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« Aucun secteur n'échappe au contrôle de la junte militaire »
Emilie jouaud (Humanitaire en Birmanie)
Publié dans El Watan le 06 - 10 - 2007

Engagée dans l'humanitaire, Emilie Jouaud a travaillé pendant longtemps pour une agence de l'ONU pour l'aide au développement en Birmanie. Dans cet entretien, elle apporte en exclusivité, pour El Watan, des clés de compréhension, afin de mieux comprendre les raisons qui ont poussé le peuple birman à défier la junte militaire.
Paris : De notre bureau
Vous venez de rentrer de la Birmanie. Quelle est la situation sociale et politique du pays ?
Elle est désastreuse. Au-delà de la situation sociale et politique, c'est l'urgence sanitaire qui reste la plus préoccupante. L'épidémie du sida fait des ravages. On dénombre environ 500 000 personnes infestées par des virus, 400 000 du paludisme et 100 000 de la tuberculose. L'armée est très touchée par ces maladies qui se répandent à grande vitesse. Pour ce qui est des domaines sociaux et politiques, la dictature ne s'y intéresse pas. Elle ne connaît pas ces concepts et ne leur accorde que 3% de son budget global ! Les ONG sur place se battent pour se faire accepter et aider la population. Politiquement parlant, nous connaissons dans quelle situation dramatique se trouve le pays. Baignés de croyances animistes et astrologiques, les militaires prennent leur décision au hasard des étoiles ou des numéros. Cette pratique n'a jamais porté ses fruits... A défaut de connaissance et d'ouverture internationale, le pays se replie sur lui-même. Pis, la structure de l'Etat s'est fermée au pays tout entier en s'isolant à Nyapyidaw, la nouvelle capitale. Le peuple se sent largué, bafoué, incompris. Ajouter à cela le manque de liberté et de droits basiques, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Comment les Birmans vivent au milieu d'un système politique militarisé et dictatorial ?
La vie, en apparence très lisse et heureuse, est en réalité un cauchemar. Chaque détail quotidien peut s'avérer douloureux. Le Birman ne découche pas sans prévenir les autorités locales ; il ne se déplace pas d'un département à l'autre sans en informer l'Etat ; il subit la délation ; il ne sort pas du pays à moins de pactiser avec les militaires. La liste de contraintes est longue. Le mot d'ordre en Birmanie est « uniformité ». Si l'on déroge à la règle, on est vite repéré et soumis au regard radical du Birman. Il vous demande alors pourquoi vous ne portez pas l'habit national (le longyi) ou pourquoi vous n'allez pas prier à la pagode ? Cela est très mal vu et les conséquences se font sentir un jour ou l'autre. Au-delà de cela, les exactions à l'égard des ethnies non Bama ou à l'égard des non bouddhistes sont ignobles. L'Etat va jusqu'à piller des villages ou y mettre le feu pour chasser ces gens qui, selon lui, entravent la tradition et la nature birmane. D'un point de vue plus militaire, le facteur qui domine est financier. L'armée paye, elle donne un toit et à manger. Le recrutement de soldats est donc facilité. Mais il démarre dès le plus jeune âge : on dénombre environ 70 000 enfants soldats !
Quel est l'avenir de la junte militaire. Pensez-vous qu'il y aura une implosion du régime de l'intérieur ?
Deux raisons pourraient faire faillir la junte : soit un mouvement externe, une troisième force qui se présenterait comme un contre pouvoir ; soit un mouvement interne, un retournement de l'armée birmane. Dans le premier cas, c'est l'ingérence étrangère caractérisée par une organisation internationale type ONU ou ASEAN qui, par un déploiement des Casques bleus ou d'une force politique, ferait basculer le pays. Mais la seconde hypothèse n'est pas à négliger. De nombreux militaires ne supportent plus la junte au pouvoir et en ont assez des exactions commises à l'encontre de la population. La lassitude au sein de l'armée commence à se faire sentir. Encore une fois, beaucoup de soldats ne s'y trouvent que par un pur intérêt de survie.
Quelle est la situation sociale et politique des moines Bonzes ?
Dans un cycle de vie birman, il y a plusieurs stages d'apprentissage de la religion. Les enfants sont obligés de faire un premier « stage religieux » d'un mois, puis d'une année lorsqu'ils deviennent adolescents. A eux ensuite de choisir la voie de leur vie. Beaucoup deviennent moines par nécessité financière, par survie. Ils ont alors de quoi manger et dormir. De quoi trouver une éducation aussi. En cela, les conditions sociales ne sont pas si mauvaises. Notons, cependant, qu'il peut subsister une grande confusion des genres. N'importe qui au final peut se faire passer pour un moine. Le gouvernement n'est pas dupe et on assiste aujourd'hui à une paranoïa totale. Si cela était moins sûr auparavant, il est certain à présent que la junte a déguisé et placé des agents au sein de certains monastères. Les moines, sous couvert de la religion, se retrouvent plus libres que la population. Ils sont extrêmement respectés et peuvent donc se permettre des écarts politiques. Le peuple place en eux beaucoup d'espoir, et ces derniers connaissent leur mission politique, nous l'avons vu ces derniers jours. En outre, les militaires ne sont pas dupes et n'hésitent pas à les fragiliser.
Que font les organisations humanitaires là-bas ?
Elles tentent de travailler ! Mais depuis août 2005, la situation ne fait que décliner. Cette date a sonné le glas d'un mouvement de recul. Le Fonds global, mécanisme de financement transparent des projets liés au sanitaire, s'est retiré à cause de la situation politique. Ce manque à gagner de 98 millions de dollars a été fatal. Ajoutons à cela, le mauvais vouloir des autorités pour délivrer des autorisations de déplacements dans le pays ou des visas pour faire rentrer les équipes médicales internationales dans le pays. Les ONG se retrouvent à tourner en rond, et, finalement, à quitter le pays (parmi lesquelles Médecins du monde, Médecins sans frontières et même le CICR a été fortement vulnérabilisé !).
Existe-t-il des partis démocrates ? Si oui, que font-ils sur place ?
La LND, le principal mouvement d'opposition, a encore un bureau à Rangoon, mais vous imaginez de quelle manière il est contrôlé par la junte. L'activité n'est pas très grande. Les partis démocratiques travaillent en dehors du pays, principalement en Thaïlande. Tandis que la Democratic Voice of Burma émet depuis la Norvège !
Pouvez-vous nous parler des ravages causés par la famine ?
Il y a quelques mois, la famine n'existait presque pas en Birmanie, sauf dans quelques coins très reculés du pays. C'est surtout la malnutrition qui touche principalement la population et surtout, les enfants. Plusieurs millions en souffrent aujourd'hui, et c'est bien la raison pour laquelle le peuple s'est insurgé : on commence à ne plus trouver les moyens de se nourrir. La hausse générale des prix a eu des conséquences dramatiques sur l'alimentation. Le prix du riz, denrée de base, a flambé d'un coup. La Birmanie fait face, pour la première fois, à la famine dans un pays de grande récolte ! Le constat est déchirant : toutes les richesses, et mêmes alimentaires, ne sont pas distribuées au sein du pays avant d'être exportées. Ainsi, les trois quarts des cultures partent à l'extérieur du pays, avant même qu'il nourrisse ses enfants.
Quel est le rôle de la Russie et de la Chine dans le maintien du régime militaire birman ?
Tendancieux. La Chine et la Russie ont besoin de la Birmanie au même titre que la Birmanie a besoin de ces deux puissances. Les grandes ressources minières, en gaz naturel, en pierres précieuses du Myanmar attirent ces grandes puissances. Or, l'économie régit la politique. Les deux pays n'ont aucun état d'âme, aucun scrupule à fermer les yeux devant la situation des droits de l'homme en Birmanie. Peut-on pour autant parler de rôle politique ? Un rôle militaire et économique certes avec des tractations permettant à la junte de s'approvisionner en armes et en nucléaire. Et puis, l'opportunité pour la junte de blanchir l'argent de la drogue et de toute autre sorte de trafic. En cela oui. nous pouvons dire que les deux puissances jouent un rôle non négligeable dans le maintien du régime militaire birman.


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