L'annulation du contrat de développement du gisement de Gassi Touil est-elle le résultat d'un litige commercial ou de représailles politiques ? La guerre entre Sonatrach et ses deux partenaires espagnol,s Repsol et Gas Natural, est ouverte pour avaliser l'une ou l'autre interprétation de ce coup de tonnerre qui a secoué la place financière de Madrid, la semaine dernière, entraînant une baisse des cotations boursières des deux pétroliers ibériques. La première clôture après l'annonce, lundi dernier, de la perte de Gassi Touil a conduit à une perte de 1,59% pour le titre de Repsol et de 2,30% pour celui de Gas Natural. Repsol considérait Gassi Touil comme un de ses projets les plus importants dans le monde. Le manque à gagner est sérieux pour les deux entreprises espagnoles. Il s'évalue d'abord en réserves de gaz détenues, le gisement de Gassi Touil assurait, en partage de production, un accès à 6,5 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an pendant 30 ans. Il se compte ensuite en perte financière sèche. Une partie des 2,4 milliards de dollars prévus pour le développement du champ a été dépensée. L'Espagne ne veut voir que la politique Ces premiers décaissements devaient assurer la reprise des 16 puits existants, le forage de 52 autres puits de développement et la construction des installations de traitement in situ de 22 millions de mètres cubes par jour de gaz naturel. La suite du projet intégré prévoyait la réalisation de capacités de transport par canalisation jusqu'au port d'Arzew où un nouveau méga-train de GNL aurait dû permettre au consortium d'exporter vers divers marchés 4 millions de tonnes de GNL par an. Un arbitrage international décidera des responsabilités et des réparations. « Une chose est certaine, la mise en gaz prévue en 2009 est impossible. Même l'échéance de 2012 est aujourd'hui totalement incertaine. Si le communiqué de Sonatrach a parlé de fiasco industriel, c'est parce que sur le terrain nos partenaires n'ont pas réussi à enchaîner les étapes du développement du gisement dans leurs délais. C'est simple, c'est comme si l'autoroute qui doit être livrée en 2009 n'avait pas encore achevé son premier terrassement 30 mois après le début des travaux », explique un technicien de forage de Sonatrach basé à Hassi Messaoud. Les Espagnols ne l'entendent pas ainsi bien sûr. Repsol et Gas Natural ont choisi donc dans leur communiqué commun de jouer la carte de la politisation. Elles seraient victimes d'une mesure de rétorsion du pouvoir algérien dans le cadre d'un conflit diplomatique avec Madrid. Ce point de vue est dominant chez les analystes espagnols. Le politologue Cezar Vidal estime qu'il s'agit d'une décision « strictement politique ». Il accuse le gouvernement espagnol de commettre des « bévues » sur la scène internationale. « L'Espagne a traditionnellement mené une politique équilibrée dans la région du Maghreb, malgré des relations difficiles avec le Maroc et l'Algérie, ce qui permettait d'entretenir des relations de bon voisinage avec l'ensemble des pays de la région, et notamment d'obtenir des contrats fructueux », a commenté M. Vidal. C'est la rupture de cet équilibre qui serait, selon M. Vidal, et nombre de ses pairs, à l'origine de la crise actuelle dans le secteur de l'énergie entre Sonatrach et les entreprises espagnoles. C'est bien sûr l'occasion de cibler le gouvernement socialiste de Zapatero pour son « changement de cap » et son « rapprochement unilatéral avec Rabat, ce qui a suscité le mécontentement de nos partenaires algériens ». Un journaliste de Negocio a lui tout simplement évoqué « un missile de Sarkozy » qui aurait « pressé le président algérien pour annuler les concessions obtenues par les entreprises espagnoles ». L'allusion ici se rapporte au fait que le ticket Repsol-Gas Natural avait présenté une offre meilleure que celle, notamment, du tandem Total-Shell, lors d'une ouverture des plis publique le 17 novembre 2004. Paris avait accusé le coup. Une accusation qui fait sourire un cadre du ministère de l'Energie, proche de Chakib Khelil : « Les Espagnols n'ont aucune idée de la nature des relations énergétiques entre l'Algérie et la France en ce moment ». Manière d'affirmer que les choses ne se passent pas ainsi dans le business. Un contrat de l'ère de la réforme Khelil ? La tendance en Espagne à considérer que l'annulation du contrat du développement intégré de Gassi Touil du champ au terminal comme un « coup politique » est toutefois pondérée par quelques observateurs dans la péninsule ibérique. Ainsi, El Pais, plus conciliant pour le gouvernement socialiste, estime que la tension n'a été qu'un facteur aggravant et que le contrat Sonatrach-Repsol-Gas Natural n'a pas survécu en premier lieu au changement des conditions dans lesquelles il a été négocié. Une observation recoupée par un ancien directeur de Sonatrach de la seconde ère Bouhafs, poussé à la retraite par la mainmise du ministre de l'Energie et des Mines lors de sa prise de contrôle de Sonatrach en 2001 : « Si un contrat est résilié, c'est un échec pour toutes les parties. Il faut chercher des deux côtés les raisons de cet échec. Sonatrach affirme qu'elle était insatisfaite des délais de réalisation des travaux de développement du champ de Gassi Touil. C'est une partie de la vérité. L'autre partie, c'est que ce contrat était trop avantageux pour la partie étrangère. Le cahier des charges a été élaboré dans l'ambiance de la réforme Khelil qui donnait la majorité dans les gisements aux firmes étrangères, les prix du pétrole étaient en train de se redresser durablement, et ce paramètre a changé la donne et montré que Sonatrach pouvait assurer un financement plus facile du développement des champs qu'elle a déjà découverts, et en partager la charge dans des termes plus favorables, alors lorsque les retards sur le terrain sont apparus, ajoutés aux difficultés faites à Sonatrach, empêchée par l'Espagne de monter à 36% du Medgaz, le contrat Gassi Touil était mort ». Une explication qui répartit autrement les responsabilités. A cela, il faudra ajouter le point de vue du technicien de Hassi Messaoud qui estime que le choix de Repsol-Gas Natural pour ce projet était très discutable car n'offrant pas toutes les garanties industrielles, « les firmes espagnoles ont peut-être forcé sur leur offre pour passer au bluff ». Elles comptaient sans doute sur un climat politique autrement plus chaud à fin 2004 entre Alger et Madrid qui aurait aidé à passer la pilule des retards « inévitables ». C'est tout l'inverse qui s'est produit.