Nous constatons encore une fois que le mois béni du jeûne de Ramadhan qui se veut par essence le mois du pardon et de la miséricorde est profané par ceux qui n'ont aucune limite éthique à leurs exactions. Ceux-là mêmes qui, lors de la décennie noire, se sont accommodés de la barbarie, érigée en mode d'action et de pression. Ils continuent à adresser au monde entier, à commencer par le peuple algérien, leur hostilité sans rémission ni compromis. Rien n'y fait. On bute toujours sur ce refus existentiel, sans possibilité aucune de dialogue ni de pourparlers. Tout le monde est exécré. Tout le monde sera châtié. Dussent-ils pour cela sacrifier des adolescents dans des attentats suicide, avec un mépris total pour la vie que Dieu a rendu sacrée. Toute main tendue est coupée. Tout geste de clémence est pris pour de la faiblesse. Aussi les lois portant concorde nationale ont-elles, en l'occurrence, montré leurs limites. Quand bien même émaneraient-elles de bonnes intentions afin de solder la « tragédie nationale » et de guérir de la meurtrissure générale, elles n'ont malheureusement aucun effet rédempteur sur les hordes criminelles. Dans une situation très critique, le peuple algérien avait à choisir entre la paix et la justice et il découvre avec amertume et affliction que, pour le moment, il ne peut jouir ni de l'une ni de l'autre. Pourtant c'est avec confiance et résolution que le peuple s'est prononcé par référendum sur le pardon et la réconciliation – à supposer, d'ailleurs, qu'une telle démarche puisse relever, constitutionnellement parlant, de procédures référendaires. En effet, il n'est pas sûr qu'il faille soumettre, par votation, à l'appréciation de la majorité les sentiments personnels et les perceptions individuelles de chaque citoyen, notamment en matière d'indulgence et de mansuétude… Toujours est-il que c'est avec une grande générosité qui leur est caractéristique que les Algériens ont accordé leur pardon, espérant avec cette magnanimité qui leur est coûteuse ouvrir une nouvelle ère de construction et de prospérité pour tous. Parce qu'il est évident qu'il faut tourner son regard vers l'avenir et aller de l'avant avec courage et détermination. Mais le pardon n'aura de vertu thérapeutique de guérison et de soulagement qu'une fois le droit aura été dit et la justice rendue. Et nous avons à craindre que devant la surdité autiste affichée par les criminels impunis, le trauma soit transmis aux générations futures. Ainsi risque-t-il de resurgir d'autant plus fort qu'il n'y a pas eu d'effet cathartique produit par les sentences de la Justice. Le tourbillon pourrait être beaucoup plus violent avec ce franchissement symbolique dans l'horreur où la barrière psychologique de l'attentat suicide est allégrement sautée et malheureusement avalisée par le recrutement de candidats de plus en plus jeunes. La lutte contre le terrorisme se fait avant tout par des moyens militaires certes, mais elle doit être accompagnée aussi d'un véritable travail de consolidation des assises démocratiques avec une culture de l'Etat moderne, le tout assorti à un effort de déconstruction intellectuelle de l'idéologie nihiliste. Le terrorisme veut détruire par le chaos et un travail de sape les fondements de la République. Celle-ci résistera à la désorganisation recherchée, en renforçant ses institutions et surtout en affirmant l'Etat de droit. Elle gagnera beaucoup à ériger en vertu un système transparent où la puissance publique consacre les libertés fondamentales tout en étant elle-même soumise aux lois. Les maîtres mots que nous scandons jusqu'au ressassement sont : démocratie, autonomie du religieux par rapport au politique, répartition équitable des richesses, acquisition du savoir, lutte contre la corruption, ouverture sur le monde. Entre temps, rappelons-le, une riposte théologique à l'échelle du monde islamique est une nécessité vitale. Ce besoin impérieux qui tarde à venir a pour objet de dénier aux terroristes, mis à l'opprobre et au ban de l'humanité, toute légitimité à parler valablement de la Révélation. Alors les jeunes musulmans iront s'instruire au lieu de se donner la mort pour un hypothétique paradis miroité par les commanditaires sanguinaires. Par l'éducation et par la science, ils raffermissent leur volonté et épanouissent leur conscience, au lieu de présenter une telle fragilité d'esprit qui fauche leur vie. Une vie écourtée par les semeurs de haine et de désastre. ------------------------------------------------------------------------ (*) Président de la Conférence mondiale des religions pour la paix