJS qui m'a nommé maître d'EPS au lycée Zerrouki de Mostaganem. Naturellement, les dirigeants de l'Espérance m'ont vite approché pour être l'entraîneur-joueur de l'équipe. J'en garde des souvenirs inoubliables avec des joueurs de qualité comme Ould Bey, Zidane, Soudani, Benameur, Rezkane. Avec toute cette pléiade de talents, on ne pouvait que réussir et l'apothéose a été sans doute la finale de la coupe d'Algérie, qui restera une date phare dans l'histoire du club. » Puis, ce fut une valse à mille temps qui l'amena à l'USMA, à la DNC, à El Harrach où il s'enorgueillit d'avoir formé une grande équipe mais aussi à la JS Djidjel, à l'USMB, à Boufarik, à Koléa, au CRB sans compter le détour par la JSK où il n'est pas resté longtemps parce qu'on lui a « ramené un entraîneur adjoint qui n'avait qu'une vague relation avec le football, un charlot ». Puis, Maouche est nommé en équipe nationale aux côtés du Russe Rogov. « On a fait de l'excellent boulot sur des bases scientifiques et un programme rigoureux ponctué par les qualifications en Coupe d'Afrique, Burkina-Faso 7-0 à Oran et 1-1 à Ouagadougou ; et en Coupe du monde face au Nigeria (2-0 à Lagos et 2-1 à Constantine). Houhou, alors ministre de la Jeunesse et des Sports, suivait l'équipe de très près mais ne s'est jamais mêlé des affaires techniques. C'est moi qui ai représenté l'Algérie au tirage au sort du Mondial espagnol. Mais après mon retour, soit le 24 février 1982, je suis convoqué au MJS alors dirigé par M. Bekka, sans Rogov pour me faire dire que je suis l'adjoint d'un autre staff. Chose que j'ai refusée. Après bien des péripéties, j'ai fini par démissionner. Je sais que l'entraîneur est sur un siège éjectable, mais dans notre cas, on n'a même pas eu l'élégance de mettre les formes. On nous a éjectés comme des malpropres alors qu'on a fait un travail colossal. Cela nous a fait beaucoup mal. J'en étais bouleversé, voire malade pendant des semaines. Mais, que pouvez-vous faire contre l'ingratitude ?
Des dirigeants ingrats
Heureusement le résultat enregistré à Gijon a mis un peu de baume au cœur et a atténué notre douleur… » Son regard sur le football actuel est sans complaisance. « Je ne vais plus au stade, car le match n'est plus un moment festif, de convivialité où l'on apprécie le spectacle. Il n'y a plus de culture du foot. L'argent a pourri ce sport et les mentalités. On copie sur les autres sans en avoir ni les capacités ni le talent. Forcément, c'est une mauvaise imitation. On doit tenir compte de nos spécificités et travailler en conséquence. J'ai le regret de dire, même si cela peut heurter les sensibilités de certains, qu'à l'heure actuelle, les entraîneurs amateurs, qui n'ont jamais eu les sensations du haut niveau, puisqu'ils n'ont pas évolué à ce palier, entraînent des pseudoprofessionnels. Vous connaissez le résultat. Toutes nos équipes à différents étages sont éliminées au premier tour. N'est-ce pas un gâchis ? » A la question de savoir quel remède administrer pour sortir du marasme, Mohamed n'y voit qu'une seule issue. « Il faut, dit-il, revenir à la base. Les clubs au lieu de dilapider l'argent public pour l'achat de piètres joueurs, feraient bien de s'occuper des infrastructures qu'ils n'ont pas, de la formation des jeunes qui sont livrés, impuissants, à leur triste sort. » Et dire que tout le monde semble se complaire dans cette pitoyable situation. Pourtant, il y a une espèce de honte à être heureux à la vue de certaines misères…
PARCOURS
Né le 24 février 1936 à El Biar, Mohamed Maouche a eu un parcours atypique à l'image du personnage. Après avoir fait ses classes à l'AS Saint Eugène, il se fera remarquer par son talent. Il est vite repéré par les recruteurs du grand Reims qui l'intègre dans ses rangs. Mohamed fera alors parler la foudre en marquant des buts et en s'imposant comme titulaire indiscutable. Mais sa carrière entamée à 18 ans ne connaîtra pas le cheminement souhaité. Arrêté alors qu'il était chargé de contacter les autres éléments de la future équipe du FLN, devant rejoindre Tunis, Mohamed connaîtra la prison avant d'être mis en résidence surveillée. Il rejoindra l'équipe FLN avec laquelle il effectuera plusieurs tournées. A l'indépendance, il est moniteur de sport à Mosta où il évolue à l'Espérance. Après, il figurera dans plusieurs clubs algériens. Il sera nommé adjoint de Rogov en équipe nationale avant d'être évincé à la veille du déplacement en Espagne. Mohamed en a été profondément marqué…


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