L'expression est de Daho Djerbal : depuis l'indépendance, « il y a eu un avilissement de l'Histoire ». L'exceptionnelle foison de mots sur la commémoration du cinquantenaire du déclenchement de la guerre d'indépendance récoltée et transmise par les médias d'Algérie et de France ne doit pas faire oublier que quarante-deux années durant le bruit à son unique fait autour de la mémoire coloniale a sédimenté dans la conscience collective « un discours où la figure de l'homme en armes l'emporte toujours sur le politique ». Une halte sur des discours de presse de cette semaine témoigne d'abord du mérite de nos journaux - dans une notable diversité - d'avoir rendu publics des témoignages et de nouvelles questions sur l'Histoire. L'école, l'université ou les institutions spécialisées de l'Etat ont sciemment détourné ce travail dans un sens unique. Les discours de presse autour du cinquantenaire de Novembre 1954 sont novateurs parce qu'ils posent avec une plus grande clarté la nécessité du passage de la libération nationale à l'accès aux libertés démocratiques pour les citoyens. A la conférence, regroupant dimanche dernier, à la tribune Aït Ahmed, Mehri et Hamrouche, ce dernier a pointé : « A l'indépendance, au lieu d'un Etat, les Algériens ont eu un pouvoir. Il n'y a pas de gouvernement sans la souveraineté du peuple. » De fait : « On a aggravé des lois contre les libertés. » « L'avilissement de l'Histoire » vient du silence criminel de ceux qui savent et se taisent. En France, un demi-siècle auparavant, la voix « non récupérable » du philosophe J.-P. Sartre (voir Le Monde diplomatique, novembre 2004), criait cette vérité sur la guerre d'Algérie : « Il n'est pas bon, mes compatriotes, vous qui connaissez tous les crimes commis en notre nom, il n'est vraiment pas bon que vous n'en souffliez mot à personne, pas même à votre âme, par crainte d'avoir à vous juger. Au début, vous ignoriez, je veux le croire, ensuite vous avez douté, à présent vous savez, mais vous vous taisez toujours. » Malgré toutes les leçons de l'Histoire, il se trouvera bien sûr des procureurs pour condamner des « remueurs d'histoires » de cette semaine, par exemple B. Khalfa (Alger républicain du 1er au 15 novembre) défiant : « Qu'on dise à la jeunesse algérienne comment, pourquoi et par qui ont été tués le dirigeant du FLN Abane Ramdane et tant d'autres combattants pour l'indépendance, y compris nos propres camarades communistes dont le souvenir ne nous quitte pas. »