Le Sahel, terre de contact entre le monde africain et le monde musulman, est frappé depuis plusieurs mois par un vent d'instabilité. Le nord du Niger, le nord du Mali, l'est du Tchad, l'ouest du Soudan et le sud du Nigeria sont traversés par un activisme armé. La visite à Alger du président malien Amadou Toumani Touré intervient dans un contexte sécuritaire difficile dans le grand Sahara. L'étrange attaque de l'aéroport de Djanet, il y a deux semaines, est venue relancer la question de la présence de groupes armés à buts imprécis. Officiellement, Alger n'a accusé aucune partie extérieure d'avoir commandité et exécuté cette attaque-alerte mais il semble qu'il existe des problèmes aux frontières avec la Libye et le Niger. Djanet, situé au cœur du Tassili n'Ajjer, le plus grand musée à ciel ouvert au monde, n'est pas loin des deux frontières. Alger et Niamey ont créé, il y a deux ans, une commission bilatérale transfrontalière pour coordonner la coopération en matière de lutte contre le trafic d'armes, l'émigration clandestine, la contrebande... mais cette commission paraît évoluer à son propre rythme. C'est que la frontière est longue et poreuse. Les moyens du Niger sont limités par rapport à ceux de l'Algérie. Le nord du Niger est aux prises, depuis quelques mois, à ce qui ressemble à une rébellion alimentée par un inconnu groupe appelé Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ) qui se veut porteur de revendications touareg. Cette même région du nord est riche en uranium, ressource largement exploitée par le géant français Areva depuis 40 ans. Ce n'est que récemment que le Niger a pu être « autorisé » par Areva à vendre directement l'équivalent de 300 t d'uranium à l'américain Excellon. Le Niger, qui est le troisième producteur au monde d'uranium après l'Australie et le Canada, s'est déclaré prêt à « marquer sa présence sur le marché international », comme l'a déclaré Mohamed Abdoulahi, ministre des Mines, repris par l'Agence de presse africaine (APA). Le président Mamadou Tandja a annoncé l'intention de son pays de diversifier ses partenaires et « comme tout Etat souverain, d'exercer son droit légitime à disposer de ses propres ressources ». Ainsi, une entreprise chinoise, Somina, a eu un permis d'exploitation de l'uranium dans la région d'Azelik avec un objectif d'atteindre 700 t en 2009. A Arlit, la société indienne Taurian a, elle aussi, réussi à avoir un permis d'exploitation. Ce changement de cap stratégique de Niamey a coïncidé — curieusement — avec cette sortie inattendue du MNJ qui a estimé que les permis accordés par le gouvernement central du Niger ne sont pas valables « du moment que les populations touareg n'y sont pas associées ». Niamey a accusé Areva d'alimenter cette rébellion et a menacé de lui retirer tous les marchés. Si elle paraît réglée, la crise est toujours là. Pays voisin, le Mali connaît aussi des troubles au nord du pays. Plusieurs opérations ont été menées ces dernières semaines par des touareg armés. Alger a contribué à l'élaboration d'accords de paix comme celui de Tamanrasset en 2003 avec le mouvement Azawad et celui de 2006 avec la rébellion touareg. L'accord d'Alger porte sur le développement des régions de Gao, Tombouctou et Kidal. Mais la reprise subite des activités armées peut remettre en cause cet accord. D'où la présence d'Amadou Toumani Touré à Alger, après une visite en France et au terme de la réunion du comité frontalier bilatéral (qui ne s'est pas réuni depuis trois ans). Le travail butte presque sur les mêmes difficultés que celle du comité du Niger. D'où la nécessité d'élargir la coordination aux pays riverains. Bientôt, les pays du Sahel et de l'Afrique du Nord vont se retrouver à Bamako pour s'entendre sur plusieurs actions visant « une sécurisation » des frontières et la lutte contre la criminalité transnationale. Surtout que les frontières avec le Mali sont devenues, aux dires de plusieurs experts, lieu de transit d'armes légères, de diamants, d'explosifs et de drogues dures. Récemment, John Negroponte, secrétaire d'Etat adjoint américain, a effectué une visite à Bamako et a été le premier à annoncer la venue du président malien en Algérie. Il a annoncé l'intention de Washington de vouloir travailler avec les deux pays pour « sécuriser » les frontières et a parlé d'exercices militaires conjoints. En 2005, plusieurs pays de la région, comme le Niger, la Mauritanie, l'Algérie et le Mali, avaient participé à des manœuvres communes baptisées « Flintlock ». Des manœuvres qui s'étaient poursuivies sous forme plus légère. Au siège de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), on s'inquiète de plus en plus du caractère ouvert des frontières sud de l'Algérie, de la Libye et de la Mauritanie. Le trafic d'armes est la source principale de cette inquiétude. On explique que si les rebelles de l'est du Tchad, du Darfour soudanais ou même du Delta du Niger au Nigeria arrivent à avoir facilement des armes, c'est bien à cause de la non-maîtrise des bandes frontalières. A Washington, l'idée d'installer des unités légères affiliées à l'Africom dans le Sahel ou dans les zones voisines est toujours d'actualité. Des pays comme le Ghana ou l'Ethiopie sont déjà cités. Le Nigeria, le plus grand pays pétrolier du continent, a déjà marqué son refus d'accueillir sur son territoire une unité de l'Africom. Tripoli, de son côté, continue de croire au projet de « fédérer » les pays (au lieu des tribus) de la région autour de plusieurs plans stratégiques dont la teneur demeure peu claire. La Libye joue déjà un rôle de médiateur dans les crises du Tchad et du Soudan avec des résultats mitigés. Sa diplomatie souterraine au Niger et au Mali est mal perçue à Alger et à Tunis. Tripoli, qui s'est rapproché ces dernières semaines de Paris, souhaite acquérir la dernière technologie nucléaire civile française. Une technologie en quête de marchés extérieurs. Areva vient de décrocher un gros contrat de construction de deux réacteurs atomiques en Chine d'un montant de 6 milliards d'euros, payables en... euros.