Du talent, du charisme et une sacrée ambition. Des qualités qui n'ont pas fait défaut à Khadija Benguenna, l'ancienne journaliste de la télévision publique, consacrée dans son exil qatari « diva » des JT d'Al Jazeera. Un modèle de réussite khaliji qu'incarne sobrement la présentatrice. Et elle n'est pas la seule à briller de mille feux sur les plateaux des meilleures chaînes satellitaires arabes. En effet, depuis l'avènement des premières chaînes, au début des années 1990, des centaines de journalistes, producteurs, présentateurs, techniciens de l'ENTV ont préféré choisir les sentiers incertains de l'exil aux carrières plates et étouffées du boulevard des Martyrs. Kamel Alouani, Madani Ameur, Mourad Chebine, Leïla Smati, Sabria Dehilis, Ahmed Megaâche ou encore Lakhdar Berriche, Yazid Mouaki, Farida Bessa, Slimane Boussoufa, Mohamed Mokhtari et des dizaines d'autres font le bonheur des 124 chaînes télé arabes existantes. La touche algérienne y est omniprésente, recherchée et désirée et plus encore par les puissantes chaînes, à l'image de MBC, ANN, Dubai TV, Al Jazeera, Al Arabiya, El Hurra... qui y trouvent un excellent moyen de pénétration du public algérien. La même stratégie avait déjà fait ses preuves en Egypte, au Liban, en Tunisie, au Maroc, etc. Selon le docteur Brahim Brahimi, environ 10% des journalistes des radios et de la télévision publique ont rejoint ces quinze dernières années les médias arabes. « On ne connaît pas avec exactitude leur nombre, mais celui-ci doit se situer entre 200 et 300 journalistes », affirme le spécialiste des médias. Migration naturelle ou exode massif affectant les effectifs des médias lourds nationaux des suites d'un climat malsain ? La montée en puissance des chaînes satellitaires arabes, qu'elles soient généralistes ou thématiques, n'a pas ménagé ces derniers. Bien au contraire. L'universitaire explique la « ruée vers l'Est » par le verrouillage systématique des médias du secteur public. La ruée vers l'Est Des « médias fermés à la qualité et aux compétences », dit-il et ne fonctionnant que par « degrés de docilité » et d'« accointances », des normes qui priment sur toute autre considération. Il n'aurait sans doute pas rêvé mieux. Mourad Chebine, l'ancienne coqueluche du programme télé du début des années 1990, « Liqa' maâ essahafa » (Face à la presse), nommé en 2006 directeur de la rédaction de la chaîne américaine Al Hurra, a désormais plus d'un gibier sur son tableau de chasse. Avant d'atterrir à Washington, où la toute jeune Al Hurra possède son siège (la chaîne est financée par le Congrès américain), il occupait les fonctions de rédacteur en chef d'une des premières chaînes satellitaires arabes, Abu Dhabi TV. Pendant 12 ans, il est resté indétrônable malgré les incessantes purges qu'ont subies les effectifs de cette chaîne, propriété du gouvernement des Emirats arabes unis. Vingt ans de carrière pleine et revigorante qui l'ont propulsé plus haut qu'il ne l'avait imaginé… au cœur des chaînes de télévision les plus influentes dans la région. Son passage à l'Entv entre 1987 et 1994 lui a sans doute déjà ouvert les portes d'une grande carrière. Libre d'esprit et de ton, le reporter et animateur Mourad Chebine a su monnayer ses qualités professionnelles et intéresser les plus grosses boîtes. Pourtant, rien n'avait été facile. Il fait partie de cette « deuxième vague » de journalistes de l'Entv à avoir quitté sous la menace terroriste le pays, après Madani Ameur, Kamel Alouani et Messaoud Ben Rabie, les premiers à se lancer dans une aventure à l'étranger. Comme beaucoup d'autres journalistes, l'assassinat de Tahar Djaout, puis du présentateur vedette Smaïl Yefsah va contraindre la majorité des vedettes de la télévision algérienne à s'exiler. Chebine est de ceux-là. « J'ai pris un aller simple pour les Emirats parce qu'il m'était difficile en octobre 1994 d'avoir un visa pour la Grande-Bretagne. Les gendarmes étaient venus chez moi me conseiller de quitter Alger parce que j'étais le prochain sur la liste », nous raconte-t-il. Aux Emirats, où il avait atterri avec quelques « blessures » et peu de bagages, Chebine s'en remet à sa bonne étoile. La traversée du désert arabique n'a pas duré longtemps. A peine quelques mois ont suffi au reporter pour rejoindre l'équipe de la chaîne télé d'Abu Dhabi où il a été vite promu rédacteur en chef et anime également une émission d'information et d'analyse, « Al Madar ». Une consécration rapide mais méritée. « A mon arrivée, j'ai tenté de me rendre le moins visible possible parce que l'expérience d'Alger m'avait profondément marqué », se confie-t-il. « Face à la Presse », son émission phare à l'ENTV du début des années 1990, n'a pas été qu'un long fleuve tranquille. Menaces, pressions en tous genres, harcèlement, ingérences multiformes meublaient le quotidien déjà difficile des concepteurs du seul programme politique incarnant le semblant d'ouverture médiatico-politique du pays. Les invités, des chefs de partis politiques, s'entre-déchiraient en live dans une Algérie qui annonçait une explosion imminente. Des vedettes « made in Al Khalij » Le duel poignant Abassi Madani (FIS)-Saïd Sadi (RCD) restera longtemps dans les annales. « Il fallait qu'on négocie avec les responsables chacune des émissions. Cela n'a pas été facile de les persuader à cause des vieux réflexes et de la suspicion ambiante », raconte Chebine. Les freins à l'expression libre, la détérioration du climat de travail, le retour aux années de plomb ont vite repris le dessus à la télévision publique, chassant au passage les espoirs nourris d'une nouvelle génération de journalistes avides de liberté. Madjid Boutamine, vieux routier des rubriques sportives, à la radio d'abord puis à la télévision — il animera depuis 1992 une émission sportive à succès, « Fil Marma » — a dû faire ses adieux à la télé de Hamraoui à partir de 2001. Année durant laquelle il rejoindra Dubai Sport, puis 5 ans après Al Jazeera Sport. « Ce sont les jeunes qui nous avaient poussés à la porte », nous dit-il, plein de sous-entendus. Pour lui signifier qu'il était désormais persona non grata au boulevard des Martyrs, la jeune génération du département sportif de l'ENTV a eu recours à un procédé peu scrupuleux. Pour l'amour du… métier L'émission a été, dans un total mépris du téléspectateur, déprogrammée, d'après lui, de 22h à 1h. C'en était trop pour Boutamine. La goutte qui fait déborder le vase ! « J'ai dû me rendre à l'évidence : Ellaâb H'mida oua recham H'mida (ils sont juge et partie). Il fallait s'exiler comme les autres », dit-il. D'autres journalistes et commentateurs relevant du service Sports de l'ENTV l'avaient déjà précédé à cette périlleuse odyssée. Lakhdar Berriche, l'actuel directeur du bureau d'Al Jazeera Sport à Madrid, s'en est sorti plus qu'indemne : une sorte de dieu vivant. Leila Smati, Mohamed Merzougui, Yazid Mouaki, Lahbib Ben Ali, Abdelkader Cheniouni et autres ont tout aussi merveilleusement percé. Les services Information et Sport de l'ENTV se transforment en quai de gare. Ce sont en effet les plus touchés par la saignée, sans pour autant que les responsables de la chaîne publique réagissent ou s'inquiètent outre mesure. Alors même que l'argument sécuritaire ne tenait plus la route, l'appel du large fait plus que jamais recette. Le parcours de Abdelkader Cheniouni, ex-présentateur de l'émission sportive « Arqam Oua Taâliq », n'a pas été de tout repos. Alignant depuis son départ en 1994 à Londres les tentatives manquées d'abordage, il finira après de brefs passages par ANN (Arab News Network), un journal local au Québec et une courte escapade à Dubai Sport, par rejoindre la grande et « heureuse » famille de la network qatarie, Al Jazeera. Malgré sa longue expérience, il affirme avoir toujours le trac… devant les caméras. « Je n'ai jamais été à l'aise, peut-être parce que je suis issu du monde de la presse écrite », dit-il. Les difficultés linguistiques, il en connaît un bout. Elles empoisonnent, selon lui, la vie à beaucoup de commentateurs et journalistes algériens. « Les accents du Mashriq nous donnent vraiment du fil à retordre, mais nous arrivons quand même à nous adapter rapidement », raconte-t-il. Le secret de la réussite ? Il est, d'après Cheniouni, dans le « rapport fusionnel » qu'entretiennent les journalistes algériens avec leur métier. « Pour d'autres, commenter un match de foot, c'est juste un boulot, pour nous c'est d'abord une passion », conclut-il.