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Anne Giudicelli. Spécialiste du terrorisme dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb Les attentats de Batna et de Dellys « répondent d'abord à une logique algérienne »
Anne Giudicelli dirige la société d'expertise et de conseil Terrorisc, une structure de conseil opérationnelle sur les menaces de nature politique et sécuritaire. Comment analysez-vous les deux attentats qui se sont produits à Batna et à Dellys à 48 heures d'intervalle ? Quels sont leurs objectifs ? A mon avis, les objectifs de ces deux attentats sont d'abord internes à l'Algérie. Il faut les inscrire dans des tensions intérieures et, éventuellement régionales, c'est-à-dire sur le Maghreb, compte tenu de la surenchère qui persiste entre un jeu de pressions entre les services de sécurité et les différents attentats qui ont eu lieu contre des institutions d'Etat et notamment des institutions sécuritaires de l'Etat qui sont assez réguliers. Il y a une surenchère qui domine, surtout depuis les attentats du 11 avril, celle que les groupes armés opposent, par leurs actions, à la pression qui leur est imposée par les services de sécurité. D'autre part, les cibles choisies dans les deux derniers attentats sont nationales puisque, pour le premier, c'est le président de la République lui-même qui est visé, alors que le second attentat a touché une institution de l'Etat. C'est ce qui me fait dire que c'est d'abord une logique nationale puisqu'il n'y a pas eu de cible étrangère incluse dans les objectifs de ces opérations. Le mode opératoire, en tout cas pour l'attentat ciblant le président Bouteflika, dénote de moyens relativement limités. On peut penser que l'auteur n'avait pas véritablement préparé plus que cela son action. En revanche, le second attentat apparaît comme une action nettement préparée et organisée. L'impact recherché par El Qaïda au Maghreb avec ces attentats ne serait-il pas aussi un signe à la communauté internationale à l'approche de la commémoration du 11 septembre 2001 ? Du fait de la tension internationale autour de cette date, cela peut créer un certain climat, mais cela exclut un lien direct entre ces actions et la volonté d'El Qaïda au Maghreb de marquer à sa façon cette date. Je pense que les attentats de Batna et de Dellys répondent à une autre logique, qui est, encore une fois, algérienne, ensuite, éventuellement le contexte qui a peut-être mobilisé cette mouvance, c'est le contexte marocain lié aux élections législatives, et que peut-être il y avait de la part d'El Qaïda au Maghreb la volonté d'interférer sur les élections marocaines en portant un coup dur à l'Algérie. Vous avez parlé d'impact régional, est-ce que d'autres attentats peuvent être perpétrés dans d'autres pays de la région ? Quand je parle d'impact régional, je renvoie à l'actualité électorale au Maroc. La stratégie d'El Qaïda au Maghreb islamique se veut porteuse d'une mission qui intègre l'ensemble des pays de la région. Quelle vous semble être la riposte la plus appropriée à ces attentats terroristes ? Je ne crois pas que ces attentats vont changer l'approche des services de sécurité algériens sur la question (de la répression du terrorisme, ndlr). Au plan politique, j'ai noté avec intérêt que le président Bouteflika avait, d'une part, maintenu le cap sur sa stratégie de réconciliation nationale, c'est une façon pour lui de montrer qu'il ne cède pas à une quelconque pression des groupes armés. D'autre part, j'ai noté aussi qu'il montrait du doigt les capitales étrangères. C'est là en fait un message envoyé à la communauté internationale, notamment à ses partenaires pour leur dire que ce qui s'est passé ne renvoie pas à des tensions internes, algériennes mais à un ennemi étranger. C'est une stratégie assez classique pour se désengager d'un problème et rassurer les partenaires. Le risque peut être une radicalisation de plus en plus grande dans les modes opératoires de ces groupes qui ne bénéficient pas d'assise parmi la population. Pour continuer d'exister et de marquer leur pouvoir, ils vont, je pense, multiplier les actions, et qui demandent de moins en moins de moyens, pour déstabiliser le pays. Ces attentats ne signent-ils pas l'échec, voire les limites de la politique de réconciliation nationale engagée par le président Bouteflika ? C'est complexe. D'une certaine façon cela atteste que cela ne fonctionne pas. En même temps, ces groupes ne sont pas prêts à transiger. Leur projet n'est pas conciliable avec le projet du président Bouteflika, ils cherchent simplement à faire tomber le régime algérien. Pour le président Bouteflika, cela ne peut pas être pris comme un échec dans la mesure où, pour lui, de toute façon, quoiqu'il fasse, il restera ciblé par ces groupes. Je dirai, qu'au contraire, il s'en sert pour mieux affirmer sa stratégie de réconciliation comme étant l'unique voie qui puisse encore tenir la route, d'autant qu'il est soutenu par toute une série de partis politiques, y compris islamistes. On peut dire que c'est un échec dans les faits, mais dans la réalité les actions terroristes ne l'empêcheront pas de dire que sa stratégie est bonne.