On a la fâcheuse habitude de dire que lorsque les cadres passent de l'autre côté de la barrière, ils ne mettent pas de gants, ne sont plus tenus par l'obligation de réserve et par conséquent tombent à bras raccourcis sur la démarche qui touche le secteur où ils ont eu à exercer pendant des années. Nullement est donc notre intention dans cet écrit qui se veut une contribution à la veille de la tenue des Assises nationales sur le tourisme prévues en fin d'année. Les esprits mal intentionnés n'atténueront pas de notre volonté de poursuivre la réflexion et de participer aux débats qui touchent le tourisme. « Le tourisme est désormais une priorité nationale et pour ce faire, des potentialités énormes ont été recensées et des forces existent pour sa mise en œuvre », avait dit, M. Rahmani, ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire et du Tourisme, à Oran le 20 octobre 2007 lors de son allocution d'ouverture des travaux des assises régionales, préparatoires aux Assises nationales. Nous rejoignons son point de vue sur l'idée des potentialités touristiques que recèle le pays et des forces qui existent, mais pas sur celle qui lui fait dire que le secteur est une priorité nationale, comme nous allons essayer de l'étayer dans ce point de vue. Si, effectivement beaucoup de nations ont accordé une place de première importance au tourisme, leur permettant un décollage économique et une ouverture sur le monde, l'Algérie reste l'un des rares pays à tourner le dos au tourisme pour ne pas dire à cracher sur un secteur créateur de richesses et d'emplois. La récente mesure relative à la suppression du portefeuille ministériel et son intégration à l'environnement et à l'aménagement du territoire constitue un premier élément révélateur du peu ou du manque d'intérêt qu'accordent les pouvoirs publics à cette activité. Et vogue la galère. En fait, ce n'est pas la première du genre dans la mesure où nous avons assisté dans le milieu des années 1980 à la même décision avec la seule différence que le tourisme a été absorbé par la culture avant de disparaître totalement de la liste des secteurs « ministrables », en se contentant de lui donner un strapontin par le truchement d'un office chargé de définir et d'exécuter la politique de ce secteur. D'ASSISES EN ASSISES Le deuxième élément réside dans l'allocation budgétaire allouée annuellement à ce secteur qui, au cours de son éphémère existence, nous renseignait sur la véritable place qu'occupe le secteur. En fait, il a été de tout temps rangé aux dernières loges, loin derrière des secteurs aussi improductifs que budgétivores, à l'image de celui des moudjahidine. Pour coller àl'actualité et ne pas revenir loin dans le passé, contentons-nous de voir de près le budget de fonctionnement pour l'année 2008. Ainsi, le budget alloué à l'aménagement du territoire, environnement et tourisme, des « trois en un » (trois secteurs avec à leur tête un seul ministre) est de l'ordre de 4 417 783 000 DA, alors que celui de Chérif Abbas a atteint les 133 243 225 000 DA. Comparativement donc, ces « trois secteurs » aussi importants n'ont reçu finalement que des vétilles par rapport à l'immense chantier dans ces secteurs et à l'ambitieux programme de leur ministre ! L'autre élément réside dans la promptitude avec laquelle sont remerciés ou appelés à d'autres fonctions ceux qui sont désignés pour prendre en charge la destinée de ce secteur. De 1992-1993, date d'accession du tourisme au rang de ministère à part entière, à nos jours, c'est-à-dire en l'espace de 15 ans, pas moins de 9 ministres se sont succédé à la tête de ce département. En moyenne, le secteur change de patron tous les 20 mois. Si certains ont pu franchir cette moyenne, il y en a d'autres qui n'ont même pas dépassé le tiers. Une durée qui s'avérerait parfois insuffisante pour connaître le secteur pour ceux d'entre eux qui sont venus d'autres horizons. Que dire alors quant il est question d'élaborer une stratégie de développement de l'activité et de sa mise en œuvre. Mais cela n'a pas empêché pour autant les uns d'aller dans la prospective et les autres dans la futurologie. Rien de mal à cela, quand il s'agit de délais raisonnables et d'actions maîtrisables dans le temps et dans l'espace. Une stratégie de développement du tourisme, une vision, voire une feuille de route pour les dix prochaines années a été adoptée en Conseil des ministres peu avant que le tourisme, cet éternel réfugié, n'échoue sur les rivages de l'environnement et de l'aménagement du territoire. Cette stratégie a fait l'objet d'une forte campagne médiatique, notamment dans les différents forums et émissions. Et voilà que l'on parle d'une stratégie qui s'étale à 2025, sans que l'on sache de ce qu'est advenu de la toute dernière, à savoir celle de 2015, entérinée par le même gouvernement à quelques éléments près. A titre d'exemple, pour relancer son tourisme, l'Espagne avait adopté un plan cadre de développement, désigné sous le nom « Plan Futures » qui s'étalait sur deux périodes, l'une allant de 1992 à 1995, l'autre de 1996 à 1999. Après cette période, un autre programme définissant la politique touristique a été élaboré allant de 2000 à 2006. De plus, ce programme a été appuyé par un budget conséquent sans compter le soutien des fonds européens. Donc des délais assez courts, des ressources financières conséquentes et au bout des résultats probants propulsant l'Espagne parmi les quatre premières destinations mondiales. Mais, c'est la vision du nouveau patron du secteur à qui nous souhaitons longue vie.., au gouvernement pour mettre en œuvre sa politique et pour qu'il assiste en 2025 aux fruits de ses efforts. Il y a certes des futurs possibles, mais par expérience et connaissant les turbulences d'un secteur mal aimé, ressemblant dans la nomenclature gouvernementale à cette rubrique « des chiens écrasés », comme on a l'habitude de dire dans le jargon journalistique, cette nouvelle vision, par pessimisme ou par dépit de n'avoir pas vu ce secteur décoller, est synonyme de fiction. Combien de ministres auraient pris entre-temps les destinées de ce secteur et ou sur quels rivages aurait trouvé refuge le tourisme, si par bonheur il ne serait pas emporté par les vagues d'une « houle » humaine. Vont-ils poursuivre la démarche ou vont-ils se démarquer pour imprimer leur propre passage ? Il est tout à fait certain que cette culture de la continuité chez nous est une denrée très rare pour ne pas dire inexistante. Ne sommes nous pas adeptes de la formule : on ferme le dossier et on repart à zéro. La preuve : les assises nationales sur le tourisme que compte organiser la tutelle du secteur touristique en Décembre prochain semble s'inscrire en droite ligne dans cette optique. Car faut-il rappeler des Assises nationales ont été tenues il y a 10 ans. Le contenu de ces journées et les recommandations ont été consignés dans un document imprimé et transmis à la Présidence, à la chefferie du gouvernement, à tous les ministères, wilayas, daïras et communes. Faut-il être grand clerc pour deviner du sort de ce document ? Si au moins, on avait pris soin de mettre en œuvre lesdites recommandations pour se permettre de dire que la nécessité et le besoin se font sentir aujourd'hui pour passer à une autre étape, qualitative, dirions-nous. En fait on « remake » avec le risque d'arriver au même résultat, chose que personne ne souhaite. Le professeur Guidoum avait dit un jour : commençons d'abord par apprendre à utiliser l'eau de Javel et la serpillière avant d'aller vers des choses complexes et parfois non maîtrisables. Pour le tourisme, ne faudrait-il pas opter pour des choses très simples mais qui sont aux yeux des touristes étrangers et nationaux très importantes au lieu de se perdre en conjectures et dans des visions futuristes difficilement réalisables. Nettoyer les écuries d'Augias ou assainir le parc hôtelier : le pays dispose d'un parc hôtelier considéré comme insuffisant comparativement à nos voisins qui possèdent plus du double de nos capacités. Dans la mesure où nous avons perdu beaucoup de terrain sur ce plan, pourquoi ne pas opter pour le minimum mais tout en assurant la qualité en se débarrassant de tout ceux qui n'ont d'hôtels que le nom. La Loi sur l'hôtellerie et ses textes d'application ont donné des délais pour se conformer aux nouvelles normes qui ont été largement dépassées. Notre paternalisme devant des situations de fermeture d'établissements, mettant parfois en chômage des pères de famille, a freiné cette volonté de prendre de pareilles décisions, mais a contrario, a encouragé la poursuite du pourrissement de la situation, à tel point que l'hôtellerie algérienne est éclaboussée et discréditée dans son ensemble. Dans de pareils cas, ou il faut changer la réglementation pour permettre au tout venant de faire ce métier ou l'appliquer dans toute sa rigueur car plus nous perdons du temps, plus les autres pays prennent des longueurs d'avance. Si l'hôtelier a la ferme intention de mettre à niveau son infrastructure, il n'a qu'à présenter son dossier aux organismes financiers et bancaires qui accordent, avec beaucoup de difficultés certes des crédits, si le dossier du postulant est solide et renferme des garanties. A défaut, les récalcitrants doivent trouver une activité ailleurs que dans ce secteur. ET NOS MILIEUX DIPLOMATIQUES ? La taxe des prestations est extrêmement élevée et rend cette dernière onéreuse et contente rarement le consommateur à tel point que nos compatriotes choisissent d'autres cieux plus cléments et que les étrangers boudent la destination Algérie. Notre produit, bien qu'attractif, devient dissuasif par sa cherté, et devient inaccessible si on lui rajoute le billet d'avion. Les expériences de pays qui nous ont précédés dans ce domaine ont connu un essor certain, à l'image de l'Irlande, après avoir pris la courageuse décision d'opter pour une baisse conséquente de cet impôt. Le visa d'entrée constitue un autre handicap, même pour le climat des affaires dans notre pays. L'ambassadeur des USA à Alger n'a pas manqué de faire part des lenteurs et de la bureaucratie pour l'obtention dudit document par les hommes d'affaires et investisseurs de son pays pour se rendre dans le nôtre. Alors, que dire des opérateurs touristiques qui rencontrent moult difficultés auprès de nos ambassades et consulats. Parfois, à cause du visa, toute une année de préparation part en fumée. Beaucoup de pays touristiques ont supprimé le visa. Mais à défaut de prendre une telle décision, que nos missions diplomatiques et consulaires soient au moins imbues de cette culture touristique pour réduire les délais de son obtention. Privatisation et investissement : S'il y a bien un secteur par essence libéral, c'est bien celui du tourisme. Nous restons l'un des seuls pays où l'Etat continue à gèrer des hôtels. Cuba, l'un des derniers bastions du communisme s'est débarrassé de leur gestion. Pourtant, l'Etat clame haut et fort qu'il a de nouvelles missions consistant en la régulation, le contrôle etc., mais ne lâche pas sa mainmise sur cette infrastructure. Est-ce faute d'acquéreurs ? Est-ce les prix de leur cession qui posent problèmes ? Certainement ni l'un ni l'autre. L'heure de la volonté politique n'a pas tout simplement sonné. Pour ce qui est de l'investissement dans ce secteur d'activité, il est admis qu'il est lourd et coûteux. Tous les scénarios imaginés et parfois même mis en place pour le booster sont restés vains. La convention signée entre le Crédit populaire algérien et l'ex-ministère du Tourisme n'a pas totalement aplani toutes les pesanteurs et le fameux Crédit hôtelier existant dans nombre de pays n'est pas près de voir le jour. Toutes les recommandations faites à ce jour durant plus d'une décennie lors des séminaires, journées d'étude ou forums n'ont pas omis de le mettre en exergue mais sans résultat. Le financement constitue donc ce talon d'Achille sans lequel le tourisme ne décollera pas. N'a-t-on pas recensé plus de 170 zones d'expansion touristiques que la réglementation préserve depuis près de 20 ans ? Ni exploitées par le secteur, même par un autre. De plus, à ce jour, on ignore pour beaucoup d'entre-elles, leur nature juridique. Ce qui fait que nous nous trouvons devant un véritable dilemme. Des terrains qui par décret reviennent au tourisme mais sur le plan de la jouissance immédiate, il faudra repasser. L'on parle aujourd'hui que des pôles d'excellence ont été retenus dans certains de ces terrains. N'est-il pas grand temps que l'Etat dégage les ressources financières pour les aménager et les viabiliser (route, électricité, aep...) de telle sorte à ce que l'investisseur trouve toutes les commodités et lui évitera de faire le parcours du combattant. Un parcours qui a fini par décourager plus d'un qui ont choisi de mettre leur argent ailleurs. Il est à se demander pourquoi des ressources sont dégagées ailleurs, parfois à perte, mais pas dans ce cadre. Les pays dits touristiques, particulièrement nos voisins, ne vivant pas la même aisance financière du fait des exportations des hydrocarbures, ne lésinent pas pour autant sur les moyens à mettre au profit du tourisme qui constitue pour eux l'essentiel de leurs recettes d'exportation. Ne faut-il pas se dire pourquoi le tourisme est —il à ce point maudit ou mal aimé par nos décideur ? UN JOUR PEUT-ÊTRE Transversalité : Beaucoup d'activités constituant le cordon ombilical du secteur dépendent d'autres hiérarchies (transport aérien, visa, gestion aéroportuaire, infrastructures de base. La synergie intersectorielle doit aller au-delà de la signature protocolaire de convention et des shows médiatiques pour arriver à lever réellement les obstacles inhérents à chaque secteur transversal au tourisme et qui freinent le développement des activités touristiques et para touristiques. Est-il pensable que des activités para touristiques, à l'image des cafés et restaurants, ne soient pas encore normalisées et qu'il suffit à n'importe quel quidam l'acquisition d'un registre de commerce pour prétendre exercer ce métier. L'absence d'un cahier de charges, de contrôle et de mesures cœrcitives a poussé à la clochardisation et ces établissements qui sont devenus répulsifs du fait de manque d'hygiène et d'une prestation se situant aux antipodes de ces nobles métiers. Il reste beaucoup à dire, la parenthèse touristique est toujours ouverte et nous espérons revenir sur d'autres thèmes liés à cette activité. Enfin, disons tout de go que nous étions dans ce secteur assumant le parcours effectué, bon an, mal an, mais contribuant avec engouement et par conviction à débroussailler le terrain car nous considérons que le tourisme est capable de constituer une alternative aux énergies non renouvelables que sont le pétrole et le gaz. Et les chiffres que publie l'Organisation mondiale du tourisme sur les performances du secteur à travers le monde nous permettent également d'espérer qu'un jour, notre pays deviendra une destination touristique mais avec la bénédiction d'une volonté politique clairement affichée par le premier magistrat du pays de faire du tourisme un des secteurs réellement prioritaires. L'auteur est : Cadre à la retraite