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« L'Algérie doit réapprendre à regarder vers l'Est »
Nacer Djabi. Sociologue et chercheur
Publié dans El Watan le 18 - 02 - 2008

L'Algérie et la Russie sont passées par une période de transition qui aura duré vingt ans pour le changement de l'ordre social et politique qui les régissait. Quelles sont les similitudes entre les deux expériences ?
La première similitude est liée au facteur temps, cela s'est produit vers la fin des années 1980. Les deux pays ont amorcé durant cette période une révision de leur système politique et économique. La similitude se situe aussi dans la nature du changement lui-même. Les deux pays sont sortis du système de l'Etat prédominant, l'Etat patron politiquement et économiquement. Les deux pays ont connu un hégémonisme sur le plan économique à travers la présence d'un grand secteur public, et au niveau politique par le monopole du parti unique. Les deux expériences ont vu une grande domination de l'Etat sur la société traduite par l'unicité du parti et par la mainmise du militaire et surtout des services secrets. Si l'armée avait une très grande place dans l'échiquier politique, les services secrets occupaient en son sein une part très importante. De plus, sur le plan social, on a assisté à des formes de socialisation visant l'idéal d'une homogénéité sociale sur la base des idéaux qui prônaient le collectivisme, la prédominance du collectif sur l'individuel. L'Algérie parmi le monde arabe avait le système qui se rapprochait le plus du système soviétique dans son expression économique et sociale, notamment l'unicité syndicale et passant par les mêmes crises et pénuries. Les deux pays ont donc amorcé des changements au même moment historique, mais selon des rythmes différents. Chacun selon sa place sur le plan international. Il est vrai que l'on ne peut pas dire que les deux expériences étaient égales en tout genre. Il ne faut pas oublier que la Russie était une grande puissance mondiale avec ses obligations sur le plan international qui n'étaient pas les mêmes pour l'Algérie.
Nous remarquons des points de similitude à la fois pendant la période de transition et même aujourd'hui. On parle du retour de l'hégémonie du parti unique en Algérie et de l'application de la politique de main de fer en Russie. Comment expliquer un tel virage après 20 ans de transition ? Une sorte de retour à la puissance de l'Etat...
Il est vrai qu'il y a ce type de retour qui est parfois imposé. Tout ne marche pas comme il est souhaité. On est devant des transitions qui parfois adoptent une cadence rapide et parfois patinent. Par exemple, dans le domaine économique cela a très bien marché pour les Russes, mais pour l'Algérie beaucoup moins. Les Russes ont bien réussi dans le domaine des privatisations, dans celui de la compétitivité internationale..., mais ce n'est pas le cas dans le domaine politique. Il y a des blocages aussi qui se sont faits jour dans le domaine politique probablement dus à la conjoncture internationale. Il ne faut pas oublier que la Russie est une puissance internationale, elle a un rôle à jouer sur ce plan et montre aujourd'hui qu'elle vise à revenir en force sur la scène internationale. C'est ce qui fait qu'elle a peut-être besoin d'un pouvoir central très fort, avec des moyens qu'on peut ne pas accepter. Toutefois, ce n'est pas le cas de l'Algérie, elle n'occupe pas le même poids sur la scène internationale, malgré le rôle qu'elle pourrait jouer sur les plans maghrébin, méditerranéen, africain et arabe si elle arrive à faire une transition efficace et saine. Mais la Russie reste tout de même une grande puissance mondiale d'où le retour vers le centralisme.
Ce retour est donc justifié pour la Russie mais pas pour l'Algérie...
Je ne peux acquiescer à une telle option. Est-ce que l'élément international et cette lutte pour un retour sur la scène internationale que ce soit pour la Russie ou l'Algérie peuvent justifier l'application de la politique de main de fer et bâillonner l'expression libre, je crois que la réponse ne peut être que non. Il faut laisser la société s'exprimer.
L'université russe a formé beaucoup de cadres algériens, est-ce que ces cadres-là ont pu constituer un relais entre les deux pays ?
Dans les relations bilatérales, il y a toujours un rapport d'Etat à Etat. Il existe une vieille tradition de coopération entre les armées des deux pays, il existe aussi beaucoup d'intérêts sur le plan économique. Mais comme soulevé lors du dernier colloque organisé par l'Association algérienne pour le développement de la recherche en sciences sociales - traitant des expériences de transition politique et économique en Algérie et en Russie - il faut s'ouvrir en tant qu'universitaires et intellectuels sur le monde russe. Il y a eu une génération qui connaissait l'Union soviétique, mais malheureusement aujourd'hui, on a moins de relations avec la Russie actuelle. Eu égard au fait qu'on soit passé par des expériences presque similaires, en tant qu'intellectuels, nous pensons qu'on a tout intérêt à ce qu'il y ait des échanges entre les universités des deux pays, organiser des rencontres. Et ne pas se limiter à regarder vers le Nord, notamment vers la France uniquement avec qui l'Algérie entretient presque une relation incestueuse, on doit apprendre à porter notre regard vers l'Est, l'Ouest et le Sud.


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