Deux mois après son retour d'exil, l'ancienne Premier ministre pakistanaise, Benazir Bhutto, a trouvé la mort dans un attentat terroriste perpétré avant-hier jeudi à Rawalpindi où elle venait d'animer un meeting électoral. Benazir Bhutto s'était pleinement engagée dans la campagne pour les législatives de janvier prochain bien que se sachant en danger. Elle avait miraculeusement échappé à une tentative d'assassinat le 18 octobre dernier alors qu'elle venait tout juste de rentrer au pays. Son retour au Pakistan avait été encouragé, pour ne pas dire suscité, par le président Bush qui misait sur un ticket Musharraf-Bhutto pour diriger le Pakistan. Une alliance hypothétique, pour ne pas dire contre-nature, tant les deux personnalités étaient dans l'incapacité de s'accorder. Musharraf avait cédé aux pressions de son allié américain sans pour autant accepter de partager le pouvoir avec Benazir Bhutto. Celle-ci n'était certainement pas dupe des sentiments de Musharraf à son égard ni des limites américaines au Pakistan où il n'y a pas de garantie absolue. La preuve en est que le supposé accord sous auspices américains a tourné court puisque Benazir Bhutto a été placée en résidence surveillée aussitôt après son retour au Pakistan qui avait coïncidé avec une radicalisation de l'opposition à Musharraf et l'instauration par ce dernier de l'état d'urgence pour pouvoir contrôler une situation susceptible de lui échapper, même au prix de fortes concessions. Pervez Musharraf avait en effet accepté de troquer son uniforme de général pour le costume civil d'un président réélu. C'est dans ce contexte de bras de fer implacable que Benazir Bhutto est revenue dans son pays pour incarner le symbole du changement démocratique en sachant que pour cela le prix serait lourd à payer. C'est celui de sa propre vie qu'elle savait menacée de toutes parts face à la conjonction d'hostilités et de haines venant tant du régime que des divers réseaux de l'extrémisme islamiste pakistanais que d'autres partis de l'opposition peu désireux de voir cette personnalité s'affirmer sur la scène politique. Il fallait du courage, un tempérament trempé dans l'acier, pour faire ce qu'a fait Benazir Bhutto qui aurait pu reprendre l'avion qui l'avait amenée au Pakistan en jugeant, après l'attentat de Karachi, en octobre dernier, que le jeu n'en valait pas la chandelle. La tragédie de Rawalpindi révèle non seulement aux Pakistanais, mais au monde entier, une femme d'exception, une patriote qui redonne au combat politique son juste sens et sa noblesse. Benazir Bhutto s'est en fait sacrifiée pour son pays et pour son peuple, transcendant sa vie par sa mort qui l'élève au rang de martyre. Sa mort accable aujourd'hui la cohorte des assassins et des intolérants qui préméditent l'implosion de ce Pakistan dont nul ne peut plus douter aujourd'hui qu'il avait plus de valeur, à ses yeux, que sa propre existence. Face à un tel exemple, ceux qui ont planifié son assassinat ne pourront jamais avoir la conscience tranquille si tant est qu'ils en aient une. Benazir Bhutto leur survivra comme l'icone d'un idéal que la plus extrême violence n'a pas brisé.