C'est Smaïl Goumeziane, économiste, ancien ministre du Commerce sous le gouvernement Hamrouche qui avait lancé l'avertissement il y a un an à l'occasion des débats d'El Watan : l'inflation algérienne a été absorbée par le prix du logement. Autrement le niveau de prix astronomique de l'immobilier en Algérie a permis de maintenir plus bas l'ensemble des prix des autres biens et services en détournant une partie anormalement grande des revenus disponibles des ménages. Cette observation a été reprise à son compte, au détour d'une analyse du niveau des salaires en Algérie, par Abdellatif Benachenhou, économiste, ancien ministre des Finances et conseiller économique à la Présidence de la république qui intervenait lundi dernier à l'invitation du forum des chefs d'entreprise (FCE). La barrière d'entrée sur le marché de l'immobilier est excessivement haute dans les grandes villes du pays. « Il y a là en priorité quelque chose à faire si l'on veut sortir de la pauvreté salariale dans les années qui viennent », s'alarme même M. Benachenhou. Par extension, le niveau bas des salaires en Algérie ne va pas — selon l'ancien ministre des Finances — être réglé par des augmentations de salaires — découplées de la productivité du travail — mais par une dynamisation de l'offre de biens et de services qui reste trop restreinte en Algérie et en premier lieu donc l'offre de logements. Voilà donc le logement revenu au centre du jeu. « Mais pourquoi donc l'accès au foncier reste-t-il si problématique ? » se sont interrogés de nombreux intervenants. Un autre ancien ministre, M. Belayat, qui a été en charge de l'habitat dans les années 80, s'est interrogé sur les raisons qui ont conduit à l'arrêt de la politique d'accès aux assiettes foncières pour les coopératives immobilières, politique qui a permis aux couches moyennes algériennes d'accéder à la propriété immobilière autour des grandes villes et qui avait boosté le marché locatif dans les centres. Un chercheur du CREAD propose une réponse. Le foncier est avec le commerce extérieur une des deux mamelles de la rente spéculative du courant dominant le système politique algérien. Explication, la bulle de l'immobilier est alimentée par le pouvoir car elle est une des sources d'enrichissement de sa base sociale. L'autre bulle est celle des importations qui ne doivent pas être concurrencées par la production locale, les intérêts liés à l'importation sont plus importants pour ce courant dominant. Pour en revenir aux concepts utilisés dans cette soirée fort instructive, la libération de l'offre de biens et services à laquelle appelle Abdellatif Benachenhou pour multiplier les salaires liés à la production est sous-entendu impossible dans le rapport de force politique actuel. Ce que reconnaît presque à demi-mot le président du FCE Réda Hamiani en affirmant que toutes les réformes économiques engagées par l'Etat, la seule a avoir été conduit à bout — en dehors de l'ajustement macrofinancière — est celle de la libéralisation du commerce. L'Etat n'est pas sociologiquement motivé pour produire à large échelle en Algérie des biens et des services bon marché. Comme le montre sa politique malthusienne de l'accès au foncier. Comme le montre aussi sa politique agricole sur les produits de large consommation — céréales, pomme de terre, laitage. La conclusion que suggère le débat du FCE sur les prix et les salaires est révolutionnaire. Au sens où elle indique que seule une révolution permettra de renverser le rapport de force dans le capitalisme algérien en faveur des producteurs nationaux et au détriment des spéculateurs immobiliers et des distributeurs de produits importés tous azimuts. Dans les expériences des autres pays, les spéculateurs marchands finissent par devenir aussi des producteurs nationaux pour bonne partie d'entre eux. Incitation publique. Remontée de la chaîne de valeur. Cela arrivera un jour aussi en Algérie… En attendant nous ne sortirons pas de la pauvreté salariale.