La Banque mondiale vient de rendre public un rapport sur la revue des dépenses publiques de l'Algérie, après que le gouvernement en a fait lecture. Le rapport note d'emblée que l'Algérie est « à la croisée des chemins ». L'embellie financière dont dispose le pays est-elle mise à profit pour sortir la société de l'immense besoin de remonter la pente qui n'a été que trop raide durant les années 1990 ? Il s'agit en effet pour le pays de savoir si l'heureuse conjoncture internationale marquée par la hausse des prix de pétrole offre à l'Algérie peut-être une occasion unique sinon rêvée de « réaliser des investissements longtemps attendus dans les équipements sociaux et les infrastructures de base ». Mais la Banque mondiale ne tarde pas à planter le décor. Selon elle, « le PCSC (programme complémentaire de soutien à la croissance, ndlr) est un vaste programme d'investissement public qui ne va pas sans de nombreux inconvénients ». Citant la commission interministérielle pour l'amélioration de la gestion des finances publiques, la BM rappelle à titre introductif du rapport : « Un diagnostic officiel effectué pour vingt-sept projets en 2003 a révélé qu'en moyenne chaque projet devait faire l'objet de six réévaluations, subissait des retards équivalents à six ans et cinq mois et est réalisé sur une période de dix ans et deux mois. » Mais encore, la BM met le doigt sur certaines difficultés. « Un programme d'investissement d'une telle envergure pose d'énormes défis. Tout d'abord, il soulève de sérieuses interrogations concernant la viabilité à long terme des tendances budgétaires actuelles et sur la qualité des dépenses. Plus précisément, il engendre des difficultés à différents niveaux : comment concevoir des stratégies sectorielles adaptées ; comment programmer les évolutions futures des dépenses d'investissement par rapport aux dépenses ordinaires ; comment assurer une gestion adéquate des projets et une bonne exécution du budget et, notamment, comment assurer le suivi et l'évaluation ; et comment améliorer l'efficacité et le rapport coût/avantage des projets d'une manière générale. » Autrement dit, le programme d'investissement public réussira-t-il à pérenniser la croissance et à promouvoir un développement plus accéléré, ou aboutira-t-il tout simplement à créer des occasions de gaspillage et de corruption ? Autant de questions qui agitent aujourd'hui encore les milieux politiques locaux et les observateurs de la scène nationale. La présente revue des dépenses publiques (RDP), note-t-on, est un exercice visant à aider le gouvernement à réaliser l'objectif d'institutionnaliser « un régime d'exécution de dépenses publiques de qualité à même de générer des retombées au plan social dans un avenir lointain ».« Le bon sens autorise fortement à penser que les autorités nationales doivent adopter une position plus réaliste dans l'affectation des ressources budgétaires. Si possible, l'approbation de crédits de paiement à partir de 2007 doit être précédée d'une évaluation à mi-parcours de l'état d'avancement dans le souci d'évaluer les progrès accomplis en 2005 et 2006. » Mais l'aspect le plus frappant de la présentation du PCSC est « peut-être son manque total d'objectifs explicites ». A la différence du PSRE (plan triennal de soutien à la relance économique, ndlr), « le document original décrivant le PCSC est simplement une liste des projets prévus regroupés par "programmes", accompagnés d'affectations budgétaires spécifiques. Une présentation désagrégée élaborée par les autorités plus tard modifie les montants initiaux. Elle regroupe les programmes et introduit plusieurs critères physiques. Néanmoins, aucun objectif explicite n'est introduit. » De graves carences En outre, il y est relevé la qualité « extrêmement faible » des projets et de « graves carences » institutionnelles expliquant « la mauvaise exécution » des projets. A l'exemple des projets dans le secteur de l'éducation, on note l'absence d'orientation stratégique qui entraîne de mauvaises affectations des ressources et des déficits dans les ressources programmées. « D'une part, le PCSC préconise d'agrandir les bâtiments scolaires affectés à l'enseignement secondaire, cependant le taux d'utilisation – de seulement 35% – témoigne d'une sous-utilisation importante des capacités existantes. D'autre part, un contingent supplémentaire de 30 000 enseignants titulaires de doctorats sera nécessaire pour doubler le taux de scolarisation dans l'enseignement tertiaire, comme l'indique de manière implicite le programme de construction du PCSC, et si le ratio élève/enseignant actuel est maintenu. » En réalité, a-t-on conclu, il faut de nombreuses années pour produire des enseignants universitaires hautement qualifiés. Le secteur de la santé illustre les conséquences de l'exécution des projets en l'absence de toute « considération de coût ». Dans le secteur des transports, pendant la période 2000-2004, les réévaluations de coûts représentaient en moyenne 15% des crédits de paiement initiaux et atteignaient 30% dans plusieurs projets. Les investissements déconcentrés reproduisent et amplifient les épineuses difficultés d'exécution rencontrées au niveau central. Là aussi, le rapport cite un article d'El Watan du 27 mars 2006 dressant un état consternant « des difficultés parallèles » qui seraient rencontrées dans 7 des 23 wilayas recevant des fonds du PSRE dans la région Sud en 2002 et en 2003. Le montant précis du PCSC est vague Afin de dégager les priorités intersectorielles mentionnées implicitement dans le PCSC pour 2005-2007, la BM a cru utile de les comparer avec celles énoncées dans le PSRE. « Entre le portefeuille initial de projets du PCSC et celui du PSRE, le ratio de ressources autorisées est plus de 7 fois supérieur et ce ratio continue d'augmenter avec les tout derniers suppléments budgétaires. » En réalité, le rapport mentionne même que l'évaluation exacte du montant du programme PCSC est difficile à déterminer tant il est sans cesse réévalué. Avec l'incorporation du précédent portefeuille de programmes, des budgets supplémentaires et l'adjonction de nouveaux programmes pour les régions du Sud et des Hauts-Plateaux, l'enveloppe initiale affectée au PCSC qui s'élevait à 4203 milliards DA (soit environ 55 milliards de dollars) a plus que doublé, passant à pas moins de 8705 milliards (environ 114 milliards de dollars). Le montant « total précis » du programme d'investissement du PCSC est « quelque peu vague ». « Cela s'explique, a-t-on ajouté, par la modification continuelle de la combinaison entre les ressources initialement affectées au PCSC (4203 milliards DA) et ses suppléments de financement approuvés (1191 milliards DA) ; les ressources complémentaires transférées à titre de dotations aux comptes spéciaux du Trésor (1140 milliards DA) ; le reliquat de ressources du précédent programme d'investissement (1071 milliards DA) ; le programme pour le développement de la région Sud (432 milliards DA) et le programme spécial pour le développement de la région des Hauts-Plateaux (668 milliards DA). » Le rapport avertit qu'en « s'empressant de financer de vastes programmes d'investissement public mal conçus (FMI/Banque mondiale 2006), les pays comme l'Algérie peuvent à l'avenir susciter des pressions en vue du maintien des niveaux de dépenses actuels ».