Le verdict du procès des 38 accusés dans le dossier du séisme de mai 2003, qui s'est tenu au tribunal de première instance de Boumerdès depuis le 26 juin dernier, est tombé hier en début de matinée. Boumerdès. De notre correspondant Le juge Redouane Abdallah l'a ainsi rendu public après avoir mis l'affaire en délibéré pendant une semaine, les audiences s'étant achevées mercredi dernier. Le juge a condamné à 2 ans de prison ferme 27 accusés et a prononcé une peine de 3 ans de prison ferme à l'encontre de Harani Abdelkader déclaré « en fuite ». Toutes ces peines sont assorties d'une amende de 50 000 DA. Le juge a, en revanche, acquitté les dix autres accusés. Ceux-ci sont principalement les maîtres d'ouvrage, comme les directeurs de l'EPLF (Selkim Mohamed), de l'OPGI (Heni Adda Kamel), de la SNTF (Ziadi Mouldi), du promoteur privé Derriche Hassen, aux côtés d'autres intervenants dans l'acte de bâtir, comme les entrepreneurs Boumaza Habib, Chibi Boussad et Boussalah Rabah. Ont également été acquittés Amamai Ahmed, Ghazibaouene Achour et Aït Sidhoum Abdelhamid, responsables des bureaux d'études engagés dans quelques projets. La justice a ainsi prononcé des « peines sévères », pour reprendre les termes des avocats, à l'encontre des exécutants de l'acte de bâtir, comme les entrepreneurs, les bureaux d'études chargés de la conception des plans et du suivi de la construction, ainsi que les ingénieurs et autres techniciens du CTC. En effet, les 5 éléments de cet organisme de contrôle impliqués dans ce dossier ont tous été condamnés à 2 ans de prison ferme assortis d'une amende de 50 000 DA chacun. Ce qui fera dire à un employé de cet organisme : « Ceci est un procès du CTC. » Celui-ci souligne, en outre que « pourtant, le CTC ne bénéficie que de 0,5% du coût global du projet » et affiche « toute (sa) solidarité avec les responsables et personnels des bureaux d'études qui viennent d'être condamnés ». Les 38 accusés étaient poursuivis, pour rappel, pour les chefs d'inculpation d'« homicide involontaire, blessures involontaires, fraude sur la qualité et la quantité des matériaux et non-respect des normes et de la réglementation ». Durant les deux semaines qu'ont duré les audiences, le juge a entendu les mis en cause, les membres des commissions ministérielles ayant enquêté au lendemain de la catastrophe sur les causes de l'effondrement des bâtisses, et des experts en sismologie et en génie parasismique. En plus de ceux-là, la défense a pu poser ses questions aux experts désignés par la justice. Cela dit, experts, membres des commissions et autres témoins ont tous conclu que les dégâts étaient dus en premier lieu à la force du séisme. Cependant, cela n'a pas empêché le procureur de la République de requérir les peines maximales prévues par la loi dans le cas d'une affaire jugée en correctionnelle (c'est le cas ici), à savoir 3 années de prison ferme assorties de 100 000 DA d'amende. Le représentant du ministère public a requis cette peine à l'encontre de 33 accusés et demandé une peine de prison de 2 ans avec la même amende, tandis qu'il a requis l'acquittement pour les trois derniers. Le juge a satisfait en grande partie le réquisitoire, au grand étonnement de la défense. Hier, maître Bourayou a tout simplement déclaré n'avoir « rien compris à ces décisions ». « C'est une hérésie de condamner des humains pour ce qu'a provoqué la nature », a-t-il dit. Un autre avocat, maître Sahraoui, a exprimé son étonnement en disant : « Sans commentaire ! » Le professeur en génie parasismique, Abdelkrim Chelghoum, qui avait déclaré qu'à l'origine des dégâts enregistrés le 21 mai 2003 il y avait le règlement parasismique qui n'était pas adapté, nous a dit hier qu'il trouve ces condamnations « très sévères envers des exécutants qui ne font qu'appliquer une réglementation qui s'est avérée erronée ». « La responsabilité de ceux-ci est exactement la même que celle des promoteurs acquittés. Nous aurions aimés, en revanche, que le dossier de la puissance publique fut ouvert. Ceci dit, j'ai un grand respect pour la justice qui est souveraine et je tiens à exprimer toute ma sympathie et mon affection aux ingénieurs, mes confrères, condamnés, ainsi qu'à leurs familles », ajoute-t-il. Maître Sadek Nadjib nous a dit qu'il a été « surpris par le verdict ». « Certains ont été condamnés alors qu'ils ne devraient pas l'être. Dans l'absolu, personne ne mérite une condamnation dans ce procès, car il est établi que la cause essentielle de l'écroulement des habitations était la force du séisme. Le procès a, en outre, démontré que les responsabilités sont ailleurs. Cependant, je ne peux pas me prononcer d'une manière catégorique sur le chef d'inculpation de fraude », a-t-il expliqué. Un autre avocat, maître Sayeh, estime, lui aussi, que le verdict est sévère. « D'ailleurs, j'ai fait appel. On s'attendait à des peines avec sursis, mais pas à 2 années de prison ferme », dit-il. Ainsi, c'est la quasi-totalité des condamnés qui vont faire appel, à en juger par leurs propos hier à la sortie de la salle qui fait office de tribunal. Et le procès va reprendre au niveau de la cour. Hier, on ne savait pas encore si le parquet avait l'intention de faire appel lui aussi. A préciser que tous les inculpés ont comparu libres et que les peines d'emprisonnement prononcées par le juge n'étaient pas accompagnées de mandat d'arrêt. Ce qui laisse les inculpés en liberté tant que la cour ne s'est pas encore prononcée. Les entrepreneurs, les ingénieurs et autres personnels du CTC, les responsables des bureaux d'études, ainsi que tous ceux qui les accompagnaient étaient hier émus et n'avaient qu'une phrase dans la bouche : « En notre qualité de petits intervenants, nous avions pourtant fait notre travail le plus correctement possible. » Certains parmi ceux qui les accompagnaient nous ont déclaré qu'ils étaient « préparés à ce genre de sanctions parce que, dans ce pays, ce sont toujours les petits qui payent pour les erreurs des grands ». Car tout au long du procès, la défense n'a pas manqué de souligner que la responsabilité pleine et entière dans les dégâts enregistrés incombe aux pouvoirs publics qui n'ont pas su prévenir et prémunir le citoyen contre pareils risques.