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Sans-papiers, avec dignité
Publié dans El Watan le 03 - 12 - 2007

Naïma ne prend pas trop de risques. La liste est impressionnante : ne pas prendre les transports à certaines heures, éviter certaines stations de métro, ne jamais conduire de voiture, même pour la déplacer de quelques mètres, ne jamais parler de sa situation administrative par peur de délation, ne pas aller chez n'importe quel médecin, éviter les associations, pas de chèques, etc.
Naïma est traumatisée. Arrivée avec son mari en France en 1998, elle a épuisé tous les recours. Sa situation avait tourné au cauchemar en 2005. Son mari a été expulsé suite à un banal contrôle d'identité à la gare du Nord. « Nous vivions dans une fausse apparence de normalité. Mon mari travaillait dans le bâtiment, il était doué de ses mains. Moi, je gardais des enfants dans la journée et des personnes âgées le soir. Au fil du temps, nous avions oublié les tracas administratifs. Nous consommions et vivions comme tout le monde, ou presque. Puis, la catastrophe est arrivée. En moins de deux semaines, mon mari s'est retrouvé à l'aéroport d'Alger. » Comme un malheur arrive souvent accompagné de sa tribu, Naïma a accouché son premier enfant le surlendemain de l'expulsion de son mari. Son enfant, Mounir, est né à 7 mois. Aujourd'hui, il déambule d'un pas décidé dans le petit appartement cédé par un vague cousin pour quelques mois. Naïma désire rentrer en Algérie. Refus catégorique de son mari qui ne désespère pas de revenir en France en passant par l'Espagne. « Ce n'est pas mon rêve. Je suis dans un cauchemar. Vivre en France sans mon mari n'a aucun sens. Je ne peux pas supporter ça très longtemps. Je lui donne jusqu'au printemps. Soit il revient comme il n'arrête pas de le promettre, soit on divorce et je rentre en Algérie. Toutes les associations nous disent qu'il y a peu de chances pour que nous soyons régularisés même si notre fils jouit de la double nationalité. Il y a tellement de versions contradictoires. Avec Sarkozy, il faut être riche pour espérer une régularisation. » Naïma finira par avouer qu'elle subit une grande pression de la part de sa famille et de celle de son mari pour qu'elle patiente, qu'elle ne serait pas la bienvenue si elle rentrait sans le consentement de son mari. Dans ces moments de doute, elle se dit qu'elle fait ça pour son fils, qu'il est mieux ici qu'en Algérie où il partagerait un F3 avec sept autres personnes. Etre un sans-papiers en France est plus épanouissant de vivre en Algérie avec tous les documents officiels possibles. De toute façon, elle n'a plus où aller en Algérie. Plus de chez elle. Nouara avait payé les 6500 euros demandés par Djamel. C'était le marché. 6500 euros pour le mariage blanc, avec à la clé la carte de résidence de dix ans. Les deux parties jouaient gagnant gagnant. Puis, l'inattendu est arrivé. Après la première visite à la préfecture, la somme a subitement augmenté. Djamel voulait 4000 euros de plus. Il faisait traîner les démarches administratives. Nouara, la trentaine alerte, sensuelle, diplômée de Bab Ezzouar, voulait faire une grande école parisienne. Tentée par une régularisation rapide, elle avait accepté le marché d'une « marieuse de Belleville ». « Dès le début, les choses étaient claires. Ni sexe ni sentiments. Comptant-contente. Il m'est impossible de retourner vivre à Alger à cause d'une expérience personnelle traumatisante. Mes deux frères et mon père ont réuni leurs économies pour me payer le voyage. Ils m'ont demandé d'oublier Alger pour un bon moment. Et là, je me retrouve dans un mauvais vaudeville. La préfecture a reçu un courrier de délation et met maintenant en cause mon mariage. Djamel me propose d'habiter chez lui et de lui donner 4000 euros supplémentaires. Il a déjà mis une brosse à dent censée m'appartenir dans la salle de bains ! Je préfère encore vivre sans papiers ! » Madjid et Kahina ont écumé toutes les associations. Vainement. Ils viennent de recevoir leur dernière IQT, invités à quitter le territoire. Ils ont deux enfants scolarisés dans le Val-de-Marne. Madjid, peintre en bâtiment, ancien documentaliste, et Kahina, infirmière reconvertie dans le baby-sitting, ont reçu le soutien du Réseau éducation sans frontières (RESF) qui leur a établi un dossier solide. Sans succès. Comme ils avaient déjà leur adresse à la préfecture, ils ont déménagé et sont hébergés par des amis qui vont chercher leurs enfants à l'école. Ils craignent de tomber sur une rafle devant l'établissement scolaire. « Il ne nous reste que l'espoir. Peut-être que la visite de Nicolas Sarkozy en Algérie va débloquer la situation. Nous sommes honnêtes et gagnons notre vie à la sueur de notre front », plaide Madjid.

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