De derrière les barreaux de la morgue centrale d'El Alia, un quinquagénaire fait un signe de la main à quelqu'un paraissant avoir le même âge. « Impossible de le laver. Prenons le ‘‘corps'' tel qu'il est. D'ailleurs personne ne le verra à la maison puisqu'on va plomber le cercueil », chuchote l'homme à la mine abattue. Les deux hommes paraissent proches de la victime de l'attentat commis à Hydra et tuée sur le coup devant le bâtiment de l'ONU, avait-on appris dans l'entourage familial. La malheureuse victime, dont le corps a été déchiqueté, devra quitter la morgue sans avoir été soumise à l'ultime rite musulman, les ablutions du mort. Un imam a été dépêché pour assister les familles par l'Etablissement de gestion des cimetières et pompes funèbres d'Alger (EGCPF), organisme sous tutelle de la wilaya d'Alger. Il avait rappelé à la famille que la religion a prévu ce cas de figure : « La dispense est de rigueur, car le corps n'est pas en entier. » Il est 15h, les 14 corps que la morgue a accueillis le soir de l'attentat ont tous succombé à Hydra. Devant l'entrée, une trentaine de personnes désemparées, abattues et au bord de la crise de nerfs s'impatientent pour récupérer les cadavres de leurs proches. « L'enterrement est prévu pour demain (ndlr : aujourd'hui jeudi) à Sidi Aïch (wilaya de Béjaïa). Nous allons prendre la route cet après-midi, un trajet de pas moins de 220 km à faire », nous confient sur un ton d'impuissance les parents d'un couple de retraités, tués eux aussi à Hydra. Le camion piégé a sauté sous le logement des Akroune, tous deux septuagénaires. « Les responsables de la morgue viennent de nous dire que nos proches nous seront remis dans quelques minutes. Il était temps », nous signale un autre parent qui se présente comme le cousin germain du défunt Bachir Akroune. « De son vivant, mon cousin ne cessait de nous dire : ‘‘Je veux être enterré dans la terre de mes ancêtres, à Takrietz'' (5 km de Sidi Aïch). Il a émis ce vœu, nous devons respecter son testament. » Les parents de Hind Boukhroufa, de Kamel Saït, de Djamel Rezzoug, de Nabil Slimani et tant d'autres malheureuses victimes font les cent pas. Sous une pluie battante et dans un silence religieux, ils attendent que les services de la morgue leur remettent les corps. Tout près, un groupe d'hommes et femmes vient de récupérer le corps de Samia Bouchrit, 56 ans, chirurgien avec rang de docent au CHU Mustapha Bacha d'Alger, ravie à l'affection des siens « en service commandé ». « Elle devait rejoindre l'hôpital de Ben Aknoun suite à l'attentat qui a eu lieu près de cet EHS quelques minutes plus tôt, elle reçoit un appel l'enjoignant de rejoindre l'hôpital. Elle saute dans sa voiture, démarre en trombe et, comme à l'accoutumée, elle passe par le quartier des Oasis, et ce fut l'irréparable », nous raconte son cousin, les larmes aux yeux. Elle laisse une mère éplorée de 77 ans, une sœur cadette, également médecin, et un frère ophtalmologiste, établi à l'étranger. « Il est rentré précipitamment. Nous allons emmener elmerhouma (la défunte) à Laghouat, sa ville natale, pour y être enterrée demain », enchaîne un membre de sa famille. Avant de nous quitter, cet homme d'une quarantaine d'années nous prie de transmettre un message aux gouvernants. « L'insécurité a tendance à régner partout. Les pouvoirs publics en sont responsables. Le tout-renseignement, comme il était en vigueur autrefois, doit être érigé en règle si nous voulons que notre cher pays soit à l'abri. »